Sophie Binet et François Ruffin dans le même bateau ?
Au moment où le gouvernement Attal annonce vouloir amplifier sa guerre de classes contre tous nos acquis, en particulier, le Code du travail. Sophie Binet et François Ruffin se rencontrent pour évoquer le « mal travail ».
- Actualité politique et sociale
C’est à l’initiative du député de « Picardie debout ! », François Ruffin, que la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, et la responsable confédérale de la CFDT, Isabelle Mercier, ont parlé à la maison des Métallos du… « mal-travail ». Un choix qui peut interroger au moment où le gouvernement Attal annonce vouloir amplifier sa guerre de classes contre tous nos acquis, en particulier, le Code du travail, et contre laquelle les directions syndicales sont, pour le moins, et à ce stade, bien silencieuses.
D’autres « débats » du même type ont déjà eu lieu, toujours autour du même député ; c’était dans les modestes locaux des jésuites, presque à l’abri des regards, au Collège des Bernardins avec, déjà, Binet et Ruffin1François Ruffin a déclaré : « Je suis pour les trois tiers : un tiers de salariés dans les conseils d’administration des entreprises. Un tiers pour le capital. Un tiers pour les associations : ONG ; élus locaux, et ainsi de suite… », sans préciser ce que recouvre ce « ainsi de suite ». « Parce que je pense que l’intérêt général comprend d’autres partenaires que, uniquement, le patronat et le salariat ». Il ne dit pas lesquels. et bien sûr, Laurent Berger ; et des patrons attentifs… Sophie Binet a commencé son propos par un éloge du programme du Conseil national de la résistance (CNR), rappelant que CGT et CFTC y siégeaient. Ce n’est pas faux. Elle a affirmé que le but « était de reprendre le pouvoir sur l’économie, de reprendre la main sur l’organisation de l’économie ». Elle n’a pas cité la dernière phrase du « programme » : « En avant donc, dans l’union de tous les Français rassemblés autour du CFLN et de son président, le général de Gaulle ! ». Passons…
Les comités d’entreprise
Elle poursuit : « Une des premières choses dans ce programme, c’était les comités d’entreprise ». Notons que le « programme » du CNR ne dit rien des comités d’entreprise.
Sophie Binet affirme : « Ce qui a été le plus dur à mettre en place (en 1945), ce n’est pas la Sécu ; ce qui a été le plus dur à gagner, ce sont les comités d’entreprise et les droits des travailleurs et des travailleuses à avoir leur mot à dire sur la gestion des entreprises, les orientations stratégiques et l’organisation du travail. »
Mais en 1945, les millions de syndiqués de la CGT unifiée n’ont jamais réclamé de revendiquer on ne sait quel partage du pouvoir illusoire avec les capitalistes. Beaucoup ont rapidement quitté le syndicat, déçus par toutes ces lamentables tentatives d’entente avec des « patrons patriotes » (selon le PCF) au demeurant, inexistants. Sophie Binet l’ignore-t-elle ? Le général de Gaulle voulait prolonger l’expérience « sociale » de Vichy. Exagération ? Dans ses Mémoires politiques, il résume son « programme » de toujours (celui de la Ve République) : « Les doctrines sociales de la révolution nationale (Vichy), la Charte du travail (…) n’étaient pas sans attraits. » C’est précisément par l’institution des comités d’entreprise qu’il a espéré poursuivre, dans un contexte politique complètement différent, l’« œuvre » de Vichy.
Dans l’exposé des motifs portant création des comités d’entreprise, il est dit clairement : « Les CE permettront une coopération nécessaire entre la direction et les représentants du personnel. Les CE ne sauraient avoir un caractère revendicatif (…). Le CE introduit la démocratie dans l’atelier, par la désignation des organisations syndicales qu’il est indispensable d’associer à la grande œuvre de rénovation de l’industrie française ».
Associer les syndicats ouvriers à la « gestion » – du plan, à l’étage supérieur, jusqu’à l’atelier, à l’étage inférieur –, c’est bien le rêve de tous les partisans de « gauche », de « droite » (et extrême) de l’association capital-travail, c’est-à-dire du corporatisme2S. Binet se réfère à Alain Supiot (c’est le seul nom cité avec A. Croizat). Supiot écrit en 2018 : « Il y a une grande modernité dans les vues et surtout les écrits du général de Gaulle sur la question de la participation ». Propos tenus à l’occasion du rapport Notat (ancienne secrétaire générale de la CFDT) et Jean-Dominique Senard (patron de Michelin) sur le thème : « Entreprise et intérêt général ». Tout un programme !.
Et aujourd’hui ? Sophie Binet est désolée : « Les salariés ne sont pas associés aux décisions des multinationales. » Pourtant, dit-elle, « on peut faire tourner le monde sans les milliardaires, d’ailleurs, pendant le Covid, on l’a fait » ; ça alors, et on nous l’avait bien caché !
Sophie Binet a intégré le bureau confédéral de la CGT du temps de Thierry Lepaon qui confiait à la feuille patronale confidentielle Le Nouvel économiste, il y a dix ans déjà, presque jour pour jour (19 février 2014) : « Il n’existe à la CGT aucune opposition de principe face au patronat. L’entreprise est une communauté composée de dirigeants et de salariés – là encore, je regrette que les actionnaires fassent figure d’éternels absents – et ces deux populations doivent pouvoir réfléchir et agir ensemble dans l’intérêt de leur communauté. Sur ce plan, il est évident que le pragmatisme syndical s’impose. »
Pour cette raison fondamentale, le secrétaire général Lepaon a été expulsé de la CGT comme un « corps étranger » mettant en cause l’existence même de la CGT comme confédération ouvrière. Mais ses « idées » n’ont pas disparu…