« Après l’investiture de Donald Trump, où va-t-on ? »

Déclaration du Secrétariat international de la IVe Internationale, 27 janvier 2025.

Par IVe Internationale
Publié le 31 janvier 2025
Temps de lecture : 7 minutes

« Dans le monde entier, les peuples observent avec inquiétude les premières décisions, faits et gestes du nouveau président des États-Unis, Donald Trump, et de son administration. Ce n’est pas seulement une page qui se tourne, quand bien même le démocrate Joe Biden laisse à son successeur républicain une lettre des plus amicales sur le bureau de la Maison-Blanche. C’est toute la crise de domination de l’impérialisme américain et du système capitaliste, contenue jusqu’ici dans le cadre de rapports anciens et usés jusqu’à la corde, qui éclate sans aucune retenue et sans aucun fard.

Avec un nombre record de milliardaires dans son administration et une présence massive des plus grandes fortunes mondiales à son investiture (représentant à elles seules 1 200 milliards de dollars), Trump et son gouvernement apparaissent ouvertement, sans vernis ni faux-semblants, pour ce qu’ils sont : le conseil d’administration du capital financier nord-américain et « le prédateur dominant », selon la formule de l’élu républicain du Tennessee à la Chambre des représentants, Andy Ogles.

Tenter de réaligner la politique américaine avec une brutalité sans précédent

La classe capitaliste américaine a désormais un objectif déclaré : utiliser tous les moyens de sa puissance économique, politique et militaire pour tenter de réorganiser, immédiatement et avec la morgue et la violence qui la caractérisent, tous les rapports de domination à l’échelle mondiale, et à l’intérieur même des États-Unis, pour préparer son affrontement avec la Chine.

L’extrême facilité avec laquelle Trump a imposé le cessez-le-feu à Gaza montre à quel point les États-Unis avaient, dès le départ, le contrôle total du génocide du peuple palestinien, et que rien ne pouvait se faire sans leur aval ni leur soutien militaire et politique. En échange du cessez-le-feu à Gaza, qualifié de « temporaire » par B. Netanyahou, Trump a donné son accord au gouvernement israélien pour attaquer la Cisjordanie, avec l’accord et le soutien de la prétendue « Autorité » palestinienne et la complicité active des dirigeants des pays impérialistes et de la quasi-totalité des pays arabes. C’est un gouvernement israélien affaibli par ses divisions internes et par une profonde crise politique, économique et sociale, fragilisé par ses pertes militaires, qui se déchaîne aujourd’hui sur le camp de Jénine et la Cisjordanie.

Alors qu’il déclarait « je ne suis pas certain que le cessez-le-feu [à Gaza] durera », Trump a signé plusieurs décrets, dès le premier jour de son investiture, pour expulser les étrangers qui auraient une « attitude hostile envers le gouvernement » et déporter les étudiants étrangers qui ont participé aux mobilisations historiques sur les campus américains pour exiger le cessez-le-feu, la fin des livraisons d’armes et des partenariats avec les institutions et les entreprises israéliennes. Au même moment, l’administration américaine permettait à Israël d’installer de nouvelles bases militaires dans le sud de la Syrie, et assurait la respectabilité aux nouveaux dirigeants de Damas, anciens responsables d’Al-Qaeda et de l’État islamique, désormais invités au Forum économique de Davos.

En signant les décrets visant à expulser des millions de migrants des États-Unis, y compris par des moyens militaires, Trump plonge une grande partie de l’Amérique dans la peur et la panique. Des milliers d’enfants ne se présentent plus à l’école. Leurs parents désertent les chantiers de construction et les champs dans lesquels ils travaillaient pour tenter d’échapper aux expulsions. Au point d’alarmer patrons et représentants politiques de nombreux États américains, où l’emploi de migrants représente, dans certains secteurs économiques clés, plus de 50 % de la main-d’œuvre. Une déportation de masse qui, si elle se réalise, pourrait avoir des conséquences politiques et sociales majeures aux États-Unis, mais aussi au Mexique et plus largement dans toute l’Amérique latine.

Quoi qu’il en dise, le président américain n’a que faire du million d’Ukrainiens et de Russes morts et blessés par les bombes russes et américaines. Derrière l’habillage du cessez-le-feu en Ukraine qu’il veut conclure avec la Russie après trois ans d’une guerre dévastatrice, et sa tentative de domestiquer tous les gouvernements européens à travers l’Otan, se dissimulent à peine les intérêts de l’impérialisme américain qui veut redéployer ses forces en Asie. Comme le dit le général Mike Flynn, proche de Trump : « L’influence financière de la Chine est en train de remodeler considérablement le paysage mondial, remettant en cause la domination actuelle des pays occidentaux. C’est la Chine, et non la Russie ou l’Iran, qui constitue la principale menace mondiale [à la domination américaine] ».

Les routes maritimes qui s’ouvrent dans l’océan Arctique, en raison du réchauffement climatique, et les immenses ressources du Groenland (90 milliards de barils de réserves de pétrole, 30 % du gaz naturel inexploité de la planète et environ 1 000 milliards de dollars de minéraux de terres rares) sont un enjeu du commerce mondial que les États-Unis veulent disputer à la Chine.

Enjeu également, le contrôle du canal de Panama et des immenses ressources naturelles de l’Amérique latine et de l’Afrique, que les peuples tentent de se réapproprier en cherchant à rompre avec l’impérialisme et en chassant l’ancienne puissance coloniale française de ses zones d’influence au Sahel.

Les Américains s’apprêtent à user d’un arsenal de mesures allant des droits de douane aux sanctions économiques et financières et à la force militaire, y compris au moyen d’intermédiaires comme en Syrie ou en Afrique, pour tenter de réorganiser tous les rapports mondiaux à leur profit. Quitte à imposer aux pays de l’Otan, à l’occasion notamment du prochain sommet de l’organisation qui se tiendra à La Haye en juin, une augmentation considérable des budgets militaires au prix de coupes inédites dans les budgets de l’éducation, de la santé et des services publics, et à appeler les pays d’Asie à s’armer « jusqu’aux dents ».

Partout, l’impérialisme américain, dominant mais en crise, pour le contrôle des marchés, pour continuer son exploitation des ressources, est confronté à la concurrence de la Chine. Pour y faire face, il est prêt à plonger les peuples et les nations dans le chaos, et à remettre en cause la souveraineté, durement arrachée, des nations opprimées.

Pour se sauver les gouvernements en appellent à l’union nationale et, au minimum, à la retenue et à la « bienveillance » des dirigeants du mouvement ouvrier

En Europe, les gouvernements, massivement rejetés, qui se sont présentés jusqu’ici comme des partenaires des États-Unis pour dissimuler leur alignement complet sur les intérêts du capital nord-américain, tentent de faire bonne figure en appelant à l’union nationale derrière eux pour sauver leur prétendue indépendance et tenter de se protéger, désespérément, de la marginalisation qui les guette. Leur seul objectif est de gagner, sinon l’adhésion, au moins l’abstention bienveillante de leurs opposants politiques et des sommets des organisations ouvrières, afin de poursuivre leur politique tout entière tournée vers les intérêts du capital.

Sans jamais soutenir aucun gouvernement qui, dans des conditions propres à chaque pays, maintient les peuples sous la domination des rapports d’exploitation capitalistes, la
IVe Internationale soutiendra tous les pas, toutes les initiatives qui iront dans le sens de la rupture avec l’impérialisme et la défense des intérêts des opprimés. Elle partage la joie du peuple palestinien qui, tirant les leçons de la Nakba de 1948, a résisté à quinze mois de bombardements incessants, de destruction totale et de déshumanisation, et célébré le cessez-le-feu dans l’espoir de pouvoir revivre sur sa terre. Elle salue les peuples libanais et yéménites qui se sont tenus aux côtés du peuple palestinien malgré les assauts des armées israéliennes et américaines et de leurs alliés, ainsi que les manifestations pour le cessez-le-feu, l’embargo sur les armes et la fin du génocide qui, partout dans le monde, n’ont jamais cessé.

Nous entrons dans une nouvelle situation mondiale, où l’existence même des relations sociales entre le capital et les organisations ouvrières visant à réguler les conditions « normales » de l’exploitation est devenue une entrave à la survie du régime capitaliste. Une nouvelle époque qui laisse peu de choix : la marche au chaos, à la guerre et à la désagrégation, ou la révolution et la rupture avec les gouvernements haïs ouvrant une opportunité pour les peuples de décider eux-mêmes de leur avenir ; soit l’organisation et l’aide à la rupture classe contre classe, soit la défense, ouvertement ou plus insidieusement, des gouvernements et du système capitaliste en pleine désagrégation.

Partout, des secteurs de plus en plus larges au sein des puissances économiques et financières doutent de la capacité des Macron en France, ou des Scholz en Allemagne, à maintenir la stabilité des institutions et à conduire leur politique belliciste et réactionnaire. Ouvertement, ils font monter l’extrême-droite avec le soutien de la nouvelle administration américaine, ou plus sournoisement soutiennent et mettent en œuvre son programme, pour engager une véritable guerre de classe contre les travailleurs et la jeunesse, et leurs organisations.

Les directions du mouvement ouvrier, pour la plupart silencieuses à l’égard du génocide du peuple palestinien, quand elles ne soutiennent pas ouvertement les gouvernements qui livrent des armes à Netanyahou, ou accompagnent les budgets d’austérité et l’augmentation des dépenses militaires « parce qu’on ne pourrait pas faire autrement », portent une lourde responsabilité. Dans les organisations, de plus en plus nombreux sont ceux qui s’interrogent, s’inquiètent, ne sont pas dupes et qui, par-delà les consignes ou l’attentisme des dirigeants et souvent contradictoirement, cherchent, à leur propre niveau, à impliquer publiquement leurs organisations pour rompre avec ce cours néfaste et aider les travailleurs à combattre.

Y compris au sein des partis traditionnels, les dirigeants qui tergiversent ou tentent ouvertement de sauver les gouvernements rejetés, provoquent des réactions parmi leurs propres troupes et sympathisants qui cherchent à se regrouper dans un foisonnement d’initiatives sur le plan syndical et politique, à organiser la solidarité et tenter de bloquer les mauvais coups.

Résister, regrouper et agir, à une nouvelle échelle

À l’intérieur même des États-Unis et dès après l’investiture de D. Trump, le syndicat des employés territoriaux AFSCME a dénoncé « la série de décrets anti-travailleurs qui menacent de confier le sort des fonctionnaires aux milliardaires et aux extrémistes antisyndicaux ». Le syndicat des services publics et de santé SEIU, qui regroupe deux millions d’adhérents, déclare : « réduire la protection de l’emploi et attaquer les droits de négociation collective des fonctionnaires fédéraux, y compris en transformant certains d’entre eux en employés licenciables à volonté, ce qui réduirait au silence la voix des travailleurs, ouvrirait la voie à la maltraitance généralisée des fonctionnaires et menacerait la qualité des services sur lesquels les Américains comptent ». Ajoutant : « nous ne reculerons pas ! ».

Par-delà les difficultés, anciennes, qui ont empêché la classe ouvrière américaine de construire sa propre organisation politique indépendante, on relèvera l’appel de Democratic Socialists of America (DSA) : « Nous avons rejoint des milliers de personnes aujourd’hui, jour de l’investiture, pour nous rassembler et marcher afin de bloquer les rues de Manhattan, dans le cadre d’une mobilisation nationale pour lutter contre le programme fasciste de Trump et exprimer notre solidarité avec la Palestine (…). Les riches milliardaires d’extrême-droite se rassemblent derrière Trump. L’heure est venue, pour nous aussi, de nous organiser ». Ils ont raison.

Quels que soient nos sensibilités, nos parcours et nos engagements, ceux qui sont attachés à la démocratie, au refus du génocide et de la guerre, à la défense des conquêtes ouvrières et démocratiques et des libertés, à l’existence d’un seul État démocratique sur tout le territoire historique de la Palestine, garantissant le droit au retour des Palestiniens et dans lequel chaque composante pourra vivre libre et à égalité de droits, chercheront inévitablement à se rassembler, dans chacun de nos pays, et au plan international, pour combattre les gouvernements fauteurs de guerre et de chaos, défendre l’humanité et les acquis de la civilisation. Nous en sommes !

Nous appelons à renforcer, à construire les sections de la IVe Internationale pour y contribuer. »