Crise énergétique ? Crise alimentaire ? Crise climatique ? Essayons de comprendre

Nous publions ici la seconde partie d’un exposé réalisé dans le cadre d’un atelier de discussion sur l’écologie lors d’une réunion de jeunes en mai dernier à l’invitation du courant communiste internationaliste du POI, section française de la IVe Internationale.

Vue aérienne d’un champ pétrolifère de Belridge en Californie (AFP).
Par > Verbatim
Publié le 24 octobre 2022
Temps de lecture : 5 minutes

Il y a eu la Cop 26 en novembre 2021. Vous savez à quoi est censée servir la Cop : il s’agit de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Quelques mois après la Cop, le journal patronal Les Echos  a titré : « Le retour en force du charbon en Europe ». Le Financial Times  a publié un article intitulé : « L’Union européenne s’apprête à augmenter ses permis de CO2 » pour faire face à l’arrêt du gaz russe. Et, comme la Russie est confrontée à une pénurie de composants, suite aux sanctions occidentales, le gouvernement a décidé d’alléger les contraintes environnementales des voitures pour revenir aux normes de 1988. L’Allemagne a élaboré à la hâte onze projets de terminaux de regazéification pour remplacer les livraisons de gaz russe par des importations de gaz de schiste liquéfié américain livré par méthaniers. De son côté, la Chine a approuvé l’extension de centaines de mines de charbon, impliquant une augmentation de la capacité de production d’environ 420 millions de tonnes par an.

En conséquence de quoi, le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, a dit : « Les scientifiques disent que les émissions de gaz à effet de serre doivent chuter de 45 % d’ici à 2030 pour rester sur la bonne voie pour atteindre les objectifs de zéro net – mais ces émissions devraient plutôt augmenter de 14 %, “défiant la raison”. » La vérité est qu’il ne s’agit pas de raison, de morale, d’idéologie ou de bon sens. Il s’agit des rapports sociaux de production réels, de l’anarchie du mode de production capitaliste et du combat à mort que se mènent les grandes multinationales, par-delà les frontières et les limites de ce que peuvent supporter les hommes et la nature, pour gagner des parts de marché et augmenter leurs profits. Il s’agit des forces productives réelles et vivantes de l’humanité qui sont étranglées par le régime de la propriété privée des moyens de production.

Il y a quatre mois, la banque Natixis s’est posée la question : y a-t-il une baisse de la consommation des énergies fossiles ? Et la réponse fut la suivante : « Il n’y a pas d’effort visible nouveau de réduction de la consommation d’énergies fossiles. »  Voilà où nous en sommes après la 26e Cop parce que le système capitaliste est dans une impasse et que la société est confrontée à ce que la banque appelle « l’impossibilité de réaliser la transition énergétique ».

Emmanuel Macron, Bruno Le Maire et Fabien Roussel vont bien sûr s’esclaffer en disant que « impossible n’est pas français » ! Comme leurs prédécesseurs – et on peut remonter loin dans l’histoire –, ils ont un côté chauvin. Mais revenons à l’essentiel.

« La rentabilité exigée du capital » pour seul horizon

L a transition énergétique, nous dit la banque, « nécessite que des investissements très importants soient réalisés dans la production et le stockage d’électricité verte, la décarbonation de l’industrie, la rénovation thermique des bâtiments et des logements. » Ils parlent de cent vingt milliards de dollars d’ici à 2050. Ce sont évidemment des sommes considérables. Cependant, il n’y a pas vraiment de problème d’argent. Mario Draghi, ancien banquier de Goldman Sachs et ancien président de la Banque centrale européenne, lors de la COP 26, a expliqué : « Des trillions de dollars sont disponibles dans le secteur privé » pour faire face à la nécessaire augmentation de la production d’électricité décarbonée.

Le problème n’est pas là. Le problème est la rentabilité du capital. La banque Natixis explique par exemple que la rentabilité financière de la production d’électricité verte est modeste et celle de la rénovation thermique des bâtiments est faible.

La décarbonation de l’industrie a une rentabilité nulle, puisque, dit-elle,  « le rendement de ces investissements vient des externalités climatiques positives qu’ils dégagent ». En clair, parce qu’il faut sans cesse décrypter leur jargon, il n’y a aucun retour d’argent pour les actionnaires et les investisseurs. La rentabilité du capital est nulle : « La décarbonation de l’industrie nécessite des investissements qui changent la technologie de production, par exemple des énergies fossiles à l’hydrogène, sans accroître la production ou les profits. »

Les investissements considérables qui sont nécessaires pour décarboner l’économie – encore faudrait-il que cela soit démontré, je vous renvoie en cela aux articles que nous avons publiés dans la revue de la IVe Internationale, La Vérité –, ces investissements n’aboutiront pas à un supplément de production. Ils remplaceront seulement du capital qui va être détruit. Prenez par exemple les véhicules : ils vont remplacer les voitures à essence par des voitures électriques et liquider au passage cinq cent mille emplois en Europe. L’investissement nécessaire à ce remplacement ne va pas générer une production supplémentaire de voitures et de revenus.

Or, dit la banque, « on attend de l’industrie manufacturière du revenu, pas des emplois » et « la rentabilité exigée du capital est élevée, entre 8 et 10 % hors période de récession » – ce qui favorise la spéculation.

Alors voilà ce qu’ils disent : « Il va falloir investir davantage sans avoir davantage de revenus. Il va donc falloir réduire la consommation, ce qui est particulièrement pénible pour les ménages modestes. »  

Baisser les salaires pour « décarbonater l’économie » ?

Dans notre pays, il y a dix millions de pauvres et huit millions de gens qui vont chercher de l’aide alimentaire, des milliers d’enfants ne mangent pas à leur faim. Aujourd’hui, beaucoup de gens sont confrontés aux fins de mois difficiles. Mais les banques disent qu’il va falloir « une baisse considérable de la consommation » des ménages.  

Et comment comptent-ils faire cela : « Ceci peut se faire par des incitations à l’épargne, par la baisse des salaires, par une hausse de la pression fiscale ».  

Comme le patronat n’appelle jamais le profit par son nom, il se cache derrière le climat.

Je résume : les salaires doivent baisser, les impôts doivent monter et vous devez épargner plus. Tout cela est, selon ces banquiers, une condition pour «  décarboner l’économie ». En réalité, c’est surtout une condition pour préserver et maintenir les marges des entreprises, afin de lutter contre ce que Marx a appelé la loi de la baisse tendancielle du taux de profit.

Et cela a bien évidemment des conséquences. Le 16 mai, le Medef a fait une conférence de presse. Il a dit : « La décarbonation de l’économie nécessite d’augmenter les investissements. »  Et comme il ne veut pas payer pour des investissements qui ne sont pas rentables, il demande une nouvelle « baisse des impôts de production à hauteur de 35 milliards d’euros par an d’ici à la fin du quinquennat et la création d’un crédit d’impôt ou d’un outil fiscal pour les entreprises qui réalisent des investissements d’efficacité énergétique ». En d’autres termes, ils veulent financer la décarbonation de l’industrie par une augmentation de nos impôts, c’est-à-dire par la baisse de la consommation.

Pour dire cela, le Medef s’appuie sur une étude qu’il a commandée à l’institut Rexecode, qui chiffre les dépenses supplémentaires à 80 milliards d’euros pour la France. Pour bien comprendre les ordres de grandeurs, je voudrais rappeler quelques chiffres : pendant la pandémie, le capital des 500 plus grandes fortunes françaises a grossi de 300 milliards d’euros.

Ces gens détiennent désormais 45 % du PIB, contre 6 % il y a vingt-cinq ans. Et le patronat nous dit : les ménages doivent payer. Et comme le patronat n’appelle jamais le profit par son nom, il se cache derrière le climat.

« Greenflation », « Fossilflation »

Revenons à l’étude de Rexecode : « Il faudra accepter, en contrepartie d’un effort accru d’investissement et d’un avantage écologique, une moindre consommation. En outre, quelles qu’elles soient, ces mesures pèseront  durablement à la hausse sur l’inflation. Ce sont là les enjeux économiques et les vrais coûts de la décarbonation. »

Donc en plus, ces gens-là nous garantissent une inflation importante et durable, c’est-à-dire une baisse des salaires réels, parce que, globalement, les salaires ne sont plus indexés sur l’inflation depuis les années 1990 : « La transition énergétique va conduire à une hausse du prix de l’énergie en raison de l’intermittence de la production des énergies renouvelables qui impose de stocker l’électricité produite et de subir le coût de ce stockage. Il va donc en résulter une forte hausse des inégalités de revenu puisque la consommation d’électricité représente une part d’autant plus élevée du revenu des ménages qu’il s’agit de ménages àÌ€ revenu faible. »

Après avoir utilisé la pandémie pour licencier des millions de gens, pour baisser les salaires, pour liquider de nombreuses garanties collectives et faire ce qu’ils ont appelé un job reset, ils vont maintenant utiliser le climat pour aller encore plus loin. Pour sauver les profits, ils vont chercher à étrangler les peuples et la planète sur laquelle ils vivent.

Alors ils inventent de nouveaux mots pour nous faire accepter l’inacceptable. Par exemple, la Banque centrale européenne a découvert la greenflation et l’inflation climatique. J’ai même vu la fossilflation pour justifier l’augmentation des prix des produits issus des énergies fossiles. Et, en plus, il faudrait être heureux d’être réduit à la misère parce qu’on va,  prétendument, sauver le climat. Comme dirait Anatole France : « On croit mourir pour le climat, on meurt pour les industriels. »