Forêts : après les incendies de cet été

Questions à deux chercheurs en écologie forestière, Hendrik Davi, député LFI-Nupes, et Alain Roques, responsable CGT à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae)

Vue aérienne d’un pan de forêt de pins dans la région de l’Entre-deux-Mers (Gironde). Exemple d’une plantation monospécifique permettant une récolte plus rapide, quitte à exposer la forêt à une propagation plus grande d’un incendie (photo AFP).
Par Alain Roques, Hendrik Davi
Publié le 26 octobre 2022
Temps de lecture : 5 minutes

Comment est organisé le secteur forestier en France ?

Hendrik Davi : En France, 25 % de la forêt sont publics, gérés par l’Etat pour les communes, mais 75 % de la forêt sont donc privés. Le morcellement de la propriété est très fort, avec plus de 3,5 millions de propriétaires organisés au travers de l’association Fransylva. La gestion de la forêt privée est elle-même aidée par l’Etat au travers du CNPF (Centre national de la propriété forestière), déclinés localement dans les CRPF. La forêt publique est, elle, gérée par l’Office national des forêts (ONF), qui est un établissement public à intérêt commercial (Epic), dont le budget consolidé dépend des ventes de bois, ce qui n’est pas sans poser de problèmes.

Alain Roques : Les forêts françaises sont à la base très diverses, incluant espèces feuillues et résineuses en proportion variable selon les régions, mais n’échappent pas à la logique capitaliste d’accaparement des biens et services issus de ces forêts. Les axes du plan de relance de Macron correspondent à une vision industrielle de la gestion forestière, avec des coupes rases massives et des plans de reboisement en plantations monospécifiques de résineux, littéralement des champs d’arbres, mais qui sont en conséquence très susceptibles aux ravageurs… et aux incendies. Sous couvert de compétitivité de la filière, les patrons de la filière bois (la FNB, membre du Medef) font pression pour pouvoir s’approvisionner à leur prix et à leurs conditions dans les forêts publiques. L’affaiblissement de l’ONF et l’injonction qui lui est faite d’équilibrer ses comptes avec les recettes de ventes de bois conduisent ainsi à une surexploitation de ces forêts publiques, au détriment de leurs autres rôles, notamment environnemental.

L’aggravation des conditions climatiques et météorologiques ces dernières années, la sécheresse notamment, sont indéniables. Pour autant, l’extension des incendies de forêts est-elle une fatalité ?

H. D. : Le dérèglement climatique menace nos forêts, avec des risques de cascades de perturbations incluant sécheresses, tempêtes, attaques de scolytes et méga-feux. Les taux de mortalité des arbres augmentent déjà. L’accentuation des sécheresses est une des causes de ces mortalités croissantes. Le dernier rapport du Giec conclut que les changements climatiques augmentent très fortement le risque d’incendies de forêt du fait de l’augmentation des températures et du dessèchement de la végétation. L’occurrence et la gravité des incendies se sont déjà accrues sous ces effets dans certaines zones du monde, comme en Californie.

En France, nous avions limité ce risque par des progrès notables dans les mesures de prévention et de défense des incendies de forêt, notamment grâce au travail de nos services publics. Or, aujourd’hui, ces services publics sont menacés.

Mais il n’y a aucune fatalité. Nous pouvons réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre (GES) si nous sortons de la logique d’accumulation du capital qui sous-tend la société de consommation qui ne profite qu’à une minorité. L’immense majorité ne vit pas dans l’abondance, mais expérimente déjà une sobriété contrainte ! Enfin, nous pouvons adapter nos sociétés aux changements qui auront lieu si nous nous en donnons les moyens. Mais, pour cela, il faut une volonté forte de s’attaquer aux logiques du capital et de resocialiser nos biens communs comme la forêt.

A. R. : Les feux, dès lors qu’ils sont naturels et interviennent à des intervalles de dizaines d’années, correspondent à un processus normal de régénération d’un certain nombre d’arbres forestiers, en éliminant les arbres âgés au profit de nouvelles pousses et en liquidant leurs ravageurs. Mais, aujourd’hui, la fréquence des incendies est tout autre et menace la pérennité des forêts. Pour autant, ce n’est pas une fatalité ni de les voir partir et ni se développer comme cet été, en majeure partie la conséquence de la politique gouvernementale.

La politique de plantations monospécifiques en vue de récolter le plus rapidement possible du bois augmente le risque, alors que des plantations mélangées de résineux et feuillus apparaissent moins propices aux incendies.

La Fédération CGT des services publics a aussi pointé le fait que la flotte française de bom bardiers d’eau composée de douze Canadairs d’ancienne génération, qui sont en service depuis plus de vingt-cinq ans, pour beaucoup basés loin des feux, est inadaptée pour s’attaquer rapidement et efficacement aux feux naissants

Les agents de l’ONF n’ont cessé d’alerter, de combattre le démantèlement de leurs missions. Qu’en est-il aujourd’hui, que répond le gouvernement Macron ?

H. D. : L’ONF a perdu plus de la moitié de ses effectifs depuis 1985. Le démantèlement du service public de la forêt se poursuit, avec encore des suppressions de postes dans le prochain contrat Etat-ONF.

A. R. : Les gouvernements successifs ont effectivement supprimé cinq mille emplois, soit quatre sur dix, en vingt ans, à l’ONF, et le contrat Etat-ONF imposé par le gouvernement Macron prévoit d’en supprimer cinq cents de plus d’ici à 2025. Il est significatif qu’au conseil d’administration de l’ONF, tous les représentants du monde forestier, des communes forestières à la filière bois et associations environnementales aient voté, aux côtés de tous les syndicats du personnel, contre ce plan de réduction des effectifs.

On doit aussi noter qu’en amont la recherche forestière publique est soumise à une même politique de démantèlement.

Alors que le cycle des forêts impose de travailler sur du long terme et avec des personnels permanents, par exemple pour identifier des espèces d’arbres mieux adaptées au changement climatique, les recherches Inrae sont contraintes par des projets financés sur le court terme et la multiplication des emplois précaires, au lieu de chercheurs et techniciens fonctionnaires.

Comment LFI s’insère-t-elle dans ce combat ?

H. D. : LFI est acteur des différents combats, notamment du collectif SOS Forêt et des luttes, notamment des agents de l’ONF. Elle a aussi construit un programme sur la forêt ambitieux et fouillé que l’on peut retrouver dans le livret « Forêt » (https://melenchon2022.fr/livrets-thematiques/foret/). Ce programme a été construit avec les acteurs et actrices de la forêt, associations et représentants syndicaux, suite à un travail d’auditions.

A. R. : L’exigence de rompre radicalement avec cette politique de liquidation des services publics menée par Macron, et en l’occurrence de restaurer l’ONF dans tous ses emplois de titulaires et ses prérogatives, comme le propose le livret mentionné par Hendrik, fait pour moi partie intégrante de la marche nationale annoncée par Jean-Luc Mélenchon et la Nupes pour la mi-octobre.

 

« La santé des forêts dépend de la santé des services publics et des travailleurs qui en assurent la gestion »

Hendrik Davi est le coauteur d’une proposition de loi en la matière. En quoi consiste-t-elle ? Il l’explique.

« L’idée était de partir de la crise liée aux incendies de forêt pour proposer un certain nombre de mesures. Il y a deux grandes idées dans la proposition de loi que nous avons déposée début septembre. D’abord, pour mieux gérer la forêt, nous avons besoin de plus de moyens pour les services publics de la gestion forestière et pour la recherche. L’article 4 de notre proposition de loi vise à sanctuariser les effectifs de l’Office national des forêts à leur niveau pré-tempête de 1999, et l’article 5 permet de garantir que le contrat entre l’Etat et l’Office finance l’ensemble des missions qui lui sont confiées par la loi à hauteur d’un milliard d’euros. L’article 7 de notre proposition de loi demande au gouvernement de financer un plan consacré à la recherche publique sur la résilience des forêts face aux effets du dérèglement climatique, notamment en renforçant les moyens humains et le financement récurrents aux établissements et unités qui travaillent sur ces questions.

Le second axe est de déployer une stratégie d’adaptation des forêts sur le long terme, qui ne peut pas se résumer à un programme de plantation massif d’arbres, au risque de créer des mal-adaptations, en plantant, par exemple, massivement des essences exotiques. Il faut penser une adaptation prudente de la forêt qui tienne compte de son caractère multifonctionnel : puits de carbone, gisement de biodiversité, prévention de l’érosion des sols, bois énergie, bois d’industrie et bois d’œuvre.

L’article premier de notre proposition de loi vise par exemple à inscrire dans les orientations générales de la politique forestière l’exclusion de certaines pratiques sylvicoles des objectifs de gestion durable.

Ainsi, les pratiques sylvicoles telles que les plantations monospécifiques, les coupes rases et la conversion de forêts diversifiées en plantations monospécifiques ne peuvent être considérées comme relevant d’une « gestion durable ». Elles ne devraient pas être contenues dans des documents de gestion et bénéficier d’aides publiques.

Plus largement, nous le voyons bien, la santé des forêts dépend de la santé des services publics et des travailleurs qui en assurent la gestion. Donc, se battre pour le renforcement des services publics, l’indexation des salaires sur l’inflation et la sortie de la logique capitaliste, c’est se battre pour la forêt et la biodiversité qu’elle abrite. »