« About Kim Sohee », le nouveau film de la réalisatrice coréenne July Jung
Raconter ce film, c’est raconter son actualité pour nous, celle des stages, de la surexploitation sous couvert d’apprentissage. Celle de ParcourSup où les jeunes doivent se vendre à des acheteurs qui ne sont intéressés par rien d’autre que les statistiques...
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Il y a deux parties dans le quatrième film de July Jung, jeune réalisatrice de 43 ans. Deux parties et deux héroïnes. Au milieu du film (qui dure 2 heures 15), une jeune fille se jette dans un réservoir d’eau où elle s’enfonce jusqu’à disparaître de l’écran dans une scène silencieuse et insoutenable.
Cette jeune fille s’appelle Sohee. Elle aime danser, voir ses amis. Elle n’aime pas qu’on lui marche sur les pieds. Son père est un ouvrier du bâtiment et elle étudie dans un lycée agricole. Dans sa scolarité, il y a un stage en entreprise obligatoire. Ce stage, elle le fait dans le centre d’appel d’une entreprise d’internet qui s’appelle…. Devinez ? « Human & net ».
Nous sommes en Corée du Sud et, on le sait, les centres d’appel sont une spécialité du pays. Celui où Sohee commence son stage regroupe des dizaines de jeunes filles stagiaires. Comme dans tous les centres d’appel (et pour tous les emplois en télétravail) les salariées sont surveillées à distance par des managers qui sont sans cesse sur leur dos.
Les stagiaires ne peuvent pas toucher leurs primes à la fin du mois pour qu’elles ne soient pas tentées de démissionner avant la fin de leur contrat tellement les conditions sont infectes. Or il ne faut pas qu’elles démissionnent car ce n’est pas bon pour le taux d’emploi de l’entreprise. Sohee se révolte et se fait virer pendant 3 jours de son stage qui est obligatoire pour sa scolarité. Quelque chose, en elle, de l’espoir, de la vie, s’étiole. Dont elle ne peut parler à personne. Elle s’affaisse jusqu’à sa noyade.
Un appel à la révolte
Commence alors la deuxième partie du film. L’héroïne de cette deuxième partie s’appelle Oh Yoo-Jin. Elle est inspectrice de police et enquête sur la mort de Sohee. Le film raconte alors la révolte de Oh Yoo-Jin alors que la détresse des parents de Sohee se heurte à la direction de « Human & Net », à la direction du lycée, à l’administration de l’Instruction, à la direction de la police.
Pour tous ces coupables, Sohee « avait des problèmes de comportement ». Sohee « buvait ». En un mot, c’est de sa faute. Qu’on ne vienne pas chercher des poux dans la tête des entreprises coréennes… Ou autres ! Au point que Oh Yoo-Jin découvre qu’elle est un peu Sohee et qu’on ne peut accepter que les rouages du capitalisme broient la jeunesse qui veut vivre et danser. Et qu’elle balance son poing dans la figure de son responsable qui exige qu’elle classe l’affaire !
Et July Jung nous raconte cela sans effets, sans sentimentalisme apparent. Avec une rare efficacité. Parce que c’est intolérable. La manager de Sohee est glaçante. Ses petites phrases enterrent une jeune fille en 5 minutes. Tous ces managers sont des assassins. Et celui qui n’en était pas un, celui qui voulait être un lanceur d’alerte, se suicide. Mais la révolte n’est pas morte.
Raconter le film, c’est raconter son actualité pour nous, celle des stages, de la surexploitation sous couvert d’apprentissage. Celle de ParcourSup où les jeunes doivent se vendre à des acheteurs qui ne sont intéressés par rien d’autre que les statistiques. About Kim Sohee appelle à la révolte sociale, à la révolution.