Reforme des LP : Macron, veut livrer 1 million d’élèves aux patrons

Emmanuel Macron s’est rendu, jeudi 4 mai, à Saintes, pour faire ses annonces de la réforme de l'enseignement professionnel. Des centaines étaient là contre et pour défendre leurs élèves, leurs enfants, malgré les interdictions de manifester. Nous revenons cette semaine sur ce qu'est cette conquête de la classe ouvrière que Macron veut dessouder.

Salle de cours du lycée du Dolmen à Poitiers (photo AFP).
Par correspondant
Publié le 13 mai 2023
Temps de lecture : 5 minutes

Les lycées professionnels sont depuis 2022 sous la double tutelle du ministère de l’Education nationale et de celui du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion. Personne ne s’étonnera donc de la présence à cette occasion de Pap Ndiaye, d’Olivier Dussopt et de leur ministre déléguée conjointe à tous deux, Carole Grandjean. Malgré toutes les précautions prises, les interdictions de toute manifestation, de toute coupure de courant ou de toute casserole, ils n’ont pas échappé à la détermination des personnels rassemblés avec leurs organisations syndicales et avec tous ceux qui s’opposent toujours à la réforme des retraites et à présent à toute la politique menée par ce gouvernement.

Dans son discours, Emmanuel Macron affirme que « les formations en lycée professionnel doivent être, comme l’apprentissage, le reflet de la réalité du monde professionnel d’aujourd’hui ».

Il ajoute : « On était bloqué entre 200 et 250 000 (apprentis). Au moment où je vous parle, on a passé les 830 000, par an, malgré la crise Covid, malgré les difficultés économiques, parce qu’on a fait une réforme en profondeur. (…)

« On a simplifié, on a associé les branches professionnelles, on a simplifié les aides, on les a clarifiées, on les a renforcées. (…) Il n’y a aucune raison qu’on ne sache pas faire pour le lycée professionnel et on va se donner les moyens parce qu’en plus de ce que la nation investit aujourd’hui, on va mettre 1 milliard d’euros par an en plus sur le lycée professionnel (…). »

Et, après avoir détaillé les principales mesures de sa réforme (voir encadré ci-dessous), il conclut : « J’entends beaucoup de voix qui s’élèvent. Alors, on vous dira que tout ça est une privatisation, je connais par cœur tous les arguments ; qu’on est en train de donner le lycée professionnel aux entreprises (…). » Tout est dit…

L’objectif avoué est d’en finir avec l’enseignement professionnel tel qui est bâti depuis plus d’un siècle

L’enseignement délivrant les diplômes et titres de la voie professionnelle (CAP, bac pro) relève depuis plusieurs décennies des lycées professionnels. Dès la fin du XIXe siècle, la nécessité d’une main-d’œuvre qualifiée se pose. En 1880, la loi dite des écoles manuelles d’apprentissage permet l’ouverture des premières écoles nationales professionnelles. S’ensuivent la création du CAP en 1911, l’institution des cours professionnels rattachés au ministère de l’Instruction publique par la loi Astier en 1919, la création d’une taxe d’apprentissage pour financer la loi Astier en 1925. Progressivement, s’opère la transformation des centres d’apprentissage en collèges et lycées d’enseignement techniques en 1959 avec la réforme Berthoin, les LEP (lycées d’enseignement professionnels) en 1976 puis les LP (lycées professionnels) en 1985.

En 1960, quinze ans après la Libération, le CAP comprend 5 360 heures d’enseignement général et technique, dure 3 ans sans aucun stage en entreprise et les plateaux techniques mis à disposition des élèves permettent de former une main-d’œuvre de plus en plus qualifiée et instruite.

3 000  heures d’enseignement perdues depuis 60 ans

En 60 ans de contre-réformes, près de 3 000 heures d’enseignement ont été perdues et jusqu’à 22 semaines de stages en entreprise ont été ajoutées au programme, fragilisant tout le dispositif de la formation professionnelle initiale.

Avec la loi du 5 septembre 2018 de Muriel Pénicaud et d’Emmanuel Macron « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », le processus visant à livrer la formation professionnelle aux patrons s’est accéléré.

En effet, avec cette loi, les entreprises sont désormais autorisées à ouvrir leur propre centre de formation et d’alternance privé en concurrence directe avec les lycées professionnels. Le nombre de CFA a été multiplié par trois pour atteindre les 3 000 en 2021. En dehors des dispositifs de reconversion et de promotion, deux types de contrats d’alternance sont signés : le contrat d’apprentissage et le contrat de professionnalisation. L’opération est extrêmement lucrative puisque pour chaque contrat signé, des milliers d’euros sont versés à l’entreprise par France Compétences pour financer la formation et une partie de la rémunération de l’apprenti.

Les élèves, bacheliers et étudiants qui n’ont pas pu accéder à la filière de leur choix à cause de ParcourSup et à présent MonMaster sont orientés directement ou indirectement vers des contrats d’apprentissage dont le nombre a explosé dans le supérieur. Tout confondu, ils sont passés de 500 000 en 2019 à près de 1 million fin 2022.

35 milliards d’aides publiques aux entreprises pour l’apprentissage en 3 ans

En 3 ans, ce sont près de 35 milliards d’euros d’aides et de subventions qui ont été versés au titre de l’apprentissage aux entreprises. Depuis le 1er janvier 2023, un montant unique de 6 000 € est versé par contrat d’apprentissage ou de professionnalisation sans condition d’âge ou de taille de l’entreprise pour le financement de la rémunération.

Le projet de loi de finances 2023 adopté par 49.3 prévoit 11,9 milliards pour l’apprentissage sur un budget de 30,7 milliards d’euros du ministère du Travail. Une progression de 6,7 milliards d’euros par rapport à 2022 qui s’explique par la volonté du gouvernement d’augmenter encore le nombre de contrats signés en 2027 et d’atteindre le « plein emploi » d’ici à la fin de la mandature.

L’argent public est donc légalement distribué aux patrons pour payer des apprentis qui seront exploités, essorés puis jetés. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg puisqu’un rapport de l’Ires/Ifrap écrit que 157 milliards d’euros ont été affectés aux entreprises en 2019 au titre de la voie professionnelle, avant les aides exceptionnelles Covid. En 2021, il s’agissait de 207 milliards d’euros (source : Clerse). La Cour des comptes, dénonçant les effets d’aubaine pour les entreprises, recommandait pourtant de supprimer ces aides.

L’apprentissage a pu favoriser l’insertion professionnelle des jeunes, en particulier de ceux sortis prématurément du système scolaire, mais il ne s’était jamais substitué à la formation professionnelle initiale sous statut scolaire.

L’objectif aujourd’hui est de livrer totalement la formation professionnelle initiale aux entreprises pour leur permettre de disposer d’une main-d’œuvre quasiment gratuite et de substituer aux diplômes et titres professionnels de simples compétences (certifications).

Comme l’a exprimé un professeur de lycée professionnel de Saint-Nazaire : « Avec cette réforme, on enferme les élèves, on brise leurs rêves et avec si peu de cours, on leur claque toutes les portes au nez. Ce sont des jeunes qui ne pourront pas évoluer, et qui auront beaucoup de mal à sortir de leur condition de manœuvre. On ne peut pas sacrifier ainsi une partie de la jeunesse. »

Les principales mesures de la réforme Macron
  • La contre-réforme des lycées professionnels prévoit d’introduire dès la classe de 5e des heures visant à informer sur le monde du travail avec l’objectif qu’un maximum d’élèves s’oriente vers la voie professionnelle par apprentissage à la sortie de 3e. Il veut donc faire entrer les collectivités locales et les entreprises au collège.
  • Les cartes de formations seraient revisitées par bassin d’emploi afin d’offrir prétendument plus de débouchés aux élèves. Les formations n’insérant pas seraient abandonnées. Quid des professeurs de lycées pro ? Les diplômes et certifications deviendraient locaux (explosion du cadre national des diplômes).
  • Les entreprises seraient associées à la gouvernance des établissements avec la mise en place d’un bureau des entreprises dans chaque lycée. Les lycéens auraient plus de cours avec des professeurs associés issus du monde professionnel.
  • Rognant encore sur l’enseignement général, la durée des périodes de stage en entreprise augmenterait de 50 % dès la rentrée 2023. Elles durent actuellement de 12 à 16 semaines en CAP selon les spécialités et sont de 22 semaines en bac professionnel. Prise en charge par l’Etat et non par l’employeur, une rémunération serait versée aux lycéens de 50 à 100 € par semaine de stage effectué, soit de 1,43 € à 2,86 € de l’heure !
  • Enfin, pour récompenser les professeurs qui accepteraient de mettre en œuvre la réforme, il prévoit la signature d’un pacte. Le gain annoncé en primes serait de 100 à 780 € par mois.