« La démocratie, c’est au peuple de choisir »

Depuis le coup d’Etat, diverses menaces économiques et militaires ont été brandies ou appliquées contre le Niger par la Cédéao, l’Union africaine, la France, les USA... Un syndicaliste du Niger répond à nos questions.

Réunion de syndicalistes à l’initiative de l’Entente internationale des travailleurs et des peuples (EIT), à Niamey, le 12 août (Photo correspondant).
Par > Verbatim
Publié le 16 août 2023
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Quelle est la situation et comment est-elle vécue par la population et les travailleurs ?

L’ensemble des populations et des travailleurs nigériens estime que ce sont des sanctions injustes et inhumaines qui n’ont d’autre objectif que de maintenir encore dans la misère les populations meurtries déjà par dix années de mauvaise gouvernance de l’ancien régime. Les populations nigériennes sont sorties massivement pour soutenir ces militaires parce qu’ils sont déçus et meurtris par la gouvernance de ces régimes-là.

La fermeture des frontières, les sanctions économiques, y compris la prétention d’aller vers une intervention militaire…, ça n’a jamais été prévu dans les textes de l’instance communautaire de la Cédéao. Normalement, c’est un outil d’intégration économique et non pas un outil pour faire la promotion de la violence. Donc, je pense que ce sont des décisions prises sous le coup de la passion et que ces organisations ont intérêt à revoir leurs positions

Aujourd’hui, la vie se passe normalement à Niamey. Les gens vaquent à leurs occupations, contrairement à ce que veulent faire croire certaines chancelleries telles que la France qui ont fait évacuer leurs ressortissants. Macron pense qu’à travers ça, il va obtenir l’adhésion du peuple français, mais, en réalité, c’est faux.

Je voudrais profiter de cette occasion pour informer l’opinion française qu’il n’y a aucune menace, que les citoyens français, et des autres pays, vivent très bien en harmonie avec les populations nigériennes. Ce que les Nigériens condamnent, c’est l’ingérence du gouvernement français, de Macron, dans la gouvernance de nos Etats et la présence des forces françaises qui ne sert absolument à rien.

Le problème, c’est avec le système qui a été mis en place par ces gouvernements impérialistes. Ils n’ont pas besoin de faire évacuer leurs ressortissants, personne n’a de problème avec eux, c’est un faux problème. Il faut que l’opinion le sache et je voudrais qu’il y ait une large diffusion de cet aspect.

Aujourd’hui dans toutes les régions du Niger, les manifestations sont en train de se passer de jour comme de nuit, car les gens s’insurgent contre ce qu’on peut considérer comme une agression. Vouloir rentrer dans la gestion interne des Etats ?

La démocratie, c’est au peuple de choisir, pas à l’extérieur du pays de lui imposer quoi que ce soit. La mauvaise gouvernance de la question sécuritaire, c’est les Nigériens d’abord qui la vivent, ainsi que toute la sous-région, avec le Mali et le Burkina Faso. Nous vivons ça dans nos chairs, et c’est à nous de décider ce qui est bon pour nous. La France, les USA, la Cédéao, ne devraient pas être là pour protéger des amis, ils devraient être du côté du peuple s’ils veulent être du bon côté de l’histoire.

Sous la présidence de Bazoum, de nombreux emprisonnements politiques et répressions policières ont eu lieu, en même temps que le gouvernement se refusait à appliquer les accords pourtant signés avec les syndicats (harmonisation du régime indemnitaire, recrutement des agents contractuels de la fonction publique, prime spéciale de départ à la retraite, paiement des arriérés de salaires, valorisation du point d’indice et du Smic…). Est-ce que ce nouveau gouvernement répond à ces revendications démocratiques et sociales ?

Par rapport aux revendications qui n’ont pas été prises en charge par l’ancien régime, nous pensons que l’Etat est une continuité et que ce nouveau pouvoir va devoir y répondre. Dans ses déclarations, le CNSP a fait ressortir tous les aspects qui ont fait échouer l’ancien régime : la mauvaise gouvernance, la gabegie financière, la corruption, l’instrumentalisation de la justice, la mauvaise gestion de la crise sécuritaire, la libération extrajudiciaire de terroristes…

Donc, nous pensons que les nouvelles autorités doivent mettre en place des institutions fortes, à savoir une justice indépendante qui ne sera pas à la solde de ceux qui sont au pouvoir. C’est ce que nous attendons, afin que la lumière soit faite sur beaucoup de dossiers qui sont là, notamment des individus qui commettent des détournements de fonds publics et continuent à se pavaner impunément.

Aujourd’hui, le gouvernement est mis en place et nous allons l’accompagner pour gérer d’abord la question sécuritaire préoccupante, et le reste viendra. Il faut comprendre que la situation sécuritaire s’est dégradée avec les interventions militaires des forces étrangères. Ce n’est pas pour rien que les populations demandent leur départ.

Ce n’est plus possible de ramener Bazoum à la présidence du Niger, de demander de ramener un régime déchu, ça ne s’est jamais passé. Quand il y a eu un coup d’Etat en 2010 pour destituer Mamadou Tanja qui voulait briguer un troisième mandat en passant outre la Constitution, Bazoum avait pris le micro à l’époque pour saluer l’arrivée de l’armée sur la scène politique. Mais aujourd’hui quand son tour est venu, il s’en insurge. Où est le sérieux ?

Les USA appuient à la fois la Cédéao pour « rétablir l’ordre constitutionnel » (par les armes) tout en envoyant à Niamey la numéro deux de la diplomatie américaine, Victoria Nuland. Après avoir discuté ce 8 août avec les responsables du CNSP, elle rapporte « (qu’ils) comprennent très bien les risques que fait courir à leur souveraineté une invitation de Wagner » . Cette guerre par procuration qui se prépare au Niger apparaît avant tout comme l’expression des rivalités interimpérialistes pour des positionnements géo-stratégiques. Comment empêcher cette guerre ?

C’est effectivement une guerre par procuration, et tout le monde est unanime pour dire que la France est derrière ça. Le Niger, le Nigeria, le Bénin, le Burkina Faso, le Mali, etc., ce sont les mêmes communautés. Vouloir les manipuler pour qu’elles se fassent la guerre, c’est de l’irresponsabilité pour tous ceux qui sont dans ce schéma. Telle est la mission des puissances impérialistes, et la France continue la provocation avec les violations de notre espace aérien.

La France est en train de prendre beaucoup de risques, elle risque de tout perdre en Afrique, je vous assure. Parce que le Niger est fortement soutenu en Afrique par les travailleurs, les jeunes, et des voix de soutien s’élèvent prêtes à riposter par quelque manière que ce soit si le Niger est attaqué.

Cette guerre, s’ils vont la mener, ça va être une guerre dévastatrice parce que ça va déstabiliser toute l’Afrique de l’Ouest, mais aussi la France et l’Europe.

L’Organisation internationale de l’immigration sait qu’il y a des milliers d’immigrés qui sont retenus sur le territoire nigérien. Mais dans une situation de guerre, qui va les retenir ?

Et puis vous ajoutez à cela les conséquences de la guerre sur les populations qui fuiraient la guerre. On ne sait pas où ça va aller, mais ça peut déboucher sur un conflit mondial. Donc, Macron doit faire extrêmement attention.

Le 8 août