Les naufragés du rail

Où mène la privatisation du SNCF ? Les « avaries matérielles » se multiplient. Intercités, TER, TGV… tous les trains sont touchés. En cause, la « cannibalisation » des rames, destinée à faire des économies sur le matériel.

En 2012, des voyageurs du train entre Cerbère et Paris sont évacués, à la suite de la panne de leur train. Aujourd’hui ces incidents se multiplient. (AFP)
Par Pierre Valdemienne
Publié le 27 janvier 2024
Temps de lecture : 2 minutes

Vendredi 19 janvier, le train Intercités Paris-Clermont-Ferrand avec à son bord 700 passagers a été victime d’une panne de locomotive, occasionnant un retard de 8 heures : il aura fallu 11 heures pour rejoindre la capitale historique de l’Auvergne. Au lieu d’arriver à 22 h 30, les passagers atteindront la destination à 6 h 30 du matin. En plein épisode de grand froid, les 700 passagers auront donc passé la nuit dans des conditions climatiques extrêmes.

Trois jours plus tard, lundi 22 janvier, un train TER reste à l’arrêt pendant 2 heures en gare de Clermont (Oise). Le même jour, le train TGVLa Rochelle-Paris accuse un retard de 8 heures après : il aura fallu 10 heures pour rejoindre la capitale. Des personnes âgées, des handicapés, des femmes seules avec des enfants en bas âge… laissés à l’abandon en rase campagne, sur une voie de garage, pendant des heures.

Pour faire des économies, la SNCF a trouvé la solution : la « cannibalisation » des rames

Des « avaries matérielles », comme elles sont nommées pudiquement dans le jargon de la SNCF, les voyageurs qui empruntent le train en rencontrent tous les jours depuis quelque temps. Intercités, TER, TGV… tous les trains sont touchés. En cause, la « cannibalisation » des rames, destinée à faire des économies sur le matériel.

Dans une discussion avec le personnel de bord – à qui il faut tirer un coup de chapeau pour leur sang-froid et leur sens du dévouement, l’un d’entre eux explique : « C’est à cause de la “cannibalisation” des rames ! Pour faire des économies, la SNCF récupère les pièces sur des rames qui ne sont plus en service pour les utiliser sur des rames en fonction. Dès le départ du trajet, le conducteur savait qu’il y avait un moteur défectueux et qu’il y avait potentiellement un risque de panne. Mais il a reçu ordre de partir quand même… ».

La « cannibalisation » des rames, un plan d’avenir que la direction de la SNCF a prévu de généraliser dans les années qui viennent.

L’hebdomadaire Le Point (22 septembre 2023) nous apprenait ainsi que « la SNCF va prolonger la vie d’une centaine de rames pour augmenter son offre de sièges sur les trains à grande vitesse, de l’ordre de 30 % d’ici à 2030. (…) Botox, c’est le nom de cette opération que la SNCF vient de présenter. (…) Objectif, selon les cas, réaliser une rénovation à mi-vie ou en fin de vie pour prolonger leur durée de circulation de 2 à 10 ans. (…) il est difficile de chiffrer le coût de Botox, évalué entre 500 millions et un milliard d’euros. 500 000 pièces de TGV sont ainsi réparées tous les ans plutôt que d’acheter du neuf. Cela représente une économie d’un demi-milliard d’euros par an. Dans ce cadre, 19 rames (hors Botox) seront garées en tant que “magasin” d’ici 2025-2026 : des pièces y seront récupérées et utilisées dès 2025 et jusqu’en 2042 dans cette “cannibalisation”.  »

« Cannibalisation » … le terme utilisé veut tout dire… La recherche effrénée d’économies pour faire de la SNCF une entreprise « rentable » dans le cadre des réformes successives de privatisation du rail – et dont la « réforme ferroviaire » de 2019 a accéléré le processus – mène à tout : jusqu’à la « cannibalisation » des rames ! La conséquence : des milliers de voyageurs subissent chaque jour des « retards » intolérables et insupportables.