1924-1925 : grève des « Penn Sardin » et élections municipales
Les ouvrières d’usine de Douarnenez se sont mises en grève pour l’augmentation du salaire et le paiement horaire. Elles ont tenu bon. Et les patrons durent leur céder. L’une d’elles accepta ensuite de se présenter sur la liste pour les élections municipales.
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Du 21 novembre 2024 au 6 janvier 1925 : évènements de la grève
En 1924, à Douarnenez, plus de 2 000 femmes sont employées dans les vingt et une conserveries de poisson de la ville portuaire. Elles y sont étêteuses, huileuses, bouillotteuses, emboîteuses, saleuses, femmes de corvée… Les usiniers les embauchent ou les renvoient chez elles : c’est la « marée qui décide »…
Le 21 novembre, « 40 manœuvres et 100 ouvrières quittent leur travail et parcourent la ville en chantant des hymnes révolutionnaires, dans le but d’amener les autres ouvrières et ouvriers à se joindre à eux. Ce qu’ils font, puisque le 25 novembre (…), 1 606 ouvrières ont cessé le travail »1Maurice Colas, Luttes politiques et sociales à Douarnenez. 1890-1925, cité dans Les Cahiers du Cermtri, nos 173-174, disponibles à la Sélio..
Ce sont les ouvrières de l’usine Carnaud, qui produit des boîtes de conserve, qui cessent le travail les premières.
Les Penn Sardin (« têtes de sardine », celles qui travaillent coiffées d’un fichu de dentelle blanche) entrent en grève pour l’augmentation de leur salaire horaire. Elles exigent 25 sous d’augmentation de l’heure. Elles tiendront jusqu’à ce que les patrons cèdent, le 6 janvier 1925.
Vingt ans auparavant, en février 1905, les ouvrières avaient cessé le travail parce que payées depuis toujours au mille de poisson. Or, « avec le travail à l’heure, on sait ce que l’on gagne. Avec le travail sur pièce, nous sommes toujours volées », comme l’explique Angélina Gonidec, secrétaire générale du Syndicat des ouvrières sardinières de Douarnenez, né de la grève de 19052Dans l’édition du 19 septembre 1905, le journaliste du Petit Parisien interviewe les sardinières..
C’est le syndicat qui organise l’action revendicative
« Dans le syndicat, on ne s’occupe que des questions de travail et des intérêts des ouvrières, qui restent absolument et entièrement libres de penser comme elles le veulent, d’aller à la messe, de faire baptiser leurs enfants, de remplir tous leurs devoirs religieux.
Ne vous laissez donc ni effrayer ni tromper. Venez toutes au syndicat des ouvrières sardinières avec la plus grande confiance » annonce une affiche placardée dans le modeste local du syndicat (lire ci-dessous).
Elles sortent dans les rues de Douarnenez pour exiger le salaire horaire. Le 5 février, elles sont 3 000 à battre le pavé ! Alors, les patrons ne s’y trompent pas et, le 11 février, Charles Chancerelle (dont l’entreprise existe toujours sous la marque Connétable) cède le premier. Saupiquet, Béziers, Parmentier et tous les autres patrons le suivront dès le lendemain.
1924 : Pem rel avo ! (nous voulons 25 sous !)
Remarquons que, à cette date, les ouvrières des conserveries n’exigent pas les salaires des hommes. Mais elles ne peuvent plus continuer à travailler pour un salaire horaire (1 franc) qui correspond au prix d’un litre de lait !
Chaque jour, les sardinières battent le pavé de leurs sabots, aux chants du mouvement ouvrier en remontant par le quartier des usines Béziers, Amieux, Chancerelle, Carnaud et Chemin. Le maire communiste de la ville, Daniel Le Flanchec, manifeste avec les ouvrières, ceint de son écharpe. Il a mis à disposition la salle de la mairie où se réunit chaque jour le comité de grève ainsi que la halle pour les réunions et les meetings dès le premier jour ; son soutien lui vaut d’être suspendu de son mandat par le Conseil d’État « pour entrave à la liberté du travail ».
Les marins-pêcheurs se mettent en grève plusieurs jours
Pendant tout le temps que dure le conflit, les marins-pêcheurs décident de « faire leur part de grève » à chaque retour de marée. De même, les paysans des villes alentour livreront par roulement leur production. Le comité de grève est chargé d’approvisionner les grévistes.
Le préfet prend ouvertement fait et cause pour les usiniers. Mais, malgré toutes les pressions et les pièges, les grévistes ont décidé de tenir :
« Vous avez lu l’affiche des patrons, Anne-Marie ?3Cité par Lucie Colliard dans sa brochure Une belle grève de femmes.
– Oui, 18 sous qu’ils nous offrent ! Et au 1er janvier encore ! Il faut rentrer sans augmentation !
Ils se fichent de nous. Ils peuvent nous attendre !
– Ils s’imaginent cependant que si nous n’étions pas là, ils vous feraient céder…
– Nous leur en avons tant donné l’habitude qu’ils s’imaginent que ça va durer. Mais justement ils sont allés trop loin : les moutons sont devenus enragés et nous les aimons, nous, ceux qu’ils appellent les “étrangers” 4Les représentants de la CGT et du PCF qui sont venus aider les grévistes. Cf. Lucie Colliard., et nous n’avons confiance qu’en eux pour nous aider à conquérir nos droits. »
Le 6 janvier 1925, les patrons cèdent
Lucie Colliard raconte : « Les potentats de Douarnenez espéraient toujours dissocier le bloc formé par les grévistes et leur comité de grève. Ce fut l’arrivée, le matin du 1er janvier, de bandits armés qui nous cherchèrent toute la journée et provoquèrent directement certains camarades attablés dans les cafés. Si les militants de Paris avaient fréquenté les cafés, ils auraient certainement été l’objet de tentatives d’assassinat semblables à celle dont Le Flanchec, le maire communiste suspendu, son neveu, ainsi que deux pêcheurs furent victimes. À bout portant, les bandits tirèrent au moins 15 ou 16 balles. Et ce fut la panique (…).
Un ordre maladroit de charger fut donné à la gendarmerie à pied d’abord, puis à la gendarmerie à cheval. C’est alors que quelque chose de grand et d’inoubliable se passa. Tous ces hommes et toutes ces femmes – oui, toutes ces femmes – résistèrent aux forces dressées contre eux. Ni les chevaux, ni les sabres nus ne les effrayaient. Et ce fut une véritable bataille, à l’issue de laquelle la force armée n’eût certainement pas été victorieuse si un contrordre ne fût venu de cesser la charge (…). »
Le 6 janvier 1925, les patrons finissent par céder. C’est la victoire ! Les grévistes obtiennent les 25 sous d’augmentation. De surcroît, les patrons devront payer les jours de grève et aucune discrimination à l’embauche à l’encontre des grévistes ne devra être intentée.
Les élections municipales se tiennent au lendemain de la grève
À partir du 3 mai jusqu’au 10 mai, se déroule le scrutin pour les élections municipales en France.
Le maire communiste de Douarnenez est candidat à sa réélection. Il constitue une liste dans laquelle, sur les 26 personnes, 19 sont des marins pêcheur et UNE est une ouvrière d’usine : Joséphine Pencalet. Elle est en 4e position éligible. Une candidature très importante dans cette période. Si importante que c’est le secrétariat international féminin de l’Internationale communiste qui en a discuté. En effet, en 1925, les femmes n’ont pas le droit de vote.
Clara Zetkin, secrétaire générale du secrétariat féminin se bat pour cette liste : « Nous avons appris de votre représentant auprès de l’Internationale que la loi électorale française sur les élections municipales n’interdit pas, dans son texte, de présenter des candidatures féminines de sorte que les femmes possèdent ainsi l’éligibilité mais n’ont pas le droit de vote actif. Contrairement à la loi sur les élections à la Chambre, des listes contenant des candidatures féminines ne pourront pas être déclarées invalides. S’il en est ainsi, votre parti devrait, pour des raisons de politique et de tactique mettre partout à la tête de ces listes des camarades femmes d’une façon démonstrative, surtout dans les arrondissements où notre parti compte conquérir la majorité. » (extrait de sa lettre à Marguerite Faussecave, membre du secrétariat féminin du PC en France qui se présente dans le XIXe arrondissement de Paris).5Citée dans le livre de Fanny Bugnon, L’Election interdite, itinéraire de Joséphine Pencalet, ouvrière bretonne, (1886-1972), p. 177.
Au soir du 1er tour, Joséphine est élue ainsi que neuf autres candidates en France : Marthe Tesson à Bobigny (93), Amélie Néant à Corbeille-Essonne, Charlotte Bouvet et Juliette Rocca à Bezons, Augustine Variot à Malakoff (92), Marie Chaix à Saint-Denis, Marguerite Chapon à Villejuif, Emily Joly et Adèle Métiviers à Saint-Pierre-des-Corps.
L’élection de Joséphine Pencalet va être annulée le 9 juin 1925 par le conseil de préfecture au motif qu’« en l’état actuel de la loi, les femmes ne sont, en France, ni éligibles ni même électrices aux élections municipales ». Décision que Joséphine Pencalet, comme ses camarades dans les autres communes, va contester auprès du Conseil d’État.
Le 30 décembre, le Conseil d’État informe le préfet de l’annulation de l’élection de Joséphine Pencalet qui aura siégé 6 mois en vertu du mandat confié par les hommes de Douarnenez.
Joséphine Pencalet a alors 39 ans et son activité politique se termine ici. Mais pas sa vie, heureusement.
Les patrons des conserveries Les riches usiniers de 1924 sont les héritiers des grandes fortunes nantaises qui s’étaient constituées au XVIIIe siècle avec la traite des Noirs. Abolie en 1815, cette activité si lucrative les laisse « sans commerce ». Alors, quand, en 1820, le Nantais Joseph Colin (1785-1824) met au point une méthode de conservation de sardines frites dans des boîtes en fer-blanc et installe une conserverie, les grandes fortunes s’y engouffrent. Le sud du Finistère, particulièrement de Douarnenez à Crozon, se couvre de conserveries. 13 500 Bretonnes, souvent de simples paysannes quittent les champs et deviennent filles d’usines dans les 160 conserveries du littoral. La plupart de ces ouvrières ont un mari ouvrier pêcheur. |
Le syndicat des ouvrières sardinières Le siège du syndicat est situé au cœur du port de Douarnenez, rue Duguay-Trouain. Il comprend exclusivement des ouvrières sardinières. Elles sont 403 adhérentes. Angélina Gonidec en est la secrétaire générale ; Augustine Joncour, secrétaire adjointe ; Mme Cloarec Laurent, née Palud, trésorière ; Jeanne Andro, trésorière adjointe ; Emilie Guéguen, archiviste. Les Membres directeurs sont Mme Le Nouy, née Trévidic ; Yvonne Kerloch ; Marianne Kerloch ; Mme Gall, née Nouy ; Mme Péron, née Cloarec ; Anna Guéguen. |