Après la conférence Palestine à Bruxelles intitulée « Initiative contre l’apartheid et la colonisation »
LA PAROLE À HENNING FREY, militant ouvrier allemand, investi dans les mobilisation contre la guerre en Ukraine et pour le cessez-le-feu à Gaza.
- Actualité internationale, Palestine
Henning, tu as participé le 19 novembre à la conférence Palestine à Bruxelles intitulée « Initiative contre l’apartheid et la colonisation ». Pourquoi ?
Henning Frey : Pour moi, comme j’imagine pour les différents participants, l’apartheid et la colonisation, c’est la situation effroyable que subit le peuple palestinien depuis 1948 avec la complicité de tous les gouvernements, avec la complicité de l’Onu et de l’Union européenne. Cet apartheid et cette colonisation poussés à leur logique extrême, c’est le génocide que déchaine depuis plus d’un an Israël contre les Gazaouis. Les Palestiniens de Cisjordanie sont soumis à la violence criminelle des colons encouragés par le gouvernement, ceux de l’intérieur n’ont jamais été autant menacés ; et maintenant, c’est le même déchaînement de violence contre le Liban.
À Cologne, d’où je viens, nous participons aux manifestations et aux meetings pour un cessez-le-feu immédiat et pour l’arrêt de livraisons d’armes. Cette dernière question est particulièrement importante parce que l’Allemagne est après les États-Unis le deuxième fournisseur d’armes vers Israël.
Selon la députée Sevim Dagdelen de l’Alliance Sahra Wagenknecht, des autorisations de livraisons « d’un montant de 45,74 millions d’euros ont été accordées en octobre. C’est plus du double en huit semaines qu’au cours des huit premiers mois de l’année. Jusqu’au 21 août, la valeur totale s’élevait encore à 14,46 millions d’euros, comme il ressortait de la réponse du ministère à ma question. »
Le combat de milliers de manifestants dans les rues en Allemagne et aussi celui de plus des 42 000, qui se sont rassemblés avec Sahra Wagenknecht le 3 octobre à Berlin, pour que cessent les envois d’armes, c’est le combat pour que cesse immédiatement le génocide. Il s’inscrit dans la même perspective entendue partout dans le monde, « From the River to the See, Palestine will be free », quoique sous la pression politique du gouvernement, ce slogan en tant que tel est interdit dans les manifs par la police et des tribunaux dans la plupart des villes en Allemagne.
D’après les discussions qu’on a eu avec beaucoup des participants de la conférence, c’est le même combat qu’ils mènent pour l’arrêt du génocide, dans leurs pays ou villes respectives Parmi eux, je veux évoquer tout d’abord ceux qui participaient à la préparation de la grande manif le lendemain de la conférence à Bruxelles contre le gouvernement belge et pour un embargo à l’encontre de Israël. D’ailleurs, Ilan Pappe, qui a été chaleureusement applaudi, se prononce également pour cette perspective.
Est-ce que l’objectif des organisateurs correspondait à ton attente ?
J’ai ressenti un problème, au début, avec l’introduction d’un responsable qui a précisé qu’une même conférence s’était tenue au Caire. Le gouvernement égyptien du général Al Sissi est connu pour sa collaboration avec Israël. Il a collaboré avec Israël pour le mur fermant Gaza au sud, il a fermé le passage de Gaza vers l’Egypte à Rafah. Sissi interdit et réprime toute manifestation en Egypte en solidarité avec les Palestiniens, mais il accueille une conférence contre l’apartheid en Palestine. Cela me fait penser aux gouvernements qui disent souhaiter un cessez-le-feu et livrent des armes à Israël.
Ensuite, les organisateurs ont expliqué qu’il s’agissait de reproduire ce qui s’est déroulé en Afrique du Sud pour en finir avec l’apartheid. Mais les accords de Kempton Park, qui ont mis fin à l’ancien apartheid en Afrique du Sud, ont mis en place un nouvel apartheid préservant le colonialisme et les privilèges de la minorité blanche.
Aujourd’hui, en Afrique du Sud, la minorité blanche possède toujours la majorité des terres pour en tirer tout le profit. Depuis 1994, date de la fin de l’apartheid, ce n’est qu’une petite partie des terres agricoles ont changé de propriétaire ; selon le journal allemand Süddeutsche Zeitung, « les quatre cinquièmes des terres agricoles sont toujours entre des mains blanches ». Les mines où on exploite les noirs sont également restées dans la propriété des blancs.
Est-ce cela que nous voulons pour les Palestiniens ? Une situation où ils sont de plus en plus dépossédés de leur terre ? Certainement pas.
J’ajoute que j’ai reçu une déclaration finale attribuée à la conférence qui n’a été ni soumise ni adoptée par les participants.
Aujourd’hui les Palestiniens sont chassés, massacrés, torturés. Est-ce qu’en se tournant vers l’Onu et vers l’Union européenne comme l’ont fait les organisateurs de la conférence, tout cela va s’arrêter ?
Depuis 80 ans, l’Onu a émis des protestations, des résolutions, qui n’ont conduit finalement qu’à accompagner l’extermination des Palestiniens. En 1982, plus de 2 000 enfants femmes vieillards palestiniens du camp de Sabra et Chatila exterminé par les phalangistes, mercenaires de l’armée d’Israël, alors qu’ils étaient soit disant sous la protection de l’Onu.
Cela ne retire rien aux déclarations courageuses de certains responsables de l’Onu pour condamner le génocide. Mais le fonctionnement de l’Onu fait que le carnage se poursuit.
Aujourd’hui, l’urgence me semble être la mobilisation pour imposer un cessez-le-feu, et cela se concentre sur l’exigence que Scholz, Biden, Macron, Starmer cessent de livrer des armes à Israël.
Sur toutes ces questions importantes, la discussion doit se poursuivre librement.