Instabilité et « esprit de responsabilité »…
Une déclaration commune, en date du 17 décembre, des secrétaires généraux de confédérations syndicales et du patronat, suscite réserves, indignation, colère de la masse des militants honnêtes qui y voient un soutien politique à un pouvoir en totale perdition.
- Actualité politique et sociale
La vie politique de ce pays, en tout cas dans les sommets, fournit ces temps derniers un spectacle étonnant avec des séquences époustouflantes de cynisme et de mépris pour la démocratie la plus élémentaire. Rejeté dans l’opinion, honni par les travailleurs, battu dans les urnes, archi-battu, à trois reprises, Macron a usé jusqu’à la corde les institutions vermoulues de la Ve République pour se maintenir, lui et sa politique sanctionnée par l’immense majorité. Il est allé chercher Barnier, un cacique du parti LR, ex-RPR, ex UMP, fort de ses 46 sièges à l’Assemblée nationale. L’enjeu était de maintenir, ou pas, la réforme des retraites, de décider, ou pas, une cure d’austérité sans précédent.
Barnier a échoué, son gouvernement censuré est tombé avec son projet de budget. Pour continuer encore, contre la démocratie, contre la masse des travailleurs, au seul bénéfice du capital financier et de ses dividendes, Macron vient de nommer Bayrou Premier ministre, chef historique des démocrate-chrétiens du Modem, parti allié de Macron depuis 2017 qui a soutenu tous ses mauvais coups et qui compte 36 députés à l’assemblée nationale, dix de moins que celui de Barnier.
Jusqu’à quand ? Le plus longtemps possible semble répondre un récent document public signé par les « partenaires sociaux », document qui se met au diapason du spectacle politique que nous subissons.
Ce 17 décembre est en effet rendue publique une lettre ouverte aux élus et responsables politiques. Ce courrier est signé du président du Medef, du président de l’U2P, du président de la CPME, trois organisations patronales, et aussi de Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, de Frédéric Souillot, secrétaire général de FO, de Cyril Chabanier, président de la CFTC, de François Hommeril, président de la CFE-CGC.
Curieux document cosigné par les représentants des organisations syndicales de salariés et les représentants des patrons. Ce n’est pas un relevé de négociations ou de discussions, c’est un texte politique, un positionnement politique.
Leïla de Comarmond, dans Les Echos, note la « dimension très politique du texte qui prend position sur la crise de gouvernement que traverse le pays et s’adresse aux élus et responsables politiques ».
Les signataires affirment que « l’instabilité dans laquelle a basculé notre pays fait peser sur nous le risque d’une crise économique aux conséquences sociales dramatiques ». Stupidité ? Naïveté ? Cynisme ? Croient-ils vraiment que les plans de licenciements qui tombent n’ont été préparés et élaborés qu’après la motion de censure ? Ils savent tous qu’ils sont préparés depuis des mois, pas un syndicaliste ne peut avaler ça.
Pas un mot sur les raisons de cette instabilité, pas un mot sur le déni de démocratie du président de la République ignorant le vote des électeurs sanctionnant dans les urnes après l’avoir exprimé dans la rue, le rejet massif de sa politique tout entière tournée vers la satisfaction des exigences du capital financier : diminuer le coût du travail, casser la protection sociale et les retraites, liquider ce qu’il reste des services publics.
Pas un mot sur le fait que Macron nomme après les élections qu’il a perdues des ministres qui les ont perdues avec lui, qui sont aussi minoritaires et rejetés que lui, et qui entendent continuer au nom de « l’intérêt général ».
Pas un mot sur le fait avéré que c’est le maintien de Macron au sommet du pouvoir avec sa politique, contre la volonté du plus grand nombre, qui engendre instabilité et crise.
Dès lors l’appel à « retrouver au plus vite le chemin de la stabilité, de la visibilité et de la sérénité » ne peut être compris que pour ce qu’il est : donner sa chance à Bayrou, ne pas gêner Macron, les laisser continuer !
Et les signataires vont plus loin, ils mettent en œuvre « l’esprit de responsabilité » dont ils se réclament, ils se mettent à disposition du pouvoir macroniste : « La voie du paritarisme qui passe par le dialogue, la négociation collective et la construction du compromis est en capacité d’apporter des réponses concrètes ». Et de mentionner leurs états de service qui en ont « récemment encore fait la démonstration ». Sans aucun doute ils font référence ici aux récents accords interprofessionnels sur l’assurance-chômage et l’emploi des seniors adaptant, rognant les droits des salariés pour les conformer à la mise en œuvre de la réforme des retraites.
On notera que la direction de la CGT n’est pas signataire de ce texte. Fort bien. Mais la direction de la CGT demande une conférence sociale et plus précisément une conférence de financement des retraites, comme le Parti socialiste. Une autre manière d’aménager la réforme des retraites plutôt que l’abroger. Un partage des rôles en quelque sorte, le même air joué sur un autre rythme avec une autre section de l’orchestre.
Dans une récente déclaration commune, toutes les confédérations se réclamaient de la défense de « l’intérêt général ». Le mandat des millions qui ont fait grève et manifesté reste l’abrogation de cette scandaleuse réforme, le mandat des millions d’électeurs qui ont défait Macron dans les élections reste l’abrogation.
Quelle que soit leur organisation les militants syndicalistes savent ce qu’est le respect du mandat et les sommets des confédérations devraient s’en convaincre au plus vite. Respect du mandat dont, comme bien d’autres et avec les conséquences que l’on sait, ils ont décidé de s’émanciper dans une association contre nature avec les représentants des patrons avec, au passage, un mépris total de la Charte d’Amiens dont ils se réclament lorsqu’ils en ont besoin.
Vont-ils, ce faisant, affaiblir les syndicats en tentant de les enchaîner au macronisme ? Le risque est sérieux mais c’est, pour le moment, peu probable lorsqu’on voit dans cette dernière période le nombre de grèves déterminées et combatives menées par les salariés de toutes les branches avec leurs syndicats pour se défendre contre les patrons et les gouvernements, pour revendiquer et pas pour des alliances honteuses.
Il est par contre beaucoup plus probable qu’ils suscitent réserves, indignation, colère de la masse des militants honnêtes et conséquents pour qui ils apparaissent, avec cette déclaration, comme les ultimes soutiens, en accord avec les patrons, d’un pouvoir en totale perdition. Une sorte de dernier petit carré, « hors sol », alors que se multiplient les prises de position pour la démission de Macron.