Les jeunes Ukrainiens se cachent pour ne pas être enrôlés. Les soldats russes désertent de plus en plus
Rencontre avec des militants de Russie et d’Ukraine en exil se revendiquant de la gauche et de l’opposition à Poutine et à Zelensky.
- Actualité internationale, Russie, Ukraine

Il semble qu’il y ait de plus en plus de difficultés pour Zelensky et Poutine à recruter des soldats pour la boucherie de la guerre en Ukraine.
Andreï : La guerre en Ukraine, qui est en fait une guerre pour conserver les territoires non occupés, nécessite de plus en plus de moyens. Et il ne s’agit plus seulement d’obtenir des armes occidentales, mais cela vise à présent les jeunes qui ne sont pas encore mobilisables. Ils ne sont pas obligés de faire la guerre, mais ils ne sont pas non plus autorisés à quitter le pays.
Il y a un mot en ukrainien (oukhilyanti) pour désigner les « réfractaires », les jeunes qui ne veulent pas aller à la guerre. Ils se cachent pour ne pas s’enregistrer dans les bureaux de recrutement. Certains tentent de passer à l’Ouest, d’autres, beaucoup moins nombreux, de partir en Russie.
Mais il faut dire aussi qu’il y a des gens qui reviennent dans les territoires occupés de la Russie. Ils n’ont pas peur de retourner dans leur maison ou leur appartement, car c’est leur propriété. Personne n’en connaît le nombre exact, mais on avance le chiffre de 200 000, ce qui fait qu’ils ont été tout simplement interdits de séjour en Russie. On cache le nombre de personnes qui ont fui illégalement vers l’Ouest, et on cache aussi le nombre de personnes qui sont retournés dans les territoires occupés pour obtenir un passeport russe, et peut-être une pension russe. Par ailleurs, pour aller à l’Ouest, il faut des autorisations.
La principale question qui se pose aujourd’hui en Ukraine, c’est donc l’abaissement de l’âge de la conscription.
Les Américains exigent tout bonnement que cet âge soit fixé à 18 ans. Aujourd’hui, Zelensky refuse, car la nation doit préserver son patrimoine génétique. En fait, il s’y prépare.
Liza : On ne connaît pas le nombre exact de déserteurs, il n’y a pas de statistiques, mais on a le nombre de procédures pénales ouvertes contre des soldats qui quittent leur unité. Il ne s’agit pas toujours de déserteurs conscients qui ont quitté le front avec leurs armes. Il s’agit de blessés qui se rendent à l’hôpital sans regagner le front ou qui vont se faire soigner dans leur propre ville moyennant un pot-de-vin. Ils ne passent pas par la commission médicale et ne reçoivent donc pas les documents nécessaires pour être renvoyés du front. Mais les commandants déclarent qu’ils ont quitté l’unité volontairement et engagent des poursuites pénales. C’est ce qui se passe pour la plupart des désertions.
Alexeï : Au cours du premier semestre de l’année 2023, les tribunaux russes étaient saisis pour 10 cas de désertion par jour, mais, en mars 2024, il y avait 34 condamnations par jour.
Andreï : Il y a un fait intéressant concernant l’Ukraine. Zelensky a publié un décret exonérant les déserteurs de toute responsabilité s’ils réintégraient leur unité avant le 1er janvier 2025. Donc, ceux qui ont quitté leur unité, les déserteurs, doivent faire l’objet d’une nouvelle enquête en vertu de cette loi sur les tribunaux militaires. On les libère en leur disant qu’ils n’ont qu’à regagner leur poste et qu’on leur laissera leurs indemnités, leurs salaires et qu’il ne leur arriverait rien. C’est un indicateur indirect très important qui montre que le nombre des déserteurs est difficile à évaluer. (…)
En Ukraine, pour attirer plus de volontaires, de soldats de rechange, ils ne peuvent pas aller plus vite qu’en Russie. Parce que les soldats ukrainiens ne sont mobilisés que par la violence. Mais, en Russie, l’argent est jusqu’à présent le principal levier. Mais la prochaine étape, ce sera le retour à la mobilisation forcée. L’impact sur la société reste une énigme. Le régime pourra-t-il y faire face ? Augmenter les rémunérations initiales devient inefficace. Les gens restent chez eux en attendant que les enchères montent encore. La hausse n’attire plus de volontaires. Les gens attendent tranquillement que le prix soit multiplié par dix.
Il semble qu’actuellement la population accepte de moins en moins la guerre
Alexeï : Oui, les enquêtes sociologiques montrent une lassitude croissante par rapport à la guerre. Un institut de sondage a déjà fait 13 enquêtes sur l’attitude des Russes à l’égard de la guerre. Ces 13 études montrent une baisse très lente du soutien à la guerre et un accroissement des opinions favorables à la paix.
A la question de savoir si la Russie devrait poursuivre la guerre ou s’efforcer de parvenir à une paix inévitable, une majorité de Russes répondent déjà par la seconde option.
Est-ce qu’il y a à votre connaissance une discussion en Ukraine et en Russie, parmi les soldats et dans la population, sur ce que veut faire Trump.
Alexeï : Naturellement. Les sociétés russe et ukrainienne vivent dans l’attente que Trump vienne mettre un terme à ce cauchemar. Et l’élite russe, la classe dirigeante, l’espère également. Elle espère de façon aussi infantile et irraisonnée que Trump va mettre fin à cette catastrophe. Les fonctionnaires du Kremlin partagent également cette idée infantile. Et même les membres de la classe dirigeante, au Kremlin, pensent que cette solution infantile de Trump est possible. Le gouvernement fort de Zelensky, les médias officiels et une partie de la société civile pensent que l’Ukraine est déjà une partie ou un Etat de l’Europe. Et c’est pourquoi ils résisteront jusqu’à la fin. Et en ce sens, l’autorité de Zelensky est plus importante que celle de Trump.
Mais, bien entendu, en tant qu’héritiers des idées de Lénine et de Trotsky, nous nous attendons à ce qu’il y ait une fraternisation sur le front et que les soldats retournent leurs armes contre leurs gouvernements. Le libéralisme va laisser place à la société civile, et le peuple ou la classe ouvrière prendra le pouvoir, mais c’est pour plus tard…
Propos recueillis le 4 décembre