Munich 1938 ?

Les va-t’en guerre de tout bord, dont Bruno Jeudy, directeur de La Tribune Dimanche, s’écrient en chœur « C’est Munich ! », en allusion à la capitulation des « démocraties occidentales » devant Hitler en septembre 1938. 1938 ? Parlons-en…

Le directeur de "La Tribune du Dimanche", Bruno Jeudy, ici en compagnie de Nicolas Sarkozy, en novembre 2022 (photo Magali Cohen / Hans Lucas via AFP)
Par Jean-Marc Schiappa
Publié le 6 mars 2025
Temps de lecture : 3 minutes

A chaque crise internationale majeure, il faut trouver une justification à la politique réactionnaire. En général, comme ces gens-là ont une bien faible imagination, ils poussent à intervalles réguliers le bon vieux cri « C’est Munich ! », en allusion à la capitulation des « démocraties occidentales » devant Hitler en septembre 1938 – oubliant, au passage, que ce sont leurs ancêtres qui ont capitulé.

Il y a eu le socialiste Guy Mollet comparant le nationaliste égyptien Nasser à Hitler en 1956 ; la même comparaison a été faite, entre autres, contre Khadafi (avant qu’il ne soit reçu – et un peu plus – par Sarkozy), contre Saddam Hussein (en négligeant qu’il avait été aidé par l’impérialisme dans la guerre contre l’Iran) ; contre les dirigeants de l’ex-Yougoslavie (qui ne privatisaient pas assez vite).

Bref, si vous n’applaudissez pas à l’impérialisme, on hurle contre vous « Munichois ! » Quant à savoir qui est le Munichois du moment, il suffit de regarder où flotte la chemise blanche de BHL.

Aujourd’hui, c’est le bon réactionnaire Bruno Jeudy qui se colle à la besogne : « Il flotte en ce mois de février 2025 un parfum de Munich en septembre 1938 », écrit-il dans La Tribune du 23 février 2025.

Parce que Trump, qui a besoin de frapper encore plus fort, plonge Macron et l’Union européenne dans une crise existentielle, Bruno Jeudy reprend le sentier de la guerre (qu’il ne fera pas, évidemment). Avec la vivacité de l’amoureux éconduit, il s’indigne. Et change son fusil (en carton) d’épaule : maintenant, il faut défendre Macron, et non plus les USA, après avoir défendu Sarkozy, Fillon, et en attendant…

Si vous ne soutenez pas Macron, vous respirez l’air de « Munich ». Une guerre ? Des centaines de milliers de morts ? Des pays à feu et à sang ? Une menace nucléaire ? Des économies par terre dans tout le continent ? Munichois, vous dis-je !

Et, pourtant, il existe dans l’indignation périodique de Bruno Jeudy et des siens un fond de vérité.

Il flotte bien, non un parfum de Munich, mais un parfum de 1938.

En effet, contrairement à ce que l’on pourrait croire et à la formule bien connue du réactionnaire Charles Maurras, l’avènement du régime de Vichy en 1940 ne fut pas « une divine surprise ».

Le passage à l’ordre vichyste avait été préparé par de longues années de démoralisation du mouvement ouvrier, dirigé par le socialiste Blum (imposant « une pause dans les réformes ») et le communiste Thorez (« il faut savoir terminer une grève »). Une fois que ces derniers – « la gauche officielle » en somme -, avaient fait leur travail, ce fut un vulgaire politicien bourgeois, le radical Edouard Daladier, qui s’installa au pouvoir et prépara le terrain à Vichy.

Il suivit un programme très simple, combinant trois aspects bien connus des lectrices et lecteurs d’Informations ouvrières : destruction des conquêtes sociales, attaques contre les libertés, politique explicitement xénophobe.

Utilisant la crise internationale pour des besoins de politique intérieure (tiens !), le gouvernement Daladier obtient les pleins pouvoirs, le 5 octobre 1938, afin de prendre « les mesures tendant au redressement immédiat de la situation financière et économique du pays » et revient sur la semaine de 40 heures. Le patronat jubile : on en a fini avec la semaine des « deux dimanches » !

Alors que les chefs syndicaux répugnent au combat (tiens !) et lancent l’appel à la grève générale à reculons et sans volonté, celle-ci a lieu le 30 novembre. Mal préparée, elle est le prétexte à des milliers de licenciements de militants syndicaux et elle prépare l’interdiction d’organisations ouvrières l’année suivante.

Très logiquement, Daladier s’en prend aux travailleurs immigrés et promulgue une loi détaillée contre ceux-ci sur la base d’une propagande raciste, notamment de la grande presse1Le site marxists.org publie la brochure de l’organisation trotskyste Parti ouvrier internationaliste de juin 1938 qui est titrée Une loi barbare. Nos camarades écrivaient : « Le sous-prolétariat des travailleurs immigrés est l’une des plus puissantes colonnes de la Révolution française ». Ils se prononçaient pour l’abrogation du décret-loi du 2 mai 1938 et pour l’égalité pleine et entière entre travailleurs de toutes origines.. Comme l’a montré l’historien Gérard Noiriel2Gérard Noiriel, Les origines républicaines de Vichy, Fayard, 1999., Vichy n’aura qu’à puiser dans les textes, les fichiers des personnes, les camps de concentration, les fonctionnaires mis en place, le matériel, pour faire appliquer sa politique. Il y a profonde continuité entre la xénophobie de Daladier et celle de Vichy.

Alors, connaîtrions-nous un parfum de 1938 ? Non, la résistance acharnée des travailleurs et des peuples prend diverses formes et trouve, en France, dans LFI, une force politique de rupture, implantée et impliquée, une force grandissante, de plus en plus solide.

Voilà pourquoi Bruno Jeudy a tort.

Mais il s’en fiche. Demain ou dans trois mois, on lui demandera de repousser le cri rituel « C’est Munich ! ». Et il le fera…