Macron et la classe capitaliste : forces centrifuges

« L'irresponsabilité », « l'impuissance », le « narcissisme » du chef de l'Etat exaspèrent la classe dominante. Elle ne pardonne pas à Macron la dissolution, provoquant un « chaos », une « paralysie » nuisibles à ses intérêts, et voit en 2025 « l'année de tous les dangers ».

Macron seul face au français lors de son discours télévisé, le 31 décembre 2024. (AFP)
Par Michel Sérac
Publié le 3 janvier 2025
Temps de lecture : 5 minutes

« Six Français sur dix réclament la démission d’Emmanuel Macron ». Ce n’est pas un titre de L’Insoumission ou d’Informations ouvrières. Le journal qui l’affiche, l‘Opinion, défend les intérêts des actionnaires capitalistes, il appartient à l’homme le plus riche de France, Bernard Arnault.

La Ve République de Macron est qualifiée par plusieurs médias bourgeois de « champ de ruines ». « Lui qui espérait recomposer la vie politique française a accéléré sa décomposition1« Emmanuel Macron est le premier responsable de cette situation politique inédite et hasardeuse », Le Monde, 5 décembre 2024. ».

Le président-des-riches est brocardé par les riches : il n’est plus leur solution mais leur problème. Sans qu’ils disposent, pour l’heure, d’une autre solution.

Portrait à charge

Preuve que Rome n’est plus dans Rome, que l’heure est à la panique, cet événement très rare : le journal Le Monde, si obséquieux envers les pouvoirs, se met à dire la vérité. Ou plutôt des vérités sur le chef de l’État, un portrait exclusivement à charge.

C’est « un homme qui ment », ingrat envers ceux qui l’ont fait roi, comme Gérard Collomb dont la veuve refuse de lui serrer la main, mais dont on cite la prophétie anti-Macron : « les dieux rendent fous ceux qu’ils veulent perdre ».

Macron se recueille sur le tombeau des 43 rois à Saint-Denis, pour se retrouver « seul en son destin » ; nouvelles chaises au conseil des ministres : la sienne seule porte des lettres d’or. Même le secrétaire du Palais, Kohler soupire que Macron a « perdu pied ». On montre un monarque homophobe, parlant du Matignon d’Attal comme d’une « cage aux folles », misogyne traitant les femmes politiques de « cocottes », s’adonnant au racisme ordinaire en parlant de « rabzouz », de « mamadous » dans les hôpitaux. Le favori de la cour, qui a inspiré la calamiteuse dissolution (à l’insu du Premier ministre Attal), généré le chaos irréparable, Bruno Roger-Petit, est peint à quatre pattes, avec le chien de l’Elysée. Le terme de « proskynèse » est employé : à la cour de Byzance, on s’allongeait face contre terre devant l’empereur. Etc.

Le milliardaire Niel, qui possède, en plus de Free, Le Monde et d’autres médias, a donné son feu vert. Partage-t-il la rancoeur de son beau-père, le milliardaire Arnault ? Le capital financier ne tolère pas que son commis politique, qu’il propulsa à l’Elysée après avoir congédié Hollande, n’en fasse qu’à sa tête, ignore les intérêts de ses mentors capitalistes :

« Ce jour de la dissolution, l’autre Macron apparaît en pleine lumière2Contraint de brûler ce qu’il a adoré, avec toute la bourgeoisie en 2017, Le Monde invente chez Macron un « double », un docteur Jekyll maléfique, inaperçu jusqu’alors. Voir la série d’articles Le président et son double, à partir du 18 décembre.. Le président met en rage ses plus solides soutiens. Pris de court comme tout le monde, alors qu’il a diné la veille avec le chef de l’Etat, le patron du groupe de luxe LVMH, Bernard Arnault, est si furieux qu’il décroche son téléphone ». On a vu les titres de son quotidien, l’Opinion

Raisons de la colère des classes riches

L’hostilité de sa propre classe sociale envers l’aventurier élyséen est à la mesure de sa faute. Les patrons le répètent sans cesse : ils ont besoin de « visibilité » pour leurs affaires, de stabilité, de durée – et de la matraque policière quand il faut. C’était le but du général-fondateur en 1958 : un monarque « républicain » tout-puissant, sacré par plébiscite, à l’abri des colères populaires durant sept ans renouvelables. La Ve (fausse) République protège les exploiteurs des soubresauts et crises de la démocratie3De Gaulle dans ses mémoires comme dans sa correspondance avec le Comte de Paris, a explicitement revendiqué vouloir réparer les « désordres » de la révolution de 1789, et rétablir la continuité avec Louis XVI et la monarchie absolue..

Avec les parjures et trahisons éhontées du quinquennat Hollande (2012-2017), la gauche « d’accompagnement » (accompagnant l’exploitation capitaliste) des Hollande, Valls, Cazeneuve, Macron, résumée dans la loi El Khomri, devient l’ennemie déclarée, sans masque, du mouvement ouvrier. Changeant de couleur et de mangeoire en 2017, avec le « ni droite – ni gauche » du macronisme, les caméléons politiques justifient le dégoût populaire : les Borne, Attal, Castaner et autres Dussopt, ci-devant « socialistes », sont des domestiques aussi empressés du patronat que les Darmanin, Le Maire ou Lecornu de la droite.

Mais autre chose arrive, qui va renverser la table de jeu des corrompus du régime.

Quelle rupture ?

De cette classe ouvrière exploitée, de ce peuple appauvri, opprimé, de ces générations mises à l’index par le racisme d’État aiguillonné par les apprentis-fascistes, surgit une résistance politique de masse. Après un siècle d’une représentation frelatée des travailleurs, répartie entre social-démocratie et stalinisme, la partie la plus éclairée de la classe ouvrière s’émancipe de la « gauche d’accompagnement », se regroupe dans l’Insoumission. Elle combat pour la rupture. Quelle rupture ? Celle de la démocratie, dont les vaillants Gilets jaunes ont rappelé qu’elle était le pouvoir du plus grand nombre ; la démocratie en actes, abolissant la Ve République, rétablissant tous les droits et libertés, en commençant par la sécurité sociale de 1945 ; exerçant l’autorité d’État pour permettre à chacun de vivre de son travail, de se soigner, de se loger…

Ce pouvoir populaire est incompatible avec la dictature de fait de l’aristocratie financière ? Assurément. Mais que montre la violence « légale » des dizaines de 49-3, depuis un demi-siècle, sinon que la poignée de milliardaires rapaces qui régit l’État, est… minoritaire dans la société ?

C’est la croissance des forces insoumises – ce qui fut la « ceinture rouge » prolétarienne, autour de la capitale, se tourne massivement vers l’Insoumission – qui est le moteur de la crise, provoquant les paniques centrifuges dans la bourgeoisie.

« Deux extrêmes » ? Non, deux classes

Les « chaînes d’info », voix de l’État et des milliardaires, nous serinent qu’il y a dans l’opinion publique française « deux extrêmes », le RN et LFI, entourant un « bloc central » de gens raisonnables – en fait fracturé d’ambitions contraires.

Or le FN-RN répète qu’il est le premier défenseur des institutions de la Ve République, et pour cause : elles permettent, du 49-3 à l’article 16 de dictature ouverte, d’instaurer un « gouvernement à poigne », déchaînant les persécutions anti-syndicales et racistes.

Alors que Macron descend à 79 % d’impopularité (dont un quart de son électorat !), Le Pen-Bardella, pas plus que Hollande, Roussel ou Glucksmann, et bien d’autres étranges démocrates, ne contestent la « légitimité » du monarque discrédité.

Le Pen-Bardella sont et se veulent une variante de la Ve République. Il n’y a pas « deux extrêmes », mais deux classes sociales, exploiteurs et exploités. C’est la lutte des classes, en son nouveau stade depuis 2022 qui aboutit à la crise de régime.

« Trotskysme et trumpisme »

C’est d’ailleurs à cette lutte des classes, opposant « deux France » que se réfère le quotidien financier dont nous parlons, l’Opinion. L’une, dit-il, est celle de la « réussite », entendez du profit, de l’opulence ; l’autre France, ceux « dont la vie est trop dure », doit se résigner à « un scénario terriblement impopulaire », à des mesures « douloureuses ». « Vite, la crise ! », titre ce journal du milliardaire Arnault, car « seul un choc violent pourra rompre cet enchainement fatal », celui de la paralysie de l’État, causée par Macron4L’Opinion, 3 décembre, éditorial de Nicolas Beytout : «Vite, la crise ! ».

Les idoles des exploiteurs français sont Trump et Musk, l’Argentin Milel, l’italienne Meloni, qui s’attaquent férocement aux libertés, à tous les acquis sociaux, toutes les normes de civilisation, sacrifiés au dieu Profit.

Avec cette recommandation martiale : « Il faut que ces jeunes gens du clan Macron prennent des leçons de trotskysme et de trumpisme (…) : toujours attaquer, fight, fight, fight5Eric Le Boucher, « Deux France et trois blocs », l’Opinion, 8 décembre. ».

Leçons de trotskysme ?

Voilà cent ans, le stalinisme policier a persécuté les révolutionnaires d’Octobre 1917 de toutes opinions (mais tous condamnés comme « trotskystes »), à la grande joie des capitalistes du monde entier. L’héritage stalinien est désormais reconnu comme synonyme de crimes, de procès truqués, de calomnies abjectes, de trahisons, de corruptions, de goulag, d’obéissance servile – le contraire exact du communisme de Marx, Engels, Lénine, Trotsky6Voir sur ce centenaire Communisme contre stalinisme, Cahiers du Cermtri n°185..

L’idéologue du capital financier doit se résigner, cent ans après, à reconnaître la ténacité et la pugnacité du trotskysme, continuité du communisme.

Prenons cela comme l’hommage du vice à la vertu !