L’investiture de Trump suscite inquiétude et colère aux Etats-Unis, et bien au-delà

« Les riches milliardaires d’extrême-droite se rassemblent derrière Trump. L’heure est venue, pour nous aussi, de nous organiser » : Democratic Socialists of America (DSA) participait à la manifestation à New York, comme dans de nombreuses villes des Etats-Unis, le 20 janvier.

Par Stéphane Jouteux
Publié le 22 janvier 2025
Temps de lecture : 4 minutes

Donald Trump est officiellement devenu le 47e président des Etats-Unis. Lors de son discours d’investiture, le président américain a déclaré : « Je suis heureux qu’un jour avant mon entrée en fonction, les otages du Moyen-Orient soient rentrés dans leurs familles ». Précisons : quelques-uns des 94 otages israéliens et des milliers de Palestiniens emprisonnés en Israël, dont 7 000 prisonniers politiques incluant 200 enfants et 2 000 détenus sans accusation ni procès.

« Je ne suis pas certain que le cessez-le-feu durera » (trump)

La semaine dernière, le journaliste israélien Lior Kordner a déclaré dans un podcast pour le journal Haaretz : « Trump, avec une froideur totale, a envoyé son représentant, Witkoff, qui s’est comporté comme un propriétaire dont le loyer n’a pas été payé et qui est venu récupérer son argent. Il a appelé Netanyahou vendredi soir et l’a informé qu’il arriverait le lendemain à 10 heures. Netanyahou a essayé d’expliquer que c’était samedi (shabat) et qu’il ne pouvait rencontrer personne, mais Witkoff a répondu avec arrogance et grossièreté que Netanyahou devait être là et que la question du [shabat] le samedi ne le concernait pas. Ce qui a suivi était sans précédent. Netanyahou s’est présenté à son bureau samedi à 10 heures du matin, ce qui n’était jamais arrivé auparavant. Tout ce que Witkoff a dit à ce moment-là, c’était : “Trump veut l’accord.” Et c’était la fin de l’affaire. ». A juste titre, la population palestinienne a célébré l’arrêt des bombardements, avec l’espoir de pouvoir revivre sur sa terre.

Pourtant, alors qu’il signait ses premiers décrets dans son bureau de la Maison blanche, une journaliste interroge Trump : « êtes-vous confiant dans l’accord de cessez-le-feu à Gaza ?  » Réponse : « je ne suis pas certain que le cessez-le-feu durera ». Au même moment, il signait l’ordre d’exécution supprimant les sanctions américaines visant les colons qui avaient pris de force les maisons des Palestiniens et incendié des villages de Cisjordanie.

Dans la nuit de lundi à mardi, des colons israéliens incendiaient de nouveau maisons et véhicules palestiniens au nord-est de Ramallah, au point que le bureau des droits de l’homme des Nations unies en Palestine s’est alarmé d’une « vague de violence renouvelée » de la part des colons et des forces armées israéliennes en Cisjordanie occupée.

Le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, a exprimé sa profonde inquiétude face à « une menace existentielle pour l’intégrité et la contiguïté » de Gaza et de la Cisjordanie occupée en raison des actions israéliennes et de « l’expansion incessante des colonies illégales ». Dans un communiqué, le Hamas a appelé à une « escalade de la résistance » face à la violence des colons en Cisjordanie.

De son côté, le Premier ministre B. Netanyahou a remercié Trump pour lui avoir assuré qu’Israël pourrait reprendre la guerre si le gouvernement israélien estimait que la deuxième phase du cessez-le-feu était sans objet, et pour avoir levé les dernières restrictions aux livraisons d’armes et de munitions à l’Etat israélien, en particulier les bombes les plus dévastatrices de 900 kg. Tandis que l’administration américaine affirmait que le Hamas, qui a reconstitué la quasi-totalité de ses forces selon l’ancien secrétaire d’Etat Antony Blinken, ne gouvernerait plus Gaza et qu’il fallait envisager la déportation « temporaire » d’une partie des deux millions de Palestiniens de Gaza vers l’Indonésie, le temps de la reconstruction.

Tels sont les premiers actes, au plan international, d’un président qui s’est présenté, lors de son discours d’investiture, comme un « artisan de la paix mondiale », assurant que son élection éradiquera les maladies et « répandra la lumière du soleil sur le monde entier ».

Sur le plan intérieur, les mesures prises au premier jour de sa présidence ne sont pas moins violentes : mise en œuvre du plan de déportation de millions d’immigrants, grâce présidentielle des 1 600 Américains condamnés pour l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021, retrait des Etats-Unis de l’Organisation mondiale de la santé et de l’accord de Paris sur le climat, gel des embauches fédérales à l’exception des militaires, rétablissement de la peine de mort au niveau fédéral, … Une rhétorique et des mesures qui suscitent une légitime inquiétude aux Etats-Unis, et bien au-delà.

« L’heure est venue de nous organiser » (DSA)

Reste à voir ce que Trump sera réellement en capacité de faire. Le syndicat des employés du Trésor a déjà déposé plainte pour contester sa décision de supprimer la protection de l’emploi des fonctionnaires fédéraux.

Pour sa part, le syndicat aux deux millions d’adhérents SEIU, qui vient de rejoindre l’AFL-CIO, déclare : « Réduire la protection de l’emploi et attaquer les droits de négociation collective des fonctionnaires fédéraux, y compris en transformant certains d’entre eux en employés licenciables à volonté, ce qui réduirait au silence la voix des travailleurs, ouvrirait la voie à la maltraitance généralisée des fonctionnaires et menacerait la qualité des services sur lesquels les Américains comptent ». Ajoutant : « Nous ne reculerons pas !  ».

Malgré un froid glacial, des milliers d’Américains sont descendus dans la rue. Comme l’écrit DSA (Democratic Socialists of America) : «  Nous avons rejoint des milliers de personnes aujourd’hui, jour de l’investiture, pour nous rassembler et marcher afin de bloquer les rues de Manhattan, dans le cadre d’une mobilisation nationale pour lutter contre le programme fasciste de Trump et exprimer notre solidarité avec la Palestine (…). Les riches milliardaires d’extrême-droite se rassemblent derrière Trump. L’heure est venue, pour nous aussi, de nous organiser ».

 

En France F. Bayrou saute sur l’occasion pour appeler à l’union nationale

Au sommet de l’Etat français, l’investiture de D. Trump suscite des réactions feintes d’indignation. Le Premier ministre François Bayrou dénonce une « politique incroyablement dominatrice » qui menace de « nous écraser et de nous marginaliser », profitant de l’occasion pour appeler au corporatisme et à l’union nationale derrière Macron. Un message reçu cinq sur cinq par F. Hollande, qui déclarait-il y a quelques jours que les « socialistes avaient fait le choix de la stabilité politique ». Tout comme Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT, qui a appelé F. Bayrou, lors de l’ouverture de la « concertation » sur les retraites le vendredi 17 janvier, à « entendre les exigences sociales » pour « permettre la stabilité ». Tout comme les dirigeants patronaux et syndicaux qui appelaient à la « stabilité » le 17 décembre dernier dans un communiqué commun, opportunément tombé du ciel pour Bayrou, qui s’est empressé d’en lire des extraits à la tribune de l’Assemblée nationale.

Tout ceci dans le seul but, comme l’a dit un responsable syndical au Comité confédéral national de la CGT, de « décrédibiliser toute nouvelle censure du gouvernement ».

Pas sûr que l’opération aille à son terme, tant la résistance à ce processus d’intégration des syndicats pour sauver le pouvoir suscite résistance et débat à l’intérieur même des organisations. Une force vivace qui s’appuie sur la volonté de rupture profondément ancrée en bas, et qui ne peut que conforter les partisans de la campagne menée par LFI pour dégager Macron.