Palestine : « Pour un avenir commun, fondé sur la justice »

A. Abdelfattah militant palestinien, lors du congrès juif antisioniste de Vienne, en juin dernier, a défendu « un avenir sans apartheid, sans murs, sans suprématie ». Voici son intervention.

Awad Abdelfattah prend la parole au 1er congrès juif antisioniste de Vienne. (DR)
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Publié le 19 juillet 2025
Temps de lecture : 6 minutes

Combattants de la liberté, c’est un immense honneur de m’adresser à cette assemblée historique. Le premier congrès antisioniste à Vienne. Votre courage dans l’organisation de cet événement envoie un message fort.

Le sionisme ne parle pas au nom de tous les juifs. Et la justice en Palestine n’est pas uniquement une cause palestinienne. C’est un impératif mondial.

Ce congrès rappelle au monde un passé différent. Un passé où juifs, chrétiens et musulmans vivaient ensemble dans le monde arabe et islamique, dans une relative harmonie bien avant que le sionisme ne brise cette coexistence. Dans des villes comme Bagdad, Alep, Fès et, bien sûr, Jérusalem et Jaffa, des communautés diverses partageaient des quartiers, des langues, des marchés et des luttes quotidiennes.

La Palestine aussi était autrefois une terre où juifs et Palestiniens vivaient côte à côte en tant que voisins, et non en tant que conquérants. Nous nous penchons sur ce passé non par nostalgie, mais avec lucidité et détermination. Nous savons qu’un autre avenir est possible parce qu’il a déjà existé.

Un avenir commun est-il encore possible ?

Un avenir sans apartheid, sans murs, sans suprématie. Peut-on encore imaginer un seul État ? Permettez-moi de commencer par répondre à une question que beaucoup se posent aujourd’hui. Un avenir commun est-il encore possible compte tenu des horreurs commises à Gaza, de l’annexion de facto de la Cisjordanie et des politiques systématiques de discrimination, d’oppression à l’encontre des Palestiniens à l’intérieur d’Israël, sans parler des guerres sans fin contre les pays arabes et musulmans voisins ? Pour les habitants de Gaza, bombardés, affamés, brûlés vifs, l’idée même de vivre dans un seul État avec ceux qui les exterminent semble absurde, voire insultante.

Comment peut-on parler de coexistence alors que des enfants sont enterrés sous les décombres et que le monde regarde en silence ? Mais même le génocide ne peut nous effacer. Nous sommes toujours là. Et un jour, les Israéliens se réveilleront à une nouvelle réalité, celle d’un peuple isolé, moralement et politiquement ruiné, et celle d’une puissance militaire incapable d’apporter ni légitimité ni paix.

Nous pouvons donc nous demander à nouveau : que viendra-t-il après ? La réponse ne peut être des bantoustans. Cela ne peut être une vie sous siège. Cela ne peut être un exil sans fin.

La campagne One Democratic State

La seule réponse juste est le démantèlement du régime sioniste et la création d’un État démocratique unique dans toute la Palestine, où chacun, indépendamment de sa religion ou de son origine, vit en tant qu’égal sous une seule loi, avec une voix, dans une patrie commune. Depuis 2018, je fais partie de la campagne One Democratic State ou ODSC, un mouvement palestinien qui appelle à un État décolonisé, laïque et démocratique de la rivière à la mer. Parmi les membres fondateurs de cette campagne figurent des juifs anticolonialistes courageux, tels qu’Ilan Pappé et Haïm Bresheeth, qui font partie de l’animation de cette conférence, ainsi que Jeff Halper et d’autres. Nous avons également Ghada Karmi, qui fait également partie de l’équipe d’animation de la campagne. Cette vision n’est pas un concept occidental. Ce n’est pas un rêve pour l’après-paix.

C’est la continuation de notre longue lutte pour la libération nationale et la justice. ODSC n’est pas un slogan. C’est un programme politique fondé sur l’égalité, la justice et le droit au retour.

Une perspective qui gagne du terrain, notamment auprès des jeunes

Il offre une alternative claire aux fausses solutions qui nous ont été proposées. Oslo, la paix économique des bantoustans, ce ne sont pas des solutions.

Ce sont des anesthésiques, des pilules sucrées pour atténuer la douleur de la colonisation. En revanche, l’État démocratique unique est la seule vision sérieuse et cohérente qui s’attaque aux racines du conflit, au colonialisme de peuplement, au nettoyage ethnique et à la structure raciste du régime israélien. Malgré les obstacles, nous assistons à une évolution croissante de la conscience publique.

L’idée d’un État démocratique unique gagne du terrain, en particulier parmi les jeunes Palestiniens, les mouvements de solidarité mondiale, et de plus en plus parmi certains segments des communautés juives du monde entier. Néanmoins, notre plus grand défi reste l’absence d’un mouvement populaire large capable de transformer cette vision en pouvoir. C’est notre tâche : organiser, éduquer, mobiliser toutes les classes sociales, toutes les régions et toutes les générations, et c’est ce que nous faisons.

Le sort des Palestiniens depuis la Nakba de 1948 à propos des Palestiniens à l’intérieur d’Israël. En tant que citoyen palestinien d’Israël et personne profondément engagée dans l’organisation politique depuis le début de mon âge adulte, permettez-moi de vous donner un aperçu de notre réalité et de notre rôle dans cette lutte plus large.

Nous sommes les survivants du nettoyage ethnique de 1948. Presque toutes les familles ont des proches dans des camps de réfugiés, vivant dans des conditions épouvantables depuis la Nakba. Nous sommes restés sur notre terre, mais sous un régime qui nous traite comme une menace démographique, comme des citoyens de seconde zone, dans un État fondé sur la suprématie juive et l’exclusion.

Notre terre a été exploitée, notre histoire effacée, notre langue marginalisée, et notre présence même constamment remise en question, alors que nous avons la citoyenneté israélienne. Pendant des décennies, notre réalité a été ignorée, tandis qu’Israël était célébré en Occident comme la seule démocratie du Moyen-Orient, nous avons vécu sous un régime militaire de 1948 à 1966, soit pendant vingt ans. Le monde nous a traités comme si nous étions en dehors du conflit, parce qu’il refusait de reconnaître le fondement colonial du projet sioniste.

Le rejet des accords d’Oslo

Les accords d’Oslo n’ont fait que renforcer cet effacement. Ils nous ont exclus de la définition du peuple palestinien, nous traitant comme si nous n’avions aucune importance pour la solution politique. Notre situation était considérée comme accessoire, et non systématique.

Mais nous avons refusé de disparaître. Nous avons rejeté Oslo, non seulement parce qu’il nous excluait, mais aussi parce qu’il renforçait l’apartheid, fragmentait notre peuple, légitimait le sionisme et prolongeait nos souffrances. En 1995, nous avons lancé un mouvement politique qui remettait en cause toute la logique d’Oslo et l’idée d’un État fondé sur la suprématie ethnique.

Nous avons exigé un État pour tous ses citoyens. C’était donc un parti, appelé Balad, en hébreu. Mais en arabe, cela signifie l’Assemblée nationale démocratique. Cette défiance, associée à une mobilisation populaire sans précédent, en particulier parmi les jeunes, a ébranlé l’establishment israélien.

Elle a ravivé les craintes sionistes concernant une importante population palestinienne politiquement consciente à l’intérieur des frontières d’Israël. Les Israéliens se posaient des questions : comment se fait-il que malgré toutes les mesures répressives que nous avons employées contre ces Palestiniens en Israël, ils se soient soudainement rebellés et aient défié l’État juif en descendant dans la rue, jusqu’à même se joindre aux soulèvements en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, pacifiquement, car n’avons jamais eu recours à des moyens militaires.

La répression menée par le régime génocidaire israélien s’intensifie

Nous avons lutté pacifiquement, légalement et au niveau populaire. En réponse, Israël a intensifié sa répression par la surveillance, les arrestations et les confiscations, les démolitions de maisons, l’incitation à la haine, et une augmentation alarmante du crime organisé dans les secteurs palestiniens. Une politique que beaucoup considèrent comme un génocide progressif, avec plus de 110 citoyens palestiniens tués dans ces violences rien que cette année.

Aujourd’hui, alors qu’Israël mène une offensive génocidaire contre Gaza, la répression à l’intérieur du pays s’est intensifiée. L’extrême droite parle désormais ouvertement de tests de loyauté, d’expulsions et d’ingénierie démographique. Nous sommes confrontés à un avenir façonné par des forces fascistes qui ne nous considèrent pas comme des citoyens, mais comme des ennemis de l’intérieur.

La Palestine,  une cause mondiale, une lutte universelle

Et pourtant, nous résistons. Parce que nous savons que notre rôle n’est pas marginal, mais central. Nous sommes le lien entre ce qu’Israël prétend être et ce qu’il est réellement.

Nous sommes la preuve vivante qu’Israël n’est pas une démocratie, mais un système d’apartheid et de colonialisme de peuplement, un système désormais révélé au monde comme un régime génocidaire. La Palestine est une cause mondiale. Aujourd’hui, la lutte palestinienne est au cœur de la lutte mondiale pour la justice.

Partout dans le monde, des gens se soulèvent, des étudiants, des travailleurs, des artistes et des juifs de conscience. Ils relient la cause palestinienne aux luttes contre le racisme, le capitalisme, le patriarcat et l’impérialisme. Car la lutte pour la Palestine n’est pas seulement nationale, elle est universelle.

Il est de notre devoir moral de nous unir aux personnes de conscience partout dans le monde pour construire un front mondial large, fondé sur des principes et résolument anticolonial. Que ce congrès soit le début de ce front. Que cela soit clair, le peuple palestinien ne disparaîtra pas.

Nous ne capitulerons pas. Des ruines de Gaza aux collines de Galilée, des camps de réfugiés aux villes de la diaspora, nous continuerons à nous battre, non pas pour nous venger, mais pour obtenir justice. Non pas pour détruire, mais pour reconstruire.