Israël détient brutalement le directeur d’un hôpital de Gaza pour « servir de monnaie d’échange », selon son avocat
Détenu sans inculpation depuis sept mois, le Dr Hussam Abu Safiya a été battu, affamé, isolé et coupé de sa famille. Sa libération n'est pas près d'être effective. Article traduit du site 972mag.com, le 22 juillet.
- Actualité internationale, Palestine

Coupé du monde et détenu sans inculpation par Israël, le pédiatre palestinien Hussam Abu Safiya a subi des passages à tabac répétés, un isolement cellulaire prolongé et une négligence médicale depuis son arrestation à Gaza, a déclaré son avocate à +972.
Abu Safiya, qui était directeur de l’hôpital Kamal Adwan à Beit Lahiya jusqu’à ce que l’armée israélienne le ferme violemment, est détenu à la prison d’Ofer, près de Ramallah, en Cisjordanie occupée, où l’avocate Gheed Kassem lui a rendu visite au début du mois. Il a été arrêté le 27 décembre lors d’un raid israélien contre l’établissement médical, qui a été l’aboutissement d’un siège de deux mois, au cours duquel des soldats ont rassemblé le personnel à l’extérieur, l’ont forcé à se déshabiller, puis ont incendié le bâtiment.
Kamal Adwan n’était pas seulement le lieu de travail d’Abu Safiya, mais aussi une bouée de sauvetage vitale pour toute une population assiégée. Sa fermeture a porté un coup fatal au système médical dans les districts nord de Gaza.
Peu après le raid, une vidéo a été diffusée, montrant Abu Safiya être conduit dans un véhicule militaire sur ordre des soldats israéliens. Pendant une semaine, les autorités israéliennes ont nié qu’il ait été arrêté, avant de confirmer qu’il était détenu par Israël. L’armée a déclaré qu’il avait été arrêté pour avoir participé à des activités terroristes, mais sept mois plus tard, Israël n’a toujours pas présenté de preuves à l’appui.
Abu Safiya a d’abord été détenu à Sde Teiman, une base militaire du sud d’Israël tristement célèbre pour les graves mauvais traitements infligés aux détenus palestiniens. Il y est resté dans des conditions très difficiles avant d’être transféré à la prison d’Ofer le 9 janvier.
« J’ai essayé de lui rendre visite aussi souvent et régulièrement que possible », a déclaré Kassem à +972 ce week-end. « Au moment de son arrestation, il pesait environ 97 kilos. Au cours des deux premiers mois seulement, il a perdu environ 20 kilos. Lors de ma dernière visite, il était évident qu’il avait perdu près de 40 kilos. »
Selon Kassem, Abu Safiya a passé près d’un mois en isolement cellulaire à Ofer avant d’être transféré dans un quartier avec d’autres détenus de Gaza. Ces cellules sont souterraines, sans ventilation ni lumière naturelle. « L’humidité est si intense que les détenus ont froid même lorsque la température extérieure dépasse les 30 degrés Celsius », a-t-elle expliqué.
L’hygiène et les conditions sanitaires sont également déplorables. « Souvent, il n’y a pas de savon dans les toilettes, seulement de l’eau », a déclaré Kassem. « Les vêtements sont lavés une fois tous les mois et demi ou tous les deux mois. Les couvertures et les draps sont lavés peut-être une fois tous les six mois. » En conséquence, des maladies de peau telles que la gale se sont largement répandues parmi les détenus.
La nourriture fournie par la prison, a noté Mme Kassem, est « le strict minimum : ils sont délibérément affamés ». Les détenus sont également totalement coupés du monde extérieur ; selon Mme Kassem, Abu Safiya n’était même pas au courant qu’Israël et l’Iran étaient en guerre depuis 12 jours.
Ils sont également victimes de violentes agressions physiques sans motif. Abu Safiya a raconté à Kassem que la dernière agression dont il avait été victime de la part des gardiens de prison avait eu lieu le 24 ou le 25 juin. « Il a été attaqué de manière brutale et sauvage », a-t-elle déclaré. « Les coups ont duré environ 30 minutes. Il avait des ecchymoses sur la tête, le cou et la poitrine. Une fois qu’ils ont eu fini, il a demandé à voir un médecin, car il ne se sentait pas bien et avait mal au cœur. Ils ont refusé. »
« C’était peut-être la cinquième ou sixième fois qu’il était agressé, et ils ont également cassé ses lunettes », a poursuivi Kassem. « J’ai tout fait pour lui en procurer une nouvelle paire [après son arrestation, car il n’en avait pas sur lui], et j’ai finalement réussi en mai. Mais quand ils l’ont battu à nouveau, ils ont brisé les verres. »
« Ce sont des tribunaux fantômes »
Kassem a souligné que le cadre juridique entourant la détention d’Abu Safiya est totalement opaque. Il est actuellement détenu en vertu de la loi sur l’incarcération des combattants illégaux (2002), qui permet à Israël de placer des personnes en détention administrative, sans inculpation ni procès, s’il existe des « motifs raisonnables » de croire qu’elles ont participé à des « activités hostiles ».
Selon l’organisation israélienne de défense des droits humains HaMoked, environ 2 500 Palestiniens de Gaza sont actuellement détenus en vertu de cette loi. Celle-ci refuse aux détenus l’accès à un avocat pendant les 90 premiers jours et ne prévoit aucune limite à la durée de la détention.
« L’ordre est valable six mois et peut être renouvelé indéfiniment, sans que l’avocat ou le détenu ne sachent jamais pourquoi », a expliqué Mme Kassem. « Israël prétend toujours qu’il existe des dossiers secrets ou des documents classifiés, que même nous, en tant qu’avocats, ne sommes pas autorisés à consulter. Une simple suspicion suffit pour emprisonner quelqu’un pendant des années. »
« Les tribunaux sont des tribunaux fantômes », a-t-elle poursuivi. « Les détenus ne comparaissent même pas devant le tribunal [lors des audiences] : ils restent dans leur cellule et sont appelés à s’exprimer par téléphone par l’intermédiaire d’un traducteur, qui se contente de leur informer que leur détention a été prolongée. »
Selon Mme Kassem, le cas d’Abu Safiya est inhabituel dans la mesure où sa classification en tant que « combattant illégal » a pris un certain temps. « Beaucoup pensent que les autorités israéliennes ont retardé cette étape parce qu’elles espéraient porter des accusations officielles contre lui, mais elles n’ont pas réussi à lui extorquer des aveux. Après environ un mois et demi de détention, elles n’avaient plus d’autre choix que de recourir à cette classification. »
Kassem estime donc qu’il est détenu « comme monnaie d’échange dans les négociations ». Il semble donc peu probable, ajoute-t-elle, qu’il soit libéré avant la fin de la guerre.
Elle a toutefois précisé que le moral d’Abu Safiya restait intact. « Malgré toutes les pertes subies et les conditions de détention difficiles, il reste optimiste, toujours de bonne humeur et convaincu que le génocide prendra fin. »
« Je sens qu’il souffre »
La famille d’Abu Safiya est toutefois maintenue dans l’ignorance presque totale. « La plupart des informations que nous avons sur son état de santé proviennent de sources non officielles et, parfois, de ses avocats », a déclaré son fils Elias, 28 ans, à +972 depuis Gaza. « Il est soumis à des traitements inhumains, privé de nourriture adéquate, détenu dans un endroit sans lumière et interrogé en permanence. »
Elias, qui est également médecin, s’étonne que son père soit considéré comme une menace pour la sécurité d’Israël alors qu’il n’a fait que fournir des services médicaux et administratifs à l’hôpital Kamal Adwan. « Il n’a aucune affiliation politique », a-t-il déclaré, « et je pense que son arrestation est le résultat de ses appels publics à mettre fin aux attaques contre les hôpitaux et le système de santé de Gaza ».
En effet, l’arrestation et la détention d’Abu Safiya s’inscrivent dans le cadre d’une offensive israélienne beaucoup plus large contre le système de santé de Gaza au cours des 21 derniers mois. Un rapport publié en avril par les Nations unies a recensé plus de 1 450 attaques contre des travailleurs de la santé, des patients, des hôpitaux et des infrastructures médicales depuis le 7 octobre 2023. Il a également mis en évidence la détention de centaines de membres du personnel médical par les forces israéliennes.
Son épouse, Albina, a déclaré à +972 qu’elle avait appris par des médecins libérés qu’ils avaient été battus et torturés. « Mes enfants essaient de me protéger des détails concernant l’état de santé [de Hussam], craignant que je ne sois submergée par la tristesse. Mais je sens qu’il souffre. »
« Je pense que l’armée lui en veut à cause de son dévouement à son travail », a-t-elle poursuivi. « Il a fait tout ce qu’il pouvait pour soutenir le système de santé de Gaza qui s’effondre et pour sauver les blessés malgré le manque de ressources. Nous voulons qu’il revienne pour que nous puissions être ensemble et continuer notre vie. Nous pleurons toujours notre fils Ibrahim, qui a été tué (par un drone) lors d’un raid sur l’hôpital. Nous n’avons même pas eu le temps de faire notre deuil. »
Le magazine 972+ a contacté l’administration pénitentiaire pour obtenir une réponse, qui sera publiée dès qu’elle sera reçue. Cet article a égalemen été publié en anglais et traduit en hébreu pour le site www.mekomit.co.il
