Reforme des retraites : abrogation !

La parole à Cécile Velasquez, secrétaire générale de la fédération CGT des organismes sociaux et Frédéric Neau, secrétaire général de la section fédérale FO des organismes sociaux.

Par la rédaction d’IO
Publié le 31 octobre 2025
Temps de lecture : 6 minutes
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Cécile Velasquez répond à nos questions

Comment qualifies-tu la politique de Macron et de ses gouvernements vis-à-vis de la Sécu ?

Cécile Velasquez : Macron et ses Premiers ministres fantoches, c’est « l’insécurité sociale » toujours plus forte. PLF (budget de l’État) ou PLFSS (lois de financement de la Sécurité sociale), la philosophie est toujours la même : épargner les plus riches et matraquer les autres. Les économies réclamées par Bruxelles ou les marchés financiers sont faites sur le dos des plus pauvres pour financer les cadeaux aux entreprises ou grands groupes.

Si on prend par exemple le doublement des franchises médicales et l’extension de leur périmètre, la nouvelle ministre de la Santé parle de « forfait de responsabilisation ». À la FNPOS CGT, nous y voyons un forfait sanction pour avoir été malade ou bien en arrêt maladie.

C’est le même principe avec les « années blanches » ou gel des prestations et pensions: on frappe sur ceux qui ont pourtant un droit et on refuse de demander par exemple aux entreprises ce qu’elles doivent pourtant. On est toujours à 80 milliards d’exonérations de cotisations par an, là où, pour la réforme des retraites, on nous a volé deux ans de vie pour un déficit (contesté) de 12 milliards !

On est au paroxysme d’une politique de destruction de la Sécu qui dure depuis quasiment sa création. Tout cet argent qui échappe à son appétit, c’est insupportable pour le patronat et les politiques qui roulent pour lui. C’est ce qui explique le nouveau retour de la capitalisation dans le débat sur les retraites.

Capitalisation et retraites à points, voilà les dangers de la prochaine conférence « travail et retraite » annoncée pour fin novembre par le nouveau ministre du Travail Jena-Pierre Farandou, adoubé par la CFDT.

Que reste-t-il de 1945 dans la Sécu d’aujourd’hui ?

Les quatre-vingt ans de la Sécu et des ordonnances ont permis de faire parler Sécu et pas seulement l’« assurance-maladie ». L’idée est toujours révolutionnaire: financer une protection collective par des cotisations directes sur les richesses créées par notre travail. Pendant la crise Covid comme lorsqu’on compare les taux de pauvreté en Europe, on voit bien l’effet protecteur de la Sécu française. L’architecture est solide mais les attaques sont fortes: étatisation du financement comme de la gestion, privatisation…

Peux-tu nous dire s’il y a un lien entre la défense des droits des agents de la Sécu et le service rendu aux assurés, allocataires et pensionnés ?

À la Sécu comme dans d’autres secteurs de notre fédération, on trouve très parlante l’expression « des deux côtés du guichet ». De nos conditions de travail (je suis agente CPAM) dépendent les conditions de traitement des dossiers et des assurés sociaux ou allocataires.

On l’a vu très récemment avec le fiasco du logiciel Arpège en Vendée et Loire-Atlantique. Ce nouveau logiciel a bloqué (et bloque toujours) les indemnités journalières de plusieurs milliers de salariés et a rendu impossible le travail des agents des CPAM qui se retrouvent en grande souffrance face à l’aberration d’une direction qui s’entête.

Manque de moyens, outils informatiques défaillants, dématérialisation à tout-va, management toxique, salaires gelés… Tout ce que subissent les agents de la Sécu ressurgit sur les assurés. Il est donc de l’intérêt de tous d’agir ensemble pour améliorer la situation… des deux côtés du guichet!

Qu’est-ce que le 100 % Sécu pour toi ?

Pour notre fédération, le « 100 % Sécu », c’est notre plan complet et concret pour renforcer la Sécu de 1945 et l’améliorer, comme Croizat lui-même l’envisageait déjà dans son discours d’avril 1946. Issu du travail des huit secteurs de notre fédération, il rappelle nos fondamentaux et met en avant un certain nombre de priorités pour sortir la Sécurité sociale et notre santé de la privatisation.

Droit à la santé, droit à la famille, droit à l’emploi, droit à la retraite et droit à l’autonomie. L’idée c’est de redonner la place à une Sécurité sociale forte qui nous protège des aléas de la vie de la naissance à la mort. Avec un retour à des choses qui ont déjà existé comme la gestion directe des centres de santé ou des crèches, l’extension à l’accompagnement vers l’emploi.

Et des propositions nouvelles et fortes comme l’intégration des mutuelles et des régimes complémentaires ou bien l’arrivée de l’aide à domicile au sein de la Sécu ou de la fabrication de médicaments par exemple.

Il nous faut sortir à tout prix de la marchandisation de notre santé et agir en urgence notamment pour nos hôpitaux en cours d’effondrement.

Notre projet s’appuie sur l’existant et prévoit son financement, ce qui le rend rapidement applicable. Tout est donc une question de choix politique. Il nous faut donc convaincre et pour cela augmenter le rapport de force est indispensable.

Comment les bloquer ?

Bloquer Lecornu et son budget d’insécurité sociale puis enclencher la reconquête, ce ne sera qu’avec une mobilisation forte et élargie par rapport aux journées initiées depuis le 10 septembre. Le pilier, c’est la grève. C’est ce qui a manqué en 2023 sur le conflit des retraites. La grève coûte au patronat et l’incite à faire bouger le gouvernement. Sinon les gouvernements font le dos rond et attendent que le mouvement social s’essouffle.

Il faut donc aussi vite que possible taper fort au portefeuille. Et pour cela, il faut embarquer avec nous les salariés et la population en leur montrant que ce qu’on veut est à portée de main. De l’argent, il y en a (cf. les 211 milliards), tout est une question de choix dans la répartition.

Frédéric Neau  répond à nos questions

Comment qualifies-tu la politique de Macron et de ses gouvernements vis-à-vis de la Sécu ?

Frédéric Neau : C’est une politique visant à la détruire à brève échéance. La Sécu a été attaquée depuis son origine mais nous assistons dans la dernière période à une accélération de cette offensive sous tous les aspects.

Les exonérations de cotisations en faveur des patrons s’amplifient (77  milliards en 2024) ainsi que la volonté d’abolir définitivement le salaire différé pour y substituer l’impôt. Macron en appelle à la réforme du financement de toute la protection sociale et donne la perspective d’une « TVA sociale »…

Or, là où la cotisation permet l’ouverture de droits, la répartition de l’impôt est totalement à la main de l’État. Ce n’est plus la logique du « chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins ».

Les projets de budgets Lecornu pour 2026 sont un concentré de leur politique : d’un côté, une augmentation du budget du ministère des Armées de 6,7 milliards d’euros pour poursuivre la marche à la guerre ; de l’autre, 7,1 milliards d’économies à réaliser sur les dépenses de santé avec un Ondam fixé à 1,6 % (la Fédération hospitalière de France estime qu’il devrait être d’au moins 6 %).

Lecornu frappe encore plus fort que Bayrou !

Attaques contre les arrêts maladie, les ALD, sur les APL des étudiants étrangers, les majorations d’allocations familiales, gel des prestations sociales et des retraites, doublement des franchises médicales… L’arsenal déployé est colossal.

La « suspension de la réforme des retraites », elle, n’est qu’un leurre destiné à éviter l’abrogation revendiquée par les travailleurs et à sauver le gouvernement.

Le plan de dissolution du service médical imposé à compter du 1er octobre 2025, est lui-même au cœur de la destruction à l’œuvre. Il s’agit in fine  de soumettre les décisions prises par les médecins (en matière de prolongation d’indemnités journalières, d’ALD, etc.) à une ligne comptable dans le cadre de la « résorption de la dette  » et de l’effort de guerre…

Que reste-t-il de 1945 dans la Sécu d’aujourd’hui ?

L’essentiel, en réalité, car elle permet encore aujourd’hui de faire face aux accidents de l’existence, et chaque jour dans les caisses, les agents de la Sécurité sociale mettent en œuvre les droits en payant les prestations et les pensions. Son financement reste assis à environ 55 % sur les cotisations, ce qui matérialise toujours son appartenance à la classe ouvrière.

Malgré les attaques portées au cours des décennies, les ordonnances de 1967, la politique d’étatisation et de fiscalisation de ses recettes initiée par la mise en place de la CSG en 1991, malgré les suppressions de postes et les coups portés aux personnels et malgré les projets de Macron, la Sécu et ses fondements sont toujours debout. Le combat pour la sauver et reconquérir ce qui a pu être perdu depuis 1945 est déterminant.

Peux-tu nous dire s’il y a un lien entre la défense des droits des agents de la Sécu et le service rendu aux assurés, allocataires et pensionnés ?

Le lien est clair car l’unité de la Sécurité sociale est matérialisée par l’existence d’une convention collective nationale pour tout le personnel qu’il se trouve en CPAM, en Caf, en Carsat, en Urssaf…

La défense de la convention collective nationale (CCN) et des droits qui y sont contenus renvoie donc à la défense de la Sécurité sociale elle-même.

Par ailleurs, quand les agents de la Sécu s’opposent aux suppressions de postes imposées par les conventions d’objectifs et de gestion (COG) et revendiquent les embauches nécessaires, ils combattent aussi bien pour leurs conditions de travail que contre l’allongement des délais de traitement et les fermetures d’accueil. Et lorsqu’ils demandent des logiciels qui fonctionnent, ils battent en brèche une politique qui met régulièrement en place des outils défaillants aboutissant à la catastrophe pour les assurés comme c’est le cas avec Arpege en assurance-maladie.

Qu’est-ce que le 100 % Sécu pour toi ?

Le 100 % Sécu renvoie au projet initial de la CGT en 1945 de gratuité intégrale des soins et au document rédigé par Buisson qui a servi de base aux ordonnances. Ce n’est que sous pression des mutuelles que cet aspect du projet n’a pas vu le jour et qu’a été instauré le ticket modérateur. En l’occurrence, le 100 % Sécu auquel nous aspirons ne peut se concevoir aujourd’hui dans le cadre de l’étatisation et de la «  grande Sécu » évoquée à un moment par Macron.

Comment les bloquer selon toi ?

Comme les autres salariés, les agents de la Sécu cherchent les moyens d’abattre la politique de Macron. Nous savons que nous ne nous en sortirons pas par des journées d’action saute-mouton. C’est la raison pour laquelle nous cherchons à mettre partout en discussion avec les militants et les collègues la question de l’organisation du blocage par la grève massive et reconduite dont nous avons besoin.

C’est par le terrain que nous forgerons l’unité nécessaire avec les personnels et les autres organisations syndicales dès que c’est possible, pour gagner sur les revendications et dans le même mouvement faire refluer la politique de destruction de la Sécurité Sociale de 1945.