Adrien Quatennens : « Je ne cèderai pas »

Le député LFI prend la parole dans une longue interview à la « Voix du Nord » (14 décembre) et répond à l'acharnement politico-médiatique qui le vise depuis des mois, et qui se déchaîne à nouveau aujourd'hui. Nous reproduisons intégralement ses propos.

Adrien Quatennens, en campagne, en janvier dernier (photo Frederic Petry / Hans Lucas via AFP)
Par > Verbatim
Publié le 14 décembre 2022
Temps de lecture : 9 minutes

La Voix du Nord : Vous n’avez pas pris la parole depuis trois mois et le début de cette affaire privée devenue publique. Vous venez d’accepter une peine de 4 mois de prison avec sursis dans le cadre d’une procédure dite de « plaider coupable ». Quelle est votre réaction ?

 Adrien Quatennens : Pendant trois mois, je me suis tu. J’ai réservé ma parole à la justice car j’ai compris que seule l’enquête rétablirait les faits. En plus de l’épreuve personnelle, j’ai enduré en silence un lynchage médiatique inédit de la part de gens qui n’étaient pas derrière les portes closes d’une histoire de couple et qui ne connaissaient rien au dossier. La vérité n’est pas leur sujet.

La justice a pourtant écarté les accusations de violences répétées et de harcèlement et a décidé de ne pas me renvoyer devant un tribunal. De nombreuses personnes ont témoigné, mon téléphone portable a été passé au crible, des expertises psychologiques ont été faites. L’enquête a conclu à ce que j’avais reconnu : une gifle donnée dans un contexte de dispute, il y a plus d’un an et jamais reproduite, et l’envoi de trop nombreux SMS amoureux suite à une annonce de divorce incomprise. En citoyen, j’accepte ma sanction. Comme me l’a dit Madame la procureure de la République, il s’agit d’un « avertissement ». Je prends ma juste part. Mais je refuse d’en prendre davantage et de continuer à subir cet acharnement disproportionné. C’est la raison pour laquelle je prends la parole.

Vous reconnaissez une gifle mais votre épouse dénonce des « violences physiques et morales » répétées depuis « plusieurs années ». Qu’en est-il précisément ?

Lorsqu’elle m’a annoncé son intention de divorcer au retour de nos vacances d’été et que j’en cherchais la véritable raison, mon ex-compagne m’a ouvertement menacé de « détruire mon engagement politique » si je ne répondais pas favorablement à toutes ses exigences. Elle m’a même fait signer un papier l’affirmant sous la contrainte.

Aujourd’hui encore, dans le cadre de notre divorce et des conditions de la garde de notre fille, je subis son chantage à la plainte ou aux médias. Alors qu’elle prétendait ne pas vouloir d’écho médiatique lors du dépôt de sa première main courante, elle a finalement choisi, sans aucun fait nouveau, de se faire justice par elle-même en envoyant un communiqué à l’AFP, entravant mon retour annoncé à l’Assemblée nationale. Malgré ses incohérences, ses déclarations ont davantage intéressé les médias que les conclusions d’une enquête judiciaire.

Comment suis-je censé rétablir les faits ? Jusqu’où devrais-je verser dans l’impudeur pour rétablir mon honneur ? Faut-il que je dévoile nos photos et nos échanges pour prouver que le climat qu’elle décrit ne correspond pas à la réalité ?

Cette réécriture malhonnête de notre histoire et des faits m’attriste énormément et d’abord pour notre enfant.

L’enquête a permis de démontrer que je n’étais pas l’auteur de violences répétées. S’il y a eu des disputes depuis deux ans et un contexte tendu, la violence ne caractérise aucunement nos treize années de vie commune. La vérité c’est que, pendant l’enquête, il m’a été proposé de porter plainte contre mon épouse.

Malgré ce que j’ai moi-même subi de sa part, j’ai choisi de ne pas le faire car il s’agit de faits isolés et que je souhaite protéger notre enfant. Il est urgent que tout cela cesse.

Une gifle n’est jamais excusable. Des associations conseillent aux victimes de partir dès le premier geste de violence. Sans dévoiler votre vie privée, comment expliquer que vous en soyez arrivé là ?

Sans dévoiler ma vie privée ?! Cette vie privée qui a alimenté 4 000 articles de presse et jusqu’à 350 par jour ? Cette vie privée qui a fait l’objet de 700 passages télé et jusqu’à 20 heures d’antenne sur BFM TV en l’espace de trois semaines ?

Si j’avais respecté à la lettre ce conseil des associations, c’est moi qui aurais dû partir. Mais puis-je seulement le dire ?

Au moment du confinement en 2020, j’ai quitté le domicile conjugal pendant deux mois. J’y suis revenu… D’abord parce que j’avais toujours des sentiments pour mon épouse et la volonté de surmonter nos difficultés de couple comme tant d’autres savent le faire. Mais aussi parce qu’elle m’imposait des conditions détestables pour voir ma fille en m’obligeant à le faire sur le parking de notre résidence.

Dès que la vie conjugale a repris son cours, j’ai tout fait pour tenter de sauver notre couple, consenti tant d’efforts et accepté des choses inacceptables pour payer mon erreur d’être parti pendant deux mois. Par exemple, je devais sonner chaque soir pour pouvoir accéder à mon domicile et je devais me rendre seul avec ma fille aux évènements familiaux, en père célibataire.

La gifle que vous évoquez date de cette époque-là, lors d’une dispute très tendue. Ce geste ne me ressemble pas. Je l’ai beaucoup regretté, je l’ai reconnu même devant nos proches, je me suis immédiatement excusé et bien que ça ne se soit jamais reproduit, je le regrette encore aujourd’hui. C’est également à cette époque que, face à la rupture de communication entre nous, j’ai entrepris de commencer une thérapie. La vie de couple a repris son cours. Nous avions des projets. Nous semblions heureux. J’étais plein d’espoir. Ce n’est pas une histoire faite de violences conjugales. C’est d’abord l’histoire d’un couple qui ne parvient plus à se comprendre. Une histoire qui finit dans le déchirement. C’est une réalité douloureuse que vivent tant de Français.

Dans le déroulement des faits, après la main courante que votre épouse ne souhaitait pas médiatiser, vous avez conjointement produit un communiqué de presse. Pourquoi avoir reconnu, dix jours après, à travers la diffusion d’un communiqué de presse, une gifle dont personne n’avait connaissance ? Le regrettez-vous ?

Mon ex-compagne avait à peine quitté le commissariat que la presse avait déjà sa main courante. Dès la première seconde, le secret de l’enquête et ma vie privée ont été bafoués. Pendant plusieurs jours sans discontinuer, mon nom a été associé à l’idée de violences conjugales. Tout pouvait être imaginé. Cela m’était insupportable.

Je suis sensibilisé à la question des violences faites aux femmes. J’ai donc choisi en toute transparence de dire la vérité et de reconnaître les faits qui pouvaient m’être reprochés, comme je l’avais fait en privé, tout en réservant à la justice les éléments de contexte et les faits imputables à mon épouse, certains étant graves. Les preuves ont d’ailleurs démontré autre chose que la version de mon ex-conjointe.

J’ai fait ce choix contre l’avis de mes avocats et contre la pratique habituelle qui consiste à nier. Je sais que nous n’en serions pas là si j’avais nié comme le font tous les autres. Mais je ne le regrette pas. Surtout si cela peut servir utilement la cause de la lutte contre les violences faites aux femmes.

Après l’avoir fait, j’ai simplement découvert à 32 ans qu’en France, quand on pose un genou à terre, qu’on reconnaît une faute et qu’on accepte sa sanction, l’acharnement ne cesse pas : il redouble jusque dans son propre camp.

De la même manière, je trouve inquiétant que les plus sévères à mon égard soient les mêmes qui protègent sans condition des hommes politiques qui nient des faits tellement plus graves que ceux qui m’ont été reprochés. Le message envoyé a le mérite de la clarté : niez !

Selon vous, d’où viennent les fuites dans la presse ?

C’est évidemment politique.Un député moins visible n’aurait sans doute pas fait l’objet du même traitement.

L’occasion était trop belle pour abattre le principal porte-parole et coordinateur de La France Insoumise. Plusieurs sources concordantes me disent que cela a été directement orchestré depuis le ministère de l’Intérieur. Je ne suis pas en mesure de l’affirmer moi-même aujourd’hui. Ce qu’il y a de certain en revanche, c’est que c’est rapide, efficace et très sélectif.

Tout ce qui est à charge contre moi dans la procédure a fait l’objet de fuites. En revanche, quand il s’agit des incohérences de mon ex-compagne, ce n’est pas le cas. Par exemple, quelques jours seulement après avoir porté plainte contre moi pour « harcèlement », elle s’en retourne au commissariat pour déposer une énième main courante pour se plaindre que j’ai quitté le domicile conjugal ! La presse ne s’en est évidemment pas fait l’écho. Ou peut-être n’a-t-on pas jugé utile de la mettre au courant.

Il y a aussi une grande hypocrisie quand, sur les plateaux de télé ou devant les micros, des commentateurs ou des politiques surjouent l’indignation avant d’admettre, une fois les caméras éteintes, que je fais l’objet d’un traitement odieux, m’envoient des messages de soutien et avouent elles-mêmes ou eux-mêmes des gestes déplacés dans leur vie, si inacceptables soient-ils.

Quel regard portez-vous sur la procédure judiciaire menée dans ce dossier ?

Nous avons eu la chance d’avoir une enquête rapide. La Procureure de la République de Lille est connue pour son intransigeance dans le traitement des violences conjugales. Il me semble qu’elle a compris dès le début de l’enquête que ce dossier n’avait rien de la binarité « tout blanc/tout noir » que décrivait le tribunal médiatique.

Je vais être très clair : je souhaite que toutes les femmes qui déposent une main courante ou une plainte contre leur conjoint reçoivent le même accueil, le même déploiement de moyens, la même rapidité et les mêmes suites que ceux dont a bénéficié mon ex-conjointe.

Qu’il y ait des moyens humains conséquents, des enquêteurs spécialisés et formés, à chaque étape. Pour cela il faut des moyens et de la volonté politique. La mienne est intacte.

Aujourd’hui, des élus demandent votre démission. Que leur répondez-vous ?

Rien. Je dois mon élection d’abord aux 65,24 % d’électeurs qui m’ont réélu en juin dernier. Sur le terrain, à Lille, Faches-Thumesnil, Loos comme ailleurs, ils me témoignent leur impatience de voir toute cette histoire cesser et de me voir retourner à l’Assemblée honorer le mandat qu’ils m’ont confié. C’est donc ce que je vais faire.

Ces derniers mois, quand j’étais au plus mal, j’ai fait de si belles rencontres. Des moments d’humanité hors du commun. À des années-lumière des commentaires sans nuance de plateaux de télé. Des récits de vie qui m’aident beaucoup à surmonter ce qui est d’abord une épreuve personnelle. Pour le reste, celles et ceux qui ne m’appréciaient pas avant continueront de ne pas m’apprécier.

Quant aux élus qui veulent ma tête, je leur dis simplement : attention. Attention au traitement que vous me réservez pour une faute que j’ai reconnue et pour laquelle j’ai accepté d’être sanctionné. Car dans cette Assemblée, il y a 577 femmes et hommes et non pas des « sur-femmes » ou des « sur-hommes ». Il y a 577 histoires de vie.

Les femmes et hommes politiques ne sont pas parfaits et n’ont pas à l’être. Ils représentent le peuple. Cette recherche de la perfection est dangereuse. Je ne suis pas certain qu’ils aient envie que l’on aille exhumer tous les cadavres de leur vie privée. Démissionner après avoir été condamné pour un acte que j’ai reconnu créerait un précédent dangereux et ouvrirait la porte à toutes les instrumentalisations politiques de la vie privée.

La sanction contre moi est déjà lourde et sans précédent : j’étais coordinateur et donc numéro 2 de La France Insoumise. Je ne le suis plus. J’étais son principal porte-parole. Je ne le suis plus. J’ai été malade puis en retrait de mon activité parlementaire pendant plus de trois mois d’un lynchage médiatique incessant. J’ai reconnu une faute et j’ai été sanctionné par la justice pour celle-ci. N’est-ce pas suffisant ? Je ne souhaite pareille épreuve à personne. Pas même à mes pires adversaires.

« La parole des femmes doit être respectée », estime Sandrine Rousseau, qui ne souhaite pas votre retour dans l’hémicycle. Y a-t-il des limites au respect de cette parole ?

Elle doit être respectée et prise au sérieux, évidemment, et la justice doit disposer des moyens pour la recueillir. Je distingue cependant l’écoute inconditionnelle et l’accompagnement, qui sont la base d’une politique publique, de la croyance aveugle. Il faut des moyens pour la prévention, pour écouter et diligenter les enquêtes nécessaires à la manifestation de la vérité, prononcer d’éventuelles sanctions et réunir les conditions de la réparation. Les associations de lutte contre les violences faites aux femmes réclament deux milliards.

Vous insistiez à l’Assemblée Nationale en 2019 sur la nécessité de prendre en compte les signalements des femmes victimes. Au vu des évolutions sociétales et de la place du débat autour des violences faites aux femmes, comment peut-on défendre honnêtement la cause des femmes sans avoir un comportement irréprochable ?

On m’a raillé sur les réseaux sociaux en ressortant cette intervention à l’Assemblée nationale dans laquelle je disais que la première main courante devait faire l’objet de suites sérieuses. Pourtant je n’ai rien à retirer de ces mots aujourd’hui. J’accompagne depuis des années comme député des femmes victimes et leurs familles.

Depuis le début de cette affaire, des femmes battues m’adressent des messages avec des copies de leurs plaintes, des constatations de blessures atroces réalisées par des médecins légistes, et déplorent de n’avoir encore aucune suite à leur affaire pendant que la gifle reçue par mon ex-conjointe a, elle, été traitée en moins de quatre mois.

Je souhaite continuer à accompagner ces femmes et à me rendre utile.

Votre carrière politique est-elle terminée ?

Je ne fais pas carrière. Je suis un militant à qui le peuple a confié un second mandat. Je vais tâcher d’honorer le mandat qui m’a été confié et de faire en sorte que les citoyennes et citoyens se sentent correctement représentés comme ils l’ont été depuis 2017. Je souhaite le faire dans le cadre du groupe politique de La France insoumise car ce sont les idées que je défends depuis les prémices de mon engagement aux côtés de Jean-Luc Mélenchon.

À chaque fois que la France Insoumise ou des camarades étaient en difficulté, je n’ai pas hésité à monter en première ligne quand certains préféraient se cacher pour se protéger.

Dans le difficile combat politique que nous menons, quand tant de Français subissent les effets de l’inflation, où l’âge du droit à la retraite est mis en cause, il m’apparaît indispensable de rester groupés. Je respecterai la décision collective du groupe. Mais la mienne m’appartient et elle est prise : j’ai payé bien assez cher sur tous les plans. Je ne céderai pas.

Dans ces conditions, peut-on encore prétendre devenir le futur maire de Lille, voire le futur Président de la République de tous les Français et toutes les Françaises ?

Quand ai-je dit des ambitions à ce sujet ? Aujourd’hui, ma vie et mes projets personnels sont au point mort et tant de gens autour de moi sont gravement affectés par toute cette situation. Je dois me reconstruire. Ce qui vaut pour ma vie privée est aussi valable sur le terrain politique. Je suis lucide. Tout est à refaire. Je vais m’y atteler. À ce jour, je ne prétends qu’au droit à reprendre une vie normale et à honorer mon mandat de député. Rien d’autre ne serait raisonnable.