Démonstrations de force et réflexions en cours

Ce mardi 7 février au matin, une crainte hante les plateaux de télévision : que les manifestations énormes « mutent » en blocage du pays. Il y a ces enquêtes d’opinion qui, toutes, rapportent qu’une majorité de la population comprendrait que le pays soit bloqué pour obtenir gain de cause. Et il y a surtout l’état d’esprit des militants.

Assemblée générale des étudiants de Rennes-2, le 6 février, décidant le blocage.
Par Pierre Valdemienne
Publié le 7 février 2023
Temps de lecture : 4 minutes

Les mobilisations énormes des 19 et 31 janvier, et à nouveau celle du 7 février, à l’appel de toutes les confédérations unies sur l’exigence du retrait de la « réforme » des retraites, en même temps qu’elles ont surpris l’exécutif par leur nombre, leur détermination et leur profondeur, ont donné confiance à toute la population laborieuse, éprouvant ce sentiment de force qui se dégage des cortèges. Sans trop s’avancer, il est probable que la mobilisation prévue ce samedi 11 février soit de même nature.

Une chose est certaine : ces démonstrations de force dans l’unité syndicale ont fait tomber le théâtre d’ombres que l’exécutif comptait projeter jusqu’à l’adoption de la « réforme ». Exit, la « réforme juste »  ; exit, les frauduleuses « avancées »  pour les femmes ; exit, la fausse protection des salariés en « carrières longues » … Plus personne – ou presque – au sein de l’exécutif, encore moins au sein des députés de la majorité présidentielle, ne s’aventure à affirmer ces contre-vérités, depuis que la puissance de tir des travailleurs est là.

Ce mardi 7 février au matin, une crainte hante les plateaux de télévision : que les manifestations énormes « mutent » en blocage du pays. Il y a ces enquêtes d’opinion qui, toutes, rapportent qu’une majorité de la population comprendrait que le pays soit bloqué pour obtenir gain de cause. Et il y a surtout l’état d’esprit des militants.

C’est ce responsable d’une union départementale de FO interviewé par BFMTV, qui pose le problème en ces termes : « Si le gouvernement ne nous entend pas, il faudra bien bloquer. »  Ou cette militante CGT des mines et énergie, sur la même chaîne : « Je crains que sans blocage, nous ne soyons pas entendus. »

A sa manière, Raymond Soubie, ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy à l’Elysée et fin connaisseur des relations sociales de ce pays, pose l’équation du problème dans une interview accordée au journal Le Parisien, le jour de la grève du 31 janvier. A la question « La rue peut-elle faire céder le gouvernement ? », l’intéressé répond : « En matière sociale, on ne le sait qu’après. En 1995, le discours d’Alain Juppé avait d’abord reçu un accueil plutôt sympathique avant la mobilisation d’ampleur que l’on sait. A contrario, en 2010, malgré quatre manifestations importantes dépassant le million de personnes et l’absence de soutien syndical, le gouvernement a résisté sur les 62 ans. »

Un autre analyste politique, spécialiste en mouvements sociaux, déclarait quant à lui, de façon plus « brute », une semaine avant dans le journal patronal L’Opinion  à propos du combat actuel contre la « réforme » Macron :

«  “Nous sommes entrés dans un grand conflit social, analyse Stéphane Sirot, spécialiste de l’histoire et de la sociologie des grèves. Les syndicats vont monter en régime jusqu’au 6 février (début de l’examen du projet de loi en séance publique à l’Assemblée nationale) . S’ils s’en tiennent aux journées d’action comme celle du 19 janvier, le gouvernement fera passer sa réforme. S’ils procèdent à des blocages, ils créeront un rapport de force de haut niveau qui risque de se retourner contre le gouvernement.”  »  (24 janvier.)

Toujours selon L’Opinion, lundi 6 février, la part de ceux qui, dans la population, considèrent que le blocage du pays est le seul moyen pour faire reculer Macron (cf. sondage Elabe pour BFMTV publié le 1er février) « a progressé de trois points en une semaine, et de cinq en deux semaines. Le paradoxe est que les bloqueurs potentiels hésitent. En tout cas pour le moment. »

Nouvelles pierres dans le jardin de plus en plus rétréci de M. Macron

Pour le moment, oui… en effet. Et il faut donc considérer à sa juste valeur les récents événements qui se sont développés depuis : les centaines de policiers qui se sont rassemblés de manière spontanée lundi 6 février contre la réforme de la police judiciaire (cf. encadré)  ; la bataille à l’Assemblée qui a débuté également ce lundi 6 février et menée par les députés de La France insoumise (LFI) et de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) au sein de l’Hémicycle (cf. ci-contre)  ; le ministre du Travail, Olivier Dussopt, principal défenseur de la « réforme », touché par une affaire de « favoritisme », qui renonce à trois reprises à s’exprimer devant les députés ; les assemblées générales de plus en plus massives qui se développent dans la jeunesse (idem) . Toujours lundi 6 février, à l’université de Rennes-II, 2 000 étudiants réunis dans le hall de la fac scandaient « Blocage ! Blocage ! Blocage ! »  et le décidaient à l’unanimité.

Nouvelles pierres dans le jardin de plus en plus rétréci de M. Macron. Il faut bien admettre qu’au fil des jours, sa situation ne s’améliore pas.

 

Communiqué de l’intersyndicale nationale au soir du 7 février (extrait)

« Le gouvernement et les parlementaires ne peuvent pas être sourds à cette mobilisation puissante »

« Avec près de 2 millions de manifestants, ce 7 février a confirmé, s’il était encore nécessaire, la très forte détermination à refuser le projet de réforme des retraites présenté par le gouvernement (…).

L’intersyndicale appelle toute la population à manifester encore plus massivement le samedi 11 février sur l’ensemble du territoire pour dire non à cette réforme.

D’ici là, elle invite à interpeller les députés et sénateurs et à multiplier les actions, initiatives, réunions ou assemblées générales partout sur le territoire, dans les entreprises et services, dans les lieux d’études, y compris par la grève.

L’exécutif portera l’entière responsabilité des suites de ce mouvement social inédit par son ampleur et désormais ancré dans le paysage social. Le gouvernement doit retirer son projet sans attendre la fin du processus parlementaire.

L’intersyndicale annoncera le samedi 11 février les suites de cette mobilisation. »