Manifestation Vérité et Justice pour Adama : nous faisons le point avec Jérôme Legavre
Informations ouvrières a recueilli les propos du député LFI-Nupes de Seine-Saint-Denis Jérôme Legavre, qui était présent à la manifestation Vérité et Justice pour Adama, le 8 juillet à Paris.
- Actualité politique et sociale, France

Les présidents des groupes parlementaires Renaissance, Modem et Horizons viennent d’écrire à la présidente de l’Assemblée pour lui demander de sanctionner les parlementaires qui étaient présents samedi 8 juillet à la manifestation place de la République…
Jérôme Legavre : Je ne vais pas anticiper sur ce qui va découler de cette lettre. Plusieurs remarques. Dès le départ, j’avais pris la décision de participer à cette manifestation. Tous les ans, depuis la mort de ce jeune homme assassiné dans son quartier par des policiers, le comité Adama organise une marche pacifique pour exiger la vérité et la justice. A chaque fois, ces marches se sont déroulées dans le calme, conformément à l’intention et à la volonté de leurs organisateurs. Ils savent trop ce que leur coûterait des violences si elles avaient lieu du fait des manifestants. Je me rappelle notamment très distinctement le rassemblement qu’ils avaient initié en 2020 place de la République à Paris. C’était juste après le meurtre par la police de George Floyd aux Etats-Unis. Il y avait là, à République, des milliers de jeunes qui se sont rassemblés de manière parfaitement pacifique. Et pourtant, les provocations n’ont pas manqué, venant notamment de Génération identitaire qui avait déployé aux fenêtres d’un immeuble une banderole sur laquelle étaient inscrits des slogans haineux, racistes. Les organisateurs de ce rassemblement avaient refusé de tomber dans le piège qui leur était tendu et avaient permis que tout se déroule dans le calme.
Je le précise parce qu’aujourd’hui, on entend beaucoup de choses qui sont fausses et qui ne sont pas acceptables.
Quant à la manifestation de ce samedi 8 juillet, je tenais d’autant plus à y être que tout dans le contexte l’imposait : le 27 juin, Nahel – un autre Adama – lui aussi, a été tué. Tué à bout portant. Par un policier.
En début de semaine dernière, un communiqué signé par une centaine d’organisations, syndicats, partis, associations, a appelé à participer à la manifestation convoquée comme chaque année par le comité Adama. Jeudi 6 juillet, le préfet du Val-d’Oise a interdit la manifestation. Une décision très politique. Dans la foulée, les députés LFI du même département puis le groupe parlementaire LFI ont publié un communiqué pour dénoncer cette interdiction et l’atteinte à la liberté de manifester. Une requête auprès du tribunal administratif (TA) a été déposée. Le 7 juillet, le TA a rejeté le recours et confirmé l’interdiction. Les parlementaires LFI ont fait savoir qu’ils feraient partie des manifestants.
Comme tous mes collègues députés, élus LFI, EELV présents samedi à République, j’étais parfaitement conscient que la polémique allait immédiatement se déchaîner et que nous serions accusés d’être des fauteurs de troubles, responsables du désordre. Mais comme eux, j’ai considéré, comme militant et comme député, que je me devais d’y être.
Parce qu’il y a une chose qui me révulse par-dessus tout : c’est l’injustice. Et je considère que l’interdiction de la marche de samedi puis la décision de la justice de confirmer cette interdiction ne sont pas justes.
D’abord, d’un strict point de vue démocratique, cette notion de risque de troubles à l’ordre public, aujourd’hui utilisée à tout bout de champ, est lourde de dangers. Non, le pouvoir n’est pas neutre et, en fonction de la situation, cette notion peut à tout moment être employée de manière très subjective et très orientée politiquement. La situation de ces derniers mois nous en donne des dizaines d’exemples : même des casserolades ont été interdites et réprimées violemment.
Et puis, je ne suis pas né de la dernière pluie : j’ai participé à quantité de manifestations appelées par les syndicats où l’ordre public a été troublé non pas du fait des manifestants mais toujours du fait d’éléments extérieurs manifestement très organisés et savamment diligentés…
A l’inverse, pour revenir à la manifestation de ce samedi 8 juillet, plus de 2 000 personnes, malgré l’interdiction, sont venues, se sont rassemblées, ont défilé dans le calme. Je peux en témoigner : j’y étais. Donc, le tribunal s’est trompé.
A une nuance près : la fin de la manifestation a bien été troublée. Et c’est du fait de l’intervention, que rien ne justifiait, extrêmement brutale, de la Brav-M qui a violemment interpellé deux manifestants et molesté des journalistes.
S’il y avait eu un réel souci de l’ordre public, alors c’est cette intervention de la Brav qu’il fallait interdire ; c’est elle aujourd’hui qu’il faudrait condamner. Et si on veut la justice, alors toutes les poursuites engagées contre Assa Traoré doivent être abandonnées.
Tu as parlé tout à l’heure du contexte dans lequel s’inscrivait cette manifestation…
D’abord, il y a ce fait dont quasiment plus aucun média ou presque ne parle : Nahel, 17 ans, a été tué à bout portant par un policier, pour « refus d’obtempérer ». Nahel s’ajoute à une longue, très longue liste. Je ne m’y habitue pas. Et cela s’inscrit dans un cadre qui fait que pour des milliers de jeunes des « cités » comme on dit, le quotidien, ce sont les contrôles au faciès, la stigmatisation, les insultes racistes…
Cette répression d’Etat, très imprégnée de racisme, est le pendant, le corollaire d’une violence sociale inouïe. Je suis élu dans une circonscription de Seine-Saint-Denis. Je cite toujours ce chiffre : à Clichy-sous-Bois, dans ma circonscription, 42 % de la population est en dessous du seuil de pauvreté.
Des milliers de gens ne s’en sortent (et de plus en plus mal) que grâce aux collectes alimentaires. J’ai accompagné l’autre jour une délégation de locataires chez leur bailleur social. Une dame expliquait que le loyer de son F5 d’un montant exorbitant (1 380 euros par mois !) mange l’intégralité du salaire de son mari. Ils sont des milliers dans ce cas.
Le Parisien a consacré il y a peu un article en double page sur une cité de Clichy-sous-Bois : le Chêne-Pointu. C’est une copropriété dégradée, terme bien pudique pour désigner ces logements insalubres. 10 000 personnes vivent là. Dans certains logements, des marchands de sommeil louent des emplacements de matelas (pas des logements ou des pièces…) des centaines d’euros. Des centaines de travailleurs, sans papiers ou non, dorment dans les caves, parce que sinon, il n’y a que la rue…
Tout cela me rappelle les propos de l’ancien maire PS de Clichy-sous-Bois, Claude Dilain, qui au moment des émeutes de 2005 parties de Clichy et de Montfermeil, avait eu ces mots très forts : « Vous réclamez le retour à la normale. Mais, pour beaucoup, c’est la normale qui est insupportable. » Que dire de plus ? Sinon poser cette question : depuis 2005, qu’est-ce qui a changé ? Qu’est-ce qui a été fait par les gouvernements successifs qui pourtant sont parfaitement au courant de la situation ?
Quel que soit le bord auquel ils appartiennent, ils ont continué une même politique de saccage. A Clichy-sous-Bois, il n’y a plus de centre des impôts, plus de centre de la Sécurité sociale, plus d’antenne des Allocations familiales… Ils ont tout fermé. Quant à Macron et à ses gouvernements, n’en parlons pas… Depuis 2017, ils n’ont de cesse de tout faire pour aller encore plus loin sur cette voie destructrice.
Mais comment ne pas voir que c’est cette situation dont les gouvernements sont directement responsables qui conduit au désastre social, à la décomposition, qui pousse à la colère, au désespoir, aux extrémités ?
Alors oui, parce que cette situation est insupportable, j’étais samedi avec les manifestants qui se sont rassemblés place de la République. Et plutôt deux fois qu’une.
Le pouvoir a décidé d’interdire la manifestation et la justice a donné son accord. Une remarque et une interrogation : dernièrement, deux syndicats de policiers ont publié un communiqué commun qui parle de « hordes », de « nuisibles », de « guerre… Un communiqué qui intime l’ordre au gouvernement de mener le combat sans quoi ils le feront eux-mêmes… Toujours récemment, un homme politique, proche de Zemmour, a mis en ligne une cagnotte pour venir en aide au policier qui a tué Nahel. Désolé, mais dans le cas présent, qu’est-ce qui est « nuisible » ? De quoi s’agit-il en l’occurrence, sinon d’un encouragement au meurtre, de propos gravissimes que, pour ma part, je n’avais encore jamais eu l’occasion de voir assumés et revendiqués de la sorte, des propos poussant délibérément à l’affrontement, à la guerre civile ?
Qu’a dit le gouvernement ? Rien, ou si peu que cela revient au même.
Et la suite de la situation ?
Je suis inquiet. J’ai la conviction de plus en plus nette que nous avons un chef de l’Etat et un gouvernement minoritaires qui ont sciemment fait le choix de faire passer leur politique contre la majorité, pour le seul profit d’une poignée d’exploiteurs, par la force, la répression et une violence de plus en plus aveugle. Ils ont choisi l’option suivante : tenter de mettre au pas, de mater tous ceux, la masse de la population, qui n’acceptent pas. Il faut regarder les choses en face.
Ce gouvernement emprunte une pente de plus en plus ouvertement autoritaire. Cela fait un an qu’il est en place. Il a utilisé le 49.3 onze fois. Les manifestations qui ont suivi le passage par 49.3 de la réforme des retraites ont été partout réprimées.
Quant à la violence de la répression ces derniers jours, il en est très peu question dans les médias, et c’est en soi un scandale, même si je ne suis pas surpris, mais outre Nahel, il y a eu deux morts en quelques jours. Deux morts dont personne ne parle : un jeune à Angoulême, un jeune à Marseille des suites d’un tir de LBD.
Un autre fait dont quasiment personne ne parle : les événements de ces derniers jours se sont traduits par des centaines de comparutions immédiates avec à la clé des peines extrêmement lourdes allant jusqu’à de la prison ferme pour des faits tels que le vol d’une canette de bière dans un supermarché. Il y a de toute évidence la volonté de « taper dans le tas », et de faire des exemples, au point qu’une avocate a parlé récemment de justice expéditive et punitive.
J’ai vu les réactions de Fabien Roussel du PCF, celles de dirigeants du PS, qui préfèrent s’en prendre à LFI plutôt qu’au pouvoir et à la pente qu’il emprunte. Il est vrai que, s’agissant de Roussel, ce positionnement est une habitude. Quand la manifestation du 8 juillet a été interdite, on ne peut pas dire qu’ils se soient précipités pour réagir. Chacun est libre de ses choix, mais s’ils croient en agissant ainsi se prémunir, je crains fort qu’ils ne se trompent lourdement.
Je m’interroge aussi sur le positionnement des principaux responsables syndicaux. Tout le monde le sait : mon engagement personnel a plutôt été syndical. Par expérience et par conviction, je suis politiquement très attaché à la Charte d’Amiens. Je ne veux pas de syndicats dépendant d’un parti politique quel qu’il soit. Le syndicat, c’est la défense des travailleurs par-delà les opinions politiques des uns et des autres. C’est d’ailleurs pourquoi tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions politiques, y ont leur place.
Cela signifie-t-il que les syndicats doivent fuir le champ politique ? Non, et d’ailleurs la Charte d’Amiens dit le contraire. Mais aujourd’hui, s’agit-il vraiment de la Charte d’Amiens ? Je crains que ce ne soit une illusion. D’ailleurs, j’observe que nombre de structures ont commencé à se disposer en défense des libertés et de la démocratie.
Pourquoi la position prise par les syndicats sur les retraites, qui a été prise comme un point d’appui par la masse des travailleurs, ne serait-elle pas possible pour défendre les libertés et la démocratie menacées par une répression devenue de plus en plus systématique ?
Si cette dérive politique du gouvernement contre la démocratie se poursuit, qui peut penser que demain les syndicats seront épargnés ? D’ailleurs, ce qui me laisse plus qu’interrogatif, c’est l’illusion que je perçois de relations, de négociations « normales » avec le patronat au moment même où les droits élémentaires, où la démocratie sont de plus en plus ouvertement menacés. A regarder ailleurs ou regarder de loin, à ne pas s’engager à fond dans la défense de ce qui est inséparable de leur existence, le risque est grand qu’ils soient eux aussi les prochaines victimes.
Et il ne s’agit pas du positionnement de tel ou tel. Non, il s’agit, comme sur les retraites, de s’unir pour défendre la démocratie. Est-il de leur domaine de se prononcer contre la police ou la justice ? Non. Est-il de leur domaine ne pas accepter les dérives de policiers et leur répression contre les citoyens, de ne pas accepter les décisions iniques de tribunaux ? Oui.
Alors quelle solution ?
Elle est simple, claire et nette. Refus, résistance, rassemblement. C’est un fait : il y a une dérive très inquiétante du gouvernement qui se retrouve aujourd’hui sur les positions de Zemmour, de Bardella et des pires réactionnaires. Cette dérive est l’aveu par ce pouvoir qu’il lui faut cela pour tenter de casser le refus de l’immense majorité qui n’accepte pas et qui veut vivre.
On le nomme comme on veut, mais un rassemblement large contre les violences et les exactions policières, pour la justice, pour les revendications vitales est indispensable. L’appel « Nous sommes en deuil et en colère » signé par au moins 100 organisations, partis, syndicats, associations, peut permettre d’avancer.
Un rassemblement où chacun est présent avec ses particularités, avec un objectif : que la démocratie, que la volonté de la majorité de la population s’impose ; qu’elle bloque toutes les velléités réactionnaires des nostalgiques d’un ordre anti-ouvrier, raciste, antisocial dont l’histoire nous a donné de sinistres exemples.