1938 : SFIO et PC votent les pleins pouvoirs au Parti Radical
En France, en avril 1938, l’essor révolutionnaire de l’été 1936 et des grèves avec occupations d’usines est bien loin.
- Histoire
(Parti Radical, nom du principal parti parlementaire de la bourgeoisie lors de la IIIe République).
Le gouvernement de Front populaire (composé de la SFIO, nom de l’époque du parti socialiste, et du Parti radical) appuyé par le PCF a tout fait pour épuiser et démoraliser la classe ouvrière, les procès de Moscou qui voient la liquidation des dirigeants bolcheviks par Staline, avec le soutien enthousiaste du PCF a pesé dans cette démoralisation. La terrible situation internationale avec les menaces nazies et l’abandon de l’Espagne républicaine y compris par l’URSS, joue incontestablement et il faudrait plusieurs articles pour s’en expliquer.
Revenons à la France.
Édouard Daladier, le principal dirigeant du Parti radical, présenté par les dirigeants socialistes et communistes comme le garant de la démocratie et le barrage indispensable aux menaces fascistes, forme un gouvernement uniquement radical le 10 avril 1938. Il obtient les pleins pouvoirs à l’Assemblée, le 12 avril, par 572 voix contre 5, les députés socialistes et communistes votant en sa faveur.
Fort de ce soutien, il met en place très vite une politique contre les conquêtes arrachées par la grève générale de juin 1936.
La cause aux « indésirables étrangers »
Sous le prétexte de protéger les travailleurs français, il promulgue le décret-loi du 2 mai 1938, complété un peu plus tard. Ces textes prévoient l’internement des « indésirables étrangers », c’est-à-dire « de tout individu, Français ou étranger, considéré comme dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique », visant particulièrement à l’époque les Juifs d’Europe centrale. Là encore, la forme n’est pas secondaire.
Le décret-loi consiste, dans le cadre de la IIIe République, à prendre des décisions en matière législative par l’exécutif en vertu d’une délégation temporaire du Parlement (vote des pleins pouvoirs), c’est le vote honteux des socialistes et des communistes qui a permis cela. C’est-à-dire que la IIIe République, république parlementaire par excellence, a révoqué une partie de ses prérogatives (faire la loi) au profit de l’exécutif, c’est la tentation bonapartiste permanente de la bourgeoisie française qui prend une forme dans la Ve République (mais pas sa forme la plus nette, la copie gaullienne étant loin de l’original de Napoléon Ier ).
Le 12 novembre, le ministre des Finances, Paul Reynaud, présente un plan de redressement qui prévoit de réduire les dépenses des services publics pour « remettre la France au travail ». Daladier qualifie la loi limitant la semaine de travail à 40 heures de « loi de paresse et de trahison nationale ». Raynaud parle des 40 heures comme de « la semaine des deux dimanches ». La durée hebdomadaire du travail est portée à 48 heures, d’autres mesures vont dans le sens de l’augmentation de la productivité, c’est-à-dire de l’exploitation (productivité n’étant qu’un synonyme hypocrite d’exploitation capitaliste).
Grèves spontanées
Des grèves spontanées éclatent mais restent isolées comme à Renault, où après de violents affrontements, la direction peut licencier 28 000 ouvriers, 294 d’entre eux sont inculpés et traduits en correctionnelle.
Contre ces mouvements qui s’étendent notamment dans le Nord et dans le Pas-de-Calais (et de manière générale, dans les régions industrielles), les dirigeants freinent des quatre fers. Le 24 novembre, Le Peuple, quotidien socialiste (car à l’époque les socialistes possédaient un journal quotidien), appelle à « la discipline ». L’Humanité, quotidien du PCF, le 22 novembre avait titré « Attention aux provocations ». Toutes les publications, tous les communiqués vont dans le même sens. Enfin, le 25 novembre, une semaine après le déclenchement des grèves, la CGT appelle à la grève générale pour le 30 (la suite montrera que, loin des affirmations convenues, l’appel par les directions syndicales à la grève générale n’est pas nécessairement une garantie de succès). Car le congrès de la CGT, seul syndicat ouvrier à l’époque, qui s’était tenu précédemment, profondément divisé, n’avait pas fixé des modalités précises d’action (une « journée nationale de protestation »).
Débordés et désemparés, les dirigeants décident de transformer la « journée de protestation nationale » du 26 novembre en une « démonstration nationale » et une grève générale pour le 30 novembre.
Fichage et répression des militants
C’est la réaction qui a l’initiative. Le pouvoir a eu le temps d’organiser sa riposte. Daladier a refusé tout contact avec les dirigeants syndicaux. Le patronat a pu prendre toutes les mesures visant à limiter la grève et à repérer les grévistes pour pouvoir les licencier. Le gouvernement réquisitionne les employés des services publics et des transports ; il annonce que la grève constituerait une faute grave qui « exposerait ceux qui la commettraient à la révocation ». La troupe se déploie devant les édifices publics et devant les entrées d’usines (30 cartouches par soldat). La grève est un échec. Le 1er décembre, 36 000 ouvriers sont licenciés dans l’aéronautique et les arsenaux, 8 000 dans la chimie et l’automobile, etc. Plus de la moitié sont des responsables syndicaux de la CGT. La répression est brutale : 500 condamnations à des peines de prison (jusqu’à 18 ans), de nombreuses sanctions frappent les fonctionnaires et les agents de services publics. Tous les courants du mouvement ouvrier sont concernés. Léon Jouhaux, dirigeant réformiste de la CGT, comparera les méthodes de Daladier à celles du Second Empire. Tous ces militants repérés, sanctionnés et fichés par la police seront des cibles privilégiées sous Vichy, car la police garde toujours ses dossiers, peu importe le gouvernement.
La politique du Front populaire a laissé les mains libres au Parti radical qui a pu frapper lourdement le mouvement ouvrier. La subordination au PC et au PS a conduit au désastre.