Un meeting juif international historique réuni à Paris, le 30 mars

A l'initative de Tsedek ! (collectif juif décolonial crée en 2023 ) et l’Union juive française pour la paix (UJFP), plusieurs centaines de personnes ont participé à cet évènement contre la guerre coloniale en Palestine, contre l’antisémitisme et contre les répressions. Reportage.

Le meeting du 30 mars à Paris. (Rédaction)
Par Tamara Rossi
Publié le 5 avril 2024
Temps de lecture : 6 minutes

Le samedi 30 mars s’est tenu au siège du POI à Paris un grand meeting juif international contre la guerre coloniale en Palestine, contre l’antisémitisme et contre les répressions. Il était organisé par le Tsedek ! (collectif juif décolonial crée en 2023 pour lutter contre le racisme d’Etat en France et pour la fin de l’apartheid/l’occupation en Israël-Palestine) et l’UJFP (Union juive pour la paix) et rassemblait près de 25 intervenants de différentes organisations de France et du monde autour de quatre tribunes avec plusieurs centaines de participants. Ce meeting, qualifié d’ « historique » par de nombreux orateurs, a fait salle comble.

Il y a de l’effervescence dans la grande salle du local du POI dès le début de la première table sur le thème de la « guerre génocidaire et de décolonisation de la Palestine. » Les organisateurs ouvrent le meeting en remerciant le POI et ses membres de leur accueil dans leurs locaux, et rappellent le rôle de leurs associations pour « combattre le racisme sous toutes ses formes » tout en posant la question de la résistance, de « renouer avec notre passé révolutionnaire ».

Haïm Bresheeth-Zabner, membre de Jewish Network for Palestine en Angleterre, salue ce qu’il se passe au même moment à Londres : « la manifestation la plus importante qui ait eu lieu pour la Palestine. » Ce meeting est pour lui « le premier événement de ce type, et ça ne sera pas le dernier. 

Comme plusieurs intervenants, Haïm Bresheeth-Zabner revient sur le rôle des gouvernements occidentaux dans le soutien à Israël depuis 1948, la barbarie du génocide et le fait que le judaïsme a été « accaparé par le sionisme : le cœur humaniste du judaïsme a été remplacé par la vision barbare sioniste » . Il insiste sur la résistance politique nécessaire pour « revenir au moment où les Juifs œuvraient ensemble pour changer les choses avec des forces progressistes, récréer un Bund international pour faire échec au régime sioniste. »

A la même table, Rima Hassan, juriste en droit international et candidate sur la liste LFI aux européennes, est ovationnée dès sa présentation. Très émue, elle rappelle son histoire, quand elle naît et grandit dans un camp de réfugiés, avec une pensée pour ses grands-parents « qui n’ont pas vu ce qu’on est en train de construire ici » .

Elle insiste sur le fait que la Nakba est « le seul cadre opérant pour appréhender la question palestinienne, ce n’est pas seulement un événement historique, cela renvoi à ce qu’est la réalité palestinienne, avec 800 000 Palestiniens sur une population de 1,4 million qui sont chassés de leur terre, 532 villages rasés. En France, le sujet de la Palestine est toujours traité sans revenir à cette Nakba ».

« Je suis née en colère, en tant que réfugiée ; on commémore quotidiennement la Nakba, si on n’entretient plus ce lien, on peut disparaître en nous-mêmes. » Elle précise le caractère « politique » de cet événement, car la population de Gaza « c’est 85 % de réfugiés » .

Impasse du colonialisme

Après les interventions de Ethan Bronstein Aparicio, du mouvement De-Colonizer en Belgique, et de Orly Noy, journaliste et militante en Israël, Michèle Sibony, une des organisatrices du meeting, membre de l’Union juive française pour la paix, conclut cette première table en revenant sur « l’impasse du colonialisme ».

Et de dénoncer : « On nous associe publiquement aux crimes en Palestine. La France et Israël parlent en notre nom. La manifestation du 12 novembre à Paris a réintégré le RN sous prétexte d’antisémitisme. Tous ceux de l’extrême droite européenne se sont rendus chez Netanyahou »

Dans la table suivante, sur le thème de « réinventer nos diasporas », Simon Assoun, organisateur du meeting et membre du Tsedek !, lui aussi très applaudi, rappelle qu’il faut rompre avec les structures d’oppression, « rompre avec l’Etat d’Israël, avec la honte de l’exil qui fonde le sionisme. »

Rupture, et après ? « Beaucoup d’horizons sont ouverts : la réappropriation de notre judéité, la sortie de l’isolement de nombreux Juifs ; nous n’avons rien d’autre à proposer que la lutte révolutionnaire émancipatrice, vive la lutte du peuple palestinien ! »  

Des militants et responsables d’organisations comme N’mod en Grande-Bretagne, Judishe Stimme für Geretchen Frieden en Allemagne et des cinéastes comme Eyal Sivan sont également présents.

Ce meeting est aussi l’occasion pour de nombreux militants d’échanger et de se rencontrer, dans la cour ou autour des tables qui proposent de nombreux ouvrages et documentations. Chacun sent l’importance d’être présent, de se regrouper et de regrouper toutes ces organisations.

La dernière table intitulée « faire bloc contre la répression et le tournant autoritaire en France » rassemble des députés de la LFI, des militants du QG décolonial, une militante du NPA, un militant de Boussole Palestine, une étudiante de SciencesPo Paris, le philosophe Frédéric Lordon.

Yessa Belkhodja du QG décolonial appelle à participer à la marche contre le racisme, l’islamophobie et pour la protection de tous les enfants le dimanche 21 avril à Paris : « une marche porteuse d’espoir » . Elle revient sur la dernière agression d’un jeune par la police à Villiers-le-Bel il y a quelques jours, et plus généralement la répression des jeunes. « Sur la Palestine, nos enfants sont réduits au silence, avec la crainte qu’on les qualifie d’apologie du terrorisme s’ils en parlent. »

Cessez-le-feu immédiat

Une étudiante de Sciences Po présente, va dans le même sens : « Quand on parle de la Palestine en France, on ne parle jamais vraiment de la Palestine. » Elle fait partie du groupe d’étudiants qui a organisé un rassemblement pour la Palestine à Sciences Po Paris le 12 mars, rencontre qui a subi un déferlement médiatique « odieux » et mensonger .

« Nous, on voulait s’emparer d’un amphi pour faire ce que Sciences Po ne faisait pas : dénoncer le génocide à Gaza et appeler au cessez-le-feu, ce qui est le minimum syndical pour une université. » « Il y a des résistances de camarades partout, au Canada, en Israël. Le moins qu’on puisse faire dans les universités françaises c’est de nous battre malgré la répression. »

La militante décoloniale Houria Boutheldja, lit un texte commun de son organisation : « faire bloc contre les sionistes de gauche » . Elle cite plusieurs organisations, comme le collectif Golem « dont le premier acte a été de reprocher à LFI sa non-participation à la marche du 12 novembre, donc à des antiracistes de se joindre à une manifestation raciste ! » Elle appelle tous les militants présents à participer à la marche du 21 avril « contre le racisme, l’islamophobie et pour la protection de tous les enfants (…) car c’est dans le milieu pro-palestinien que les juifs sont les plus en sécurité » .

Jérôme Legavre, député LFI et membre du POI se félicite « que le POI ait mis ses locaux à disposition pour cette réunion » et salue « le courage de faire ce que vous faites dans cette atmosphère irrespirable que certains imposent au pays. » De retour de la manifestation pour le cessez-le-feu l’après-midi même à Paris, il rappelle le caractère autoritaire et répressif de Macron et son gouvernement « qui divisent et dressent les gens les uns contre les autres » et qu’il est « très fier d’appartenir à la seule force politique qui, dès le 7 octobre a dit “Cessez-le-feu, toutes les vies se valent” » , applaudi par la salle.

« Pour nous, c’est une nécessité impérieuse de continuer à dire cessez-le-feu total et permanent. »

Le député LFI Thomas Portes revient sur le rôle des gouvernements qui « soutiennent Israël, qui soutiennent le capitalisme et notamment le capitalisme d’Israël, avec le commerce d’armes. Il n’y a eu aucune décision du gouvernement français pour stopper le génocide. La mobilisation peut faire bouger les lignes. »

 

Antisionisme et antisémitisme

Il n’y a pas un jour qui passe sans qu’Emmanuel Macron, les membres de son gouvernement, la presse qui, pour une très large part, lui est acquise, alertent du danger de l’antisémitisme. Sous un certain angle : ceux qui osent critiquer la politique génocidaire du gouvernement d’extrême droite israélien se rendent complices de l’antisémitisme.

Des sénateurs ont déposé une proposition de loi en novembre dernier visant à ce que « l’antisionisme soit tout autant interdit et condamné que l’antisémitisme » , assimilant l’antisionisme à l’antisémitisme.

A juste titre, Libération a titré son éditorial du 29 mars : « Entre antisionisme et antisémitisme, de dangereux amalgames » , citant à ce sujet les propos du ministre israélien des Affaires étrangères, Israël Katz, qui a qualifié récemment l’Onu d’ « organisation antisémite, anti-israé- lienne » . L’article cite également Simone Veil qui expliquait en 1982 : « J’ai eu l’occasion […] de dire qu’antisionisme et antisémitisme ce n’était pas pareil. Mais petit à petit, on s’aperçoit depuis quelques mois, qu’il y a une espèce de confusion dans les esprits et un glissement qui se fait (…). Moi, ça m’est arrivé qu’on me dise “vous, les juifs”, me rendant responsable de la politique d’Israël. »

Samedi 30 mars, l’organisation décoloniale Tsedek ! a décidé d’organiser à Paris, dans les locaux du POI, un meeting juif international, pour y réaffirmer : « La lutte contre l’antisémitisme est indissociable du combat contre toutes les formes de racisme. Face au tournant autoritaire, face au racisme et au colonialisme, faisons bloc ! » .

Il est notable de constater que, dès l’annonce de ce rassemblement, nombre de militants, syndicalistes, démocrates, militants d’origines diverses, ont tenu à être présents pour qu’aucun incident ne vienne troubler l’événement et que soit respecté le droit d’avoir des avis différents. En somme, que la démocratie soit respectée.

Ce qui nous met loin, bien loin des nervis, masqués et in fine secondés par la police, lors des provocations qui sont intervenues contre le cortège en défense de la cause des femmes palestiniennes lors de la manifestation parisienne du 8 mars. Des nervis soutenus, il faut le noter, par Deborah Abisror-de Lieme, secrétaire générale du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale, qui relaie régulièrement leurs publications.

Les paroles des unes – Yaël Braun Pivet appelait ce mardi matin à l’application au plus vite de la résolution de l’Onu pour le cessez-le-feu immédiat – autoriseraient-elles le soutien des autres aux actions les plus réactionnaires ?

Paul Dumont