Y aura-t-il des changements dans la politique internationale des Etats-Unis après l’élection de Trump ?
LA PAROLE A JANA SILVERMAN, membre du Comité international de Democratic socialists of America (DSA).
- Actualité internationale, Etats-Unis
Quel bilan tires-tu des élections américaines ?
Jana Silverman : Bien que le vote pour Trump ait été significatif quantitativement et qualitativement, ces résultats en disent bien plus sur l’effondrement de la stratégie centriste néolibérale des démocrates que sur un prétendu virage à l’extrême droite de la classe ouvrière américaine. Maintenant que presque tous les votes ont été comptés, on voit que l’écart dans le vote populaire n’est pas aussi grand qu’on le pensait au début. L’écart
est maintenant d’environ 3 millions de voix.
De nombreux électeurs de Biden n’ont pas voté pour Harris, sans pour autant nécessairement se tourner vers Trump. C’est un élément qu’on oublie souvent de signaler. Je ne pense pas que, du jour au lendemain, la majorité de la classe ouvrière américaine soit devenue xénophobe, sexiste ou d’extrême droite. Ces tendances existent évidemment, et il y a un noyau dur d’électeurs de Trump. Cependant, parmi les personnes de couleur issues de la classe ouvrière – les Latinos, les personnes d’origine asiatique – nombreux sont ceux qui ont voté pour Trump en raison de deux facteurs : la situation économique et l’idée qu’un changement était nécessaire. Harris représentait une continuation des politiques de Biden voire une approche plus néolibérale.
Le problème avec la manière dont le Parti démocrate, ou du moins sa majorité, raconte cette histoire, c’est l’affirmation que « l’économie va bien ». En dépit d’un faible taux de chômage et d’une croissance solide du PIB, les gens ressentaient l’inflation, notamment en 2021 et 2022. Malgré les déclarations triomphales sur Biden, qualifié de « président le plus pro-syndicat, pro-travailleur », les expériences vécues des travailleurs en matière économique se sont dégradées.
Un autre facteur qui mérite d’être analysé davantage est la question de la politique étrangère, en particulier celle concernant Gaza. Cela a été un facteur significatif dans des Etats comme le Michigan, qui possède la plus grande population arabe américaine. Trump a remporté le Michigan avec une très faible marge, mais il est aussi important de noter qu’il a remporté tous les Etats clés. Je ne pense donc pas que la question de Gaza ou la politique étrangère en général ait eu autant d’impact que certains à gauche l’avaient prévu il y a six mois, pendant les grandes manifestations étudiantes et le mouvement Uncommitted.
Quels ont été les résultats de DSA dans ce cycle électoral ?
J. S. : Gabriel Sanchez a été élu en Géorgie – un jeune Latino issu de la classe ouvrière et candidat socialiste déclaré. Contrairement à Alexandria Ocasio-Cortez, qui a sollicité le soutien de DSA mais n’a jamais été une membre très active de DSA elle-même.
Nous nous sommes également concentrés sur ce que nous appelons des « candidats cadres ». Des personnes qui étaient déjà des leaders de base de DSA avant de devenir candidats. Par exemple, nous avons gagné avec Gabriel en Géorgie. Nous avons fait élire J.P. Lyninger au conseil municipal de Louisville, dans le Kentucky, alors que le Kentucky est un Etat très à droite. Nous avons une autre membre élu à l’Assemblée de l’Etat de New York, Claire Valdez, et un nouveau membre au conseil municipal de Los Angeles.
Dans certains Etats et certaines villes, DSA devient une force électorale avec laquelle il faut compter. Nous arrivons à maturité en tant qu’organisation. Nous présentons des candidats qui ne sont pas des personnalités faisant une carrière politique à l’extérieur et cherchant ensuite le soutien de DSA, mais qui acquièrent leur expérience politique en étant des membres actifs de DSA. En ce sens, c’est très encourageant de voir ce niveau de maturité. C’est un parcours, mais nous sommes dans une position plus forte que nous ne l’avons été depuis plus de vingt ans.
Depuis que Trump a remporté l’élection, il a commencé à nommer de nouveaux membres dans son administration, qui, d’après ce que je comprends, doivent être confirmés par le Sénat. Mais, du moins d’après ce que j’ai vu, la politique américaine envers le gouvernement de Benjamin Netanyahou ne semble pas sur le point de changer. Penses-tu qu’il y aura des changements dans la politique internationale des Etats-Unis après cette élection ?
J. S. : Eh bien, je pense que nous pourrions voir des changements sur plusieurs fronts. Il est important de comprendre que les intérêts de la machine impérialiste américaine sont ceux de l’Etat, et ne sont pas attachés à un gouvernement spécifique. Les objectifs et priorités sous-jacents ne changeront pas. Ce qui pourrait changer, ce sont les moyens utilisés par le gouvernement pour atteindre ces objectifs.
En Europe, il reste une grande incertitude quant à la continuation de la guerre en Ukraine, en particulier concernant le financement américain. Même si Trump a fait campagne pour mettre fin à l’aide à l’Ukraine, je dirais : « Je le croirai quand je le verrai. » Le complexe militaro-industriel a ses intérêts propres et exerce une forte influence sur le gouvernement. Il serait difficile de mettre fin totalement à l’aide militaire.
Concernant Israël, je ne pense pas que la politique américaine changera ; elle pourrait même empirer en raison de l’alignement idéologique plus fort entre Benjamin Netanyahou et Trump. Il est probable qu’il n’y aura aucun frein si des guerres régionales survenaient au Moyen-Orient.
Ce qui m’inquiète le plus, toutefois, c’est l’Amérique latine. Si Marco Rubio est confirmé comme secrétaire d’Etat, c’est un anticommuniste dur avec des racines cubano-américaines. J’anticipe que les pressions contre Cuba vont monter – qu’elles soient économiques, politiques voire militaires. Des pressions similaires risquent aussi d’augmenter contre le Venezuela et le Nicaragua.
Il sera également intéressant de suivre ce qui se passera entre la nouvelle administration Trump et le Mexique. Le Mexique a un gouvernement de gauche appuyé sur une forte majorité au Congrès. La plateforme de Trump reste axée sur l’opposition à l’immigration, et la principale voie d’entrée des migrants aux Etats-Unis passe par la frontière mexicaine. Cela pose les bases d’un bras de fer potentiel entre les deux gouvernements, notamment sur les politiques frontalières et les accords commerciaux.
En fin de compte, je pense qu’il nous faut attendre et voir. Mais je n’attends rien de mieux sous Trump.
Biden a annoncé grosso modo qu’il autoriserait l’Ukraine à utiliser des armes à longue portée pour frapper la Russie. Cela ressemble à une escalade importante, assez inattendue, d’autant que Biden est en train de quitter ses fonctions.
J. S. : Je pense que ce geste est une façon pour Biden d’envoyer un signal concernant son programme en matière de politique étrangère. C’est ironique, surtout que lorsqu’il a été élu, Biden avait présenté sa présidence comme axée sur des solutions multilatérales aux problèmes mondiaux, comme le changement climatique. Pourtant, lors d’une conférence de presse en Amazonie, au lieu de se concentrer sur le développement durable ou les questions climatiques, il a choisi de mettre en avant l’Ukraine, en intensifiant les tensions et en renforçant la machine de guerre. Cela semble emblématique de ce qu’a été la politique étrangère de Biden – privilégiant des stratégies militaristes plutôt que la coopération mondiale.
Pour être honnête, je n’ai pas été entièrement surprise. Cela semblait déjà plus n’être qu’une question de temps avant qu’une telle décision soit prise. Cependant, ce que cela signifie après le 20 janvier (date de la prise de fonction de Trump, Ndlr) reste une question ouverte.
Une dernière chose que je voulais te demander concerne le mouvement syndical. J’ai vu que Trump a nommé Elon Musk pour réduire drastiquement les effectifs de la fonction publique à travers les Etats-Unis.
J. S. : Il est clair que Trump a l’intention d’interdire toute négociation collective dans le secteur public. Bien qu’il puisse le faire au niveau fédéral, il ne peut pas l’interdire entièrement aux niveaux des Etats ou des municipalités. L’un des piliers des progrès en faveur des syndicats sous la présidence de Biden a été le Bureau national des relations du travail (NLRB), qui joue un rôle essentiel dans l’interprétation du droit collectif du travail et la protection des droits syndicaux. Cependant, comme souvent avec les démocrates, ils n’ont pas réussi à consolider des nominations progressistes au NLRB, même lorsqu’ils en avaient l’opportunité. Si rien n’est fait et que Trump prend ses fonctions, il nommera probablement des juges ultra-conservateurs et anti-syndicats au NLRB. Cela entraînerait :
– l’annulation des récents gains en matière de droits de syndicalisation pour les travailleurs sous-traités ;
– l’affaiblissement des sanctions à l’encontre des employeurs qui adoptent des pratiques anti-syndicales pour dissuader les travailleurs de se syndiquer ;
– la réduction des amendes imposées aux entreprises qui refusent de négocier de bonne foi avec des syndicats reconnus.
Cela aurait un impact énorme sur les efforts de syndicalisation dans des entreprises comme Starbucks et Amazon, qui ont été au cœur des campagnes syndicales ces dernières années.