« Victoire » ? Prend-on les travailleurs et les militants pour des imbéciles ?

La confédération FO vient de publier un communiqué intitulé « Victoire pour le paritarisme : Agrément par le Premier ministre de la convention d’assurance chômage ». Pourquoi un tel titre tonitruant ?

(photo AFP)
Par Pascal Samouth
Publié le 21 décembre 2024
Temps de lecture : 3 minutes

Il y a quelques jours dans une « déclaration commune des responsables des organisations syndicales et patronales CFDT, CFE-CGC, CFTC, CPME, FO, Medef et U2P à l’attention de nos élus et responsables politiques », les responsables de ces organisations déclaraient être « déterminés à participer pleinement aux transformations de notre société, confrontés à une situation budgétaire et à des mutations sans précédent » et appelaient « à retrouver au plus vite le chemin de la stabilité, de la visibilité et de la sérénité ». Ils ajoutaient que « la voie du paritarisme qui passe par le dialogue, la négociation collective et la construction de compromis, est en capacité d’apporter des réponses concrètes. Nos organisations en ont fait encore récemment la démonstration. »

Aux militants interloqués, abasourdis, scandalisés par cette déclaration parce qu’ils y voient un soutien aux politiques d’austérité et une offre de service pour aider à les mettre en place, les sommets des confédérations minimisent et répondent qu’il s’agit simplement de rappeler la place de la négociation collective et la demande de l’agrément des accords signés par « les partenaires sociaux ». Notons que nulle part dans la déclaration commune patronat/syndicats, cette demande n’est formulée, mais il fallait bien trouver une victoire à l’appui de ces affirmations.

Peut-on considérer, comme le fait le communiqué confédéral FO, paru trois jours après cette déclaration commune, que « cet agrément [par le gouvernement, de l’accord sur l’assurance chômage] est une victoire pour le paritarisme » et qu’il « rend la main aux interlocuteurs sociaux dans la gestion et la définition des règles d’assurance chômage pour les quatre années à venir » ?

Il n’est qu’à lire l’arrêté du 19 décembre 2024 (paru au Journal officiel) portant agrément de l’accord interprofessionnel signé (avec 2 réserves) pour se convaincre du contraire.

Celui-ci comporte 3 articles comporte une annexe :  le « document de cadrage relatif à la négociation de la convention d’assurance chômage ».

Dans celui-ci, cité à l’appui de l’agrément signé par Bayrou, figurent notamment deux objectifs fixés par le gouvernement Barnier : « assurer la soutenabilité du modèle assurantiel en réduisant significativement la dette » et « tirer les conséquences de l’allongement de la durée d’activité sur les règles d’indemnisation des seniors ». Et c’est précisément ce qu’a fait l’accord sur l’assurance chômage.

Sur 4 ans, l’accord table sur 2,4 milliards d’économies, avec un « régime de croisière » qui grimperait à 1,7 milliard. Ces économies représentent plus que ce qu’exigeait le gouvernement.

Et si le patronat obtient une baisse de sa cotisation, au 1er mai 2025, de 0,05 point, il n’en est pas de même pour les salariés : le journal Les Echos soulignait le mois dernier que « les syndicats signataires ont été obligés d’avaler d’importantes baisses de droits sur les chômeurs ».

Quant à la réforme des retraites rejetée par 90 % des salariés et combattue par des millions dans la rue, l’accord en « tire les conséquences » puisque la mesure essentielle d’économie, c’est le recul des bornes d’âge à partir desquelles un chômeur âgé peut prétendre à une indemnisation plus longue (22 mois et demi à 53 ans et 27 mois à 55 ans à l’heure actuelle). Celles-ci sont repoussées de 2 ans (55 et 57 ans). A l’heure où les chômeurs âgés sont les premiers à être poussés dehors par les patrons avec la vague de licenciements, c’est du cynisme froid.

Qui peut croire donc à une victoire ? Bayrou a annoncé qu’il ne veut ni abroger, ni même suspendre la réforme des retraites, il agrée logiquement et sans ciller un accord qui en « tire les conséquences » pour les chômeurs âgés.

Et dans le même temps, répondant aux demandes de François Hollande et de Sophie Binet, Bayrou annonce 9 mois de « conférence sociale » pour « reprendre sans suspendre » la réforme des retraites. Cela ressemble comme deux gouttes d’eau aux « aménagements raisonnables » souhaités par son très fugace prédécesseur censuré et ce serait l’occasion pour lui de remettre sur la table le projet de retraites par points, abandonné en 2019 suite à des mois de mobilisations et de grèves reconductibles.

Comment s’étonner dans ces conditions que lors des récentes élections des salariés des très petites entreprises la participation ait reculé d’un point avec  4,07 % de participation ? Pourtant, pour la première fois, de manière notable, ces salariés étaient présents dans les manifestations pour le retrait de la réforme des retraites il y a moins de 2 ans. Pourtant, les mêmes se sont déplacés de façon plus significative, notamment dans les quartiers populaires, pour aller voter pour les candidats du NFP, et particulièrement ceux de la France Insoumise, qui portaient la revendication d’abrogation de la réforme des retraites. Ne considèrent-ils pas, comme une grande partie des salariés, que les organisations qui les avaient appelé à manifester sont revenues aux affaires courantes et préfèrent palabrer dans les conférences sociales, aménager cette réforme plutôt que de la combattre ?

Dans ces conditions, les militants, les syndicats, qui par dizaines et dizaines ont réagi ces derniers jours en affirmant que le rôle du syndicat n’est pas d’aider le gouvernement mais d’organiser l’action collective pour la défense des revendications, ce sont eux qui défendent le syndicalisme !