Kanaky : « La jeunesse s’est soulevée car il y avait une raison sociale qui s’est combinée à celle du combat pour notre dignité »

5 avril, devant la prison de Mulhouse-Lutterbach, un rassemblement a eu lieu avec la présence de la cellule de coordination des actions de terrain, du Collectif 13 mai. Le Cicr, à cette occasion, a recueilli les propos de Désiré Tein, le frère de Christian, emprisonné à Mulhouse.

De droite à gauche : Lenka Naisseline, Jérôme Legavre (député LFI), Jean-Baptiste Dialla, Désiré Tein, Miguel Martinez (Cicr), Gérard Bauvert (Cicr), Aude Forest. (Correspondant)
Par Propos recueillis par Miguel Martinez secrétaire du Cicr.
Publié le 21 avril 2025
Temps de lecture : 4 minutes
Interview de Désiré Tein, frère de Christian emprisonné à Mulhous. Lu dans le bulletin du Comité international contre la répression, n° 42

Dans ton intervention, tu as pointé le fait qu’il y avait une responsabilité particulière du peuple français pour la libération des emprisonnés kanak. Qu’est-ce que vous attendez exactement ?

Désiré Tein : Pourquoi je parle du peuple français ? Parce que le peuple français a su se soulever pour être libre dans son propre pays ; parce que par rapport à la façon dont il a été traité, il s’est soulevé avec un drapeau qui représente le drapeau de la liberté, le drapeau du peuple français.

Aujourd’hui, notre drapeau, qui est là et qui flotte, représente le même symbole, le symbole de liberté. Christian et les autres sont là aussi, par rapport à ce drapeau-là, par rapport à la liberté, et ils sont punis pour ça.

Aujourd’hui, en 2025, on ne voit pas pourquoi on n’aurait pas le droit d’être libres, d’autant plus que l’Onu annonce que 2030 doit être la fin des colonies.

Quelle est la situation là-bas, en Kanaky, en particulier la situation de toute la jeunesse qui s’est soulevée au mois de mai ?

La jeunesse s’est soulevée car il y avait une raison sociale qui s’est combinée à celle du combat pour notre dignité.

Il y a eu les accords de Matignon, les accords de Nouméa, et le rééquilibrage devait se faire mais nos jeunes ne s’y sont pas retrouvés. Pourquoi ? Parce que, jusqu’à présent, ce sont les loyalistes qui avaient la majorité dans les différentes chambres les plus hautes du pays, que ce soit le Congrès ou le gouvernement. Face à cela nous ne sommes pas parvenus à faire ce rééquilibrage.

Pendant les 30 ans qu’ont duré ces accords, notre peuple est toujours resté en marge du développement. C’était plutôt de survie qu’il s’agissait pour nous, dans notre propre pays. Et logiquement, c’est le 13 mai qui est arrivé, un peu comme une manière de dire, « ça suffit ! Il faut qu’on soit libres ! Nous sommes aptes, nous-mêmes, à faire notre développement ! ». Ce qui n’a pas été fait pendant 30 ans ; le constat, c’est que beaucoup de jeunes ont quitté le pays pour venir faire des études ici, des masters, des baccalauréats, etc. et, quand ils reviennent au pays, ils prennent la débroussailleuse parce qu’il n’y a rien à faire d’autre pour avoir quelque chose pour vivre. Il ne s’agit plus que de survie, tout simplement la survie de notre peuple. Le 13 mai est arrivé et c’est un peu un retour de la jeunesse qui s’est hissée au niveau de l’Etat.

Tu as donné les chiffres des jeunes emprisonnés au Camp-Est. Quelle est la situation actuelle du point de vue de la répression ?

Aujourd’hui, il y a 150 jeunes qui sont encore en prison. Ceux qui sont libérés ont interdiction de regagner les tribus, de retourner dans leur commune. Ils sont obligés – on va dire ça comme ça – d’aller squatter chez des familles en dehors de chez eux. Les mamans avec les gosses qui les attendent chez eux ne peuvent pas venir les voir. Les mamans, avec des enfants, sont obligées de sortir de la commune pour pouvoir revoir les maris, les parents revoir leurs enfants. Moi-même je suis dans cette situation : mon fils ne peut pas revenir chez moi, je suis obligé d’aller dans une autre commune pour essayer de le voir.

Ça se passe comment, il y a des contrôles policiers, il y a des barrages ?

Il y a des contrôles policiers et s’ils se font ramasser, ils retournent directement en prison. Ah c’est sûr, on a du mal à imaginer la situation là-bas, vu d’ici. Là aujourd’hui, on est en train de parler de Christian, mais par exemple il y avait deux mamans qui étaient également dans l’avion de la déportation.

Elles ont fait les 30 heures de vol, menottées, et quand elles voulaient aller aux toilettes, ils les emmenaient toutes deux ensemble avec la porte grande ouverte ! Aujourd’hui, ces deux mamans ont été libérées mais sont toujours sous contrôle judiciaire, ici en France. Elles n’ont pas d’argent, elles n’ont rien du tout.

Les familles au pays organisent des journées de solidarité, envoient de l’argent pour qu’elles puissent subsister chez des familles d’accueil, des amis d’ici, alors que le mieux serait de les faire rentrer au pays. En plus ces mamans ont plusieurs enfants. J’espère aussi que si jamais ils libèrent Christian et les six autres, qu’on les ramène au pays, parce que dès qu’il faut traverser plus de 22 000 kilomètres pour venir rendre visite, c’est un autre monde.

En ce moment il y a des négociations qui sont en train de se mener avec le ministre Valls, mais elles se mènent alors que le principal dirigeant du FLNKS est encore en prison. De quel œil vois-tu cette situation ?

Depuis plus de vingt-et-un ans, le FLNKS n’avait plus de président, on fonctionnait en bureau politique. Et là, par rapport à toutes les manifestations contre le dégel du corps électoral, le 12 mai 2024 on a manifesté à plus de 80 000 dans Nouméa, nous les Kanak et tous ceux qui sont avec nous. 80 000 personnes, du jamais vu dans le pays, pour avertir : « Ne faites pas ça ! ».

Pour que vous vous rendiez compte : il y a environ 250 000 habitants en Kanaky. 80 000 manifestants c’est un truc énorme, et tout ça de manière pacifique, dans le respect de l’autre. Ils n’ont pas voulu écouter, et ensuite le 13 mai, tout s’est enclenché avec le social, les conditions de vie dans le pays.

Je parlais de la survie tout à l’heure, c’est tout ça qui a fait que ça a monté. Mais je répète, pour les deux mamans, c’est dur. Maintenant on va faire un tour de la France pour alerter. Tout ça n’est pas possible.

Quand la délégation repart-elle en Kanaky ?

A partir du 14, on est à Genève. On y va parce que la France va être interrogée sur ses pratiques barbares. Cette année, c’est la France qui sera jugée. Nous demandons que notre président, le président du FLNKS – comme c’est le peuple qui l’a mis là, avec 80 000 personnes – participe aux discussions. Donc tout ce qui s’est passé avec Manuel Valls depuis plus d’un mois, ce sont des phases préparatoires, mais nous on continue à exiger la présence de Christian Tein dans les discussions.

 

Propos recueillis par Miguel Martinez,secrétaire du Comité international contre la répression