François Bazin, journaliste et écrivain, publie chez Plon un livre de 427 pages sur Pierre Lambert

En général, les écrits ou déclarations sur le sujet de Pierre Lambert ont un objectif : salir l’homme pour salir la cause. Le livre de François Bazin est aux antipodes de ce genre de publications.

Par la rédaction d’IO
Publié le 26 janvier 2025
Temps de lecture : 6 minutes

En général, les écrits ou déclarations sur le sujet de Pierre Lambert ont un objectif : salir l’homme pour salir la cause. À quoi s’ajoutent bien souvent des tentatives d’autojustifications nombrilistes pour s’excuser d’avoir accepté ce qu’ils dénoncent maintenant. Preuves frelatées à l’appui. Plus récemment, ils servent à puiser dans un arsenal fabriqué tout ce qui pourrait nuire ou entacher les combats de Jean-Luc Mélenchon.

Le livre de François Bazin est aux antipodes de ce genre de publications. Un travail précis, fouillé, des faits exacts vérifiés, aucune trace de haine, de hargne. Ni mensonges, ni amalgames et encore moins de croisade anti-trotskyste.

Dans la période actuelle d’intenses combats politiques, où mensonges, calomnies, fake news, amalgames tiennent lieu d’arguments politiques, au point que critiquer Netanyahou fait de vous un antisémite, mieux vaut en saisir l’intérêt.

Contrer à nouveau les accusations de trahison contre Pierre Lambert en 1940 avec une attention particulière – « Personne jusqu’ici n’avait pris le temps d’ouvrir ce dossier, afin de le lire dans sa totalité à la lumière des archives », notamment militaires –, n’est pas anodin. Ne l’est pas non plus la réalité des faits des relations avec Jean-Luc Mélenchon. Mais aussi sa position sur le procès qui opposa Lambert à Edwy Plenel.

À la question « Mais pourquoi donc voulez-vous faire un livre sur Pierre Lambert ? » Réponse : « Je m’intéresse aux personnalités qui ont marqué leur siècle, il en fait partie. »

Ce livre est une tentative honnête et rigoureuse d’en expliquer les raisons telles qu’il les voit. François Bazin est journaliste et écrivain, ancien chef de service politique du Nouvel Observateur. Il ne se réclame pas du trotskysme, il n’est pas trotskyste. Il ne l’a jamais été, ce qui le prémunit, contrairement à beaucoup de plumitifs besogneux, de s’en croire victime consentante, d’autojustifier des choix de jeunesse ou de se flageller publiquement pour déverser leur bile.

Il a sa façon à lui de voir les choses, ses choix d’arguments et d’analyses des événements qu’il décrit avec précision. N’étant ni menteur ni truqueur, il a parfaitement le droit d’analyser et de juger comme il l’entend. Notre journal, avec sa devise « tribune libre de la lutte des classes », est un ardent défenseur de la liberté de conscience, de la libre critique et de débats contradictoires qui sont autant de conditions de l’émancipation humaine.

Nous lui laissons donc la responsabilité de ses analyses et appréciations sur plusieurs aspects : les crises internes qui ne sont pas, contrairement aux apparences, des sortes de « règlements de compte à OK Coral » avec comme enjeu la prise ou la perte du pouvoir ; le fonctionnement de l’organisation, avec certes des personnalités au caractère bien trempé et pas seulement Pierre Lambert, mais qui ne relève pas d’un chef qui sait tout et d’une bande de « suivistes » apeurés.

Qui n’a pas assisté, ou entendu parler de ces « engueulades homériques », certes pas toujours dans les instances, souvent aussi en petit comité ou au restaurant ? Qu’on se remémore ces scènes ahurissantes ou une dizaine de convives finissaient par s’apercevoir que les clients médusés du restaurant les observaient dans un silence complet se contredire, s’invectiver et échanger avec passion. Un gourou dictant sa loi « d’une main de fer » ? « Un mélange de brutalité et de roublardise dans la recherche d’un pouvoir sans partage, imperméable au débat et à la contestation » ? De l’extérieur, peut-être, mais pas vraiment.

Quant à « l’autocritique », c’est vrai, Pierre Lambert ne la pratiquait pas. Cet acte de contrition bien chrétien, visant à être absous pour recommencer, n’était pas pour lui. Par contre, l’analyse, la critique d’erreurs ou d’appréciations erronées, oui.

Tout militant, même de fraîche date, connaît les discussions et le bilan tiré dans les relations avec Messali Hadj sur la question du « peuple-classe ». Tout comme celui tiré des fameuses « barricades de Mai-Juin 1968 », épisode bien décrit par François Bazin. « Combattre les illusions sur le terrain des illusions » n’est pas un tour de passe-passe.

On pourrait multiplier les faits et situations souvent fort bien documentés et décrits sur lesquels nous ne partageons pas l’analyse de François Bazin.

Par exemple, que les trotskystes et Lambert aient joué un rôle certain dans le double non au référendum de De Gaulle, mais de là à penser qu’ils s’en attribuaient la paternité, l’analyse ne tient pas. Lambert a toujours expliqué dans le détail comment, en particulier avec son ami Alexandre Hébert, il n’avait fait que dire tout haut ce que beaucoup pensaient en relation directe avec l’état d’esprit des cadres et des militants correspondant à une aspiration profondément enracinée de défendre l’indépendance du syndicat. Problème encore bien actuel.

Ou encore, pendant le septennat de Mitterrand, réduire cette profonde aspiration démocratique incarnée dans le fameux « respect du mandat » à une illusion parlementaire… François Bazin évoque aussi « les différends politiques avec Jospin ». Il est peut-être très, très optimiste. Ne s’agit-il pas tout simplement de l’hypnotique attrait des ors de la République qui en démange beaucoup et qui vaut aussi pour d’autres brandissant en leur temps et avec une belle véhémence de « profonds désaccords politiques » ? Confirmant un savoureux trait d’humour de Pierre Lambert : « Le trotskysme mène à tout, à condition d’en sortir ». À voir le lamentable spectacle des pirouettes ensorcelées des dirigeants actuels du PS et, au final, le sort des uns et des autres, partis le cartable bien rempli de « désaccords politiques », on peut se demander si le jeu en valait vraiment la chandelle.

En fin de compte, à la lecture de l’ensemble, il se dessine qu’il y a un fil (rouge ou pas) dans cette masse de faits et documents. Pour François Bazin, Pierre Lambert est un « parrain rouge » du titre de l’ouvrage. La référence au film de Coppola est trop manifeste pour être fortuite. Un sourire vient immédiatement aux lèvres lorsqu’on sait à quel point Pierre Lambert détestait ce film. Au point que même ses amis les plus proches (Lionel et Benny Malapa entre autres) n’ont jamais réussi à le lui faire apprécier.

Lambert ne fondait pas du tout son opinion sur la qualité cinématographique du film, mais sur la fascination que ce film pouvait provoquer pour ce qu’il pensait être la pire expression des rapports humains produits par le système capitaliste. La soif de pouvoir, l’allégeance sans partage au « capo », les coups tordus, les renoncements, les trahisons, l’écrasement des « faibles », la hiérarchie de la terreur et de la force brutale, la place servile faite aux femmes, les assassinats et les meurtres commandités de loin exécutés par des spécialistes, les massacres sanglants, la vengeance comme code d’honneur, la recherche à tout prix de la richesse et de l’argent, les ennemis d’hier devenus amis d’aujourd’hui…

Et si on examine ce qui se passe à Gaza, en Cisjordanie, en Syrie… ou dans la guerre Russie-Ukraine, ou encore dans la politique en France, n’est-ce pas, toutes proportions gardées, ce que le système capitaliste veut imposer en guise de rapports humains ? Décidément non, la référence à un parrain, rouge ou pas, ne colle ni avec la personnalité ni avec la vie et les combats de Pierre Lambert.

Paradoxalement, c’est peut-être Lionel Jospin, cité par François Bazin, qui se rapproche le plus de ce qu’il en est : « Il était, écrit Jospin, à la fois un homme de principe et un manœuvrier, un dogmatique et un tacticien. Il était entièrement dévoué à l’idéal révolutionnaire à qui il a consacré son existence et cet idéal même autorisait ses accommodements, notamment dans le monde syndical ».

De ce fait, n’eût-il pas été judicieux, plutôt que de se cantonner au monde de la superstructure, d’utiliser ce travail très conséquent de François Bazin pour s’interroger. Tout ce qu’il décrit au travers de tous les grands moments de la vie politique française, les actions, les écrits de Pierre Lambert, les contradictions, les difficultés, les changements de cap, les échecs, les réussites et les doutes même non exprimés publiquement, étaient-ils fonction, oui ou non, des intérêts du combat de la classe ouvrière pour son émancipation ?

La question pourrait, sans la moindre perfidie et pour poursuivre le débat, être aussi posée à François Bazin puisque dans son titre il précise « d’un révolutionnaire ». Nos lecteurs connaissent la réponse à cette question.

Il termine son livre par la phrase suivante : « Pour entretenir le souvenir, il ne reste aujourd’hui qu’une association à son nom qui gère le patrimoine de son ancien parti et une salle dédiée à la Bourse du travail de Paris qu’il partage avec Louise Michel. »

Attirons donc l’attention sur un fait. En 1958, avec une poignée de camarades, Pierre Lambert fondait un journal, Informations ouvrières. 67 ans plus tard, 17 ans après la mort de Pierre Lambert, ce journal, marqueur de la vie et des combats de Pierre Lambert, est diffusé et lu par des milliers en France et dans le monde. Il est pour des milliers de cadres du mouvement ouvrier une référence, avec la même attention à la lutte de classe, à la Révolution de 1917, à se regrouper et s’organiser pour agir. À Lénine, Trotsky et la révolution socialiste.

Et ce malgré les inévitables coups tordus. Sans chef suprême, ni savant génie, ni « dauphin officiel ». Pas même ceux dont l’itinéraire d’ambitions personnelles pouvait leur laisser penser qu’ils devaient s’y destiner.

Nous sommes bien persuadés que François Bazin, avec son travail méticuleux, peut y être sensible aussi.