Questions à Jérôme Legavre, député LFI-Nupes de Seine-Saint-Denis, militant du POI

Guerre en Ukraine, ouverture de la session parlementaire, politique du gouvernement Macron... Moins d'un mois avant la marche contre la vie chère, appelée le 16 octobre, à Paris, Jérôme Legavre nous livre son point de vue sur la situation.

Par Informations Ouvrières
Publié le 20 octobre 2022
Temps de lecture : 8 minutes

Qu’est-ce qui te marque le plus dans la situation présente ?

Jérôme Legavre :  Je dirais plutôt : qu’est-ce qui m’inquiète le plus ? Très clairement : la guerre.

J’appartiens à une génération pour laquelle la question de la guerre était finalement une perspective plutôt abstraite, lointaine pour ainsi dire. Bien sûr, j’ai vu les deux guerres en Irak, l’Afghanistan, l’explosion de la Yougoslavie, l’intervention franco-britannique en Libye, le dépeçage de l’Afrique, le sort terrible fait au peuple palestinien… Et d’ailleurs, on peut dire que depuis 1945, la guerre n’a jamais cessé, et même qu’elle s’étend. Mais, de manière plus ou moins inconsciente, on se disait : « Ce n’est pas ici »…

Seulement, aujourd’hui, la guerre est au cœur du continent européen. Et quand je vois que pour des sommes colossales, des quantités astronomiques d’armes sont livrées aux belligérants qui envoient leurs peuples s’entretuer, quand je vois que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la France ne cessent d’amplifier les livraisons d’armes ultrasophistiquées, je ne peux que constater qu’on assiste à une escalade des plus dangereuses.

Je constate aussi que le président Macron ne cesse de répéter : « Nous sommes en guerre. »

Mais n’est-ce pas le cas ? C’est une guerre…

Oui, bien sûr. Mais Macron n’en est pas à son premier coup d’essai : il avait dit la même chose dès mars 2020, avec le Covid, pour justifier toutes ses mesures d’exception contre les libertés et pour mieux couvrir ses attaques contre les travailleurs, contre leurs acquis, d’un prétexte mensonger. Aujourd’hui, il nous refait le même coup.

Les deux situations ne sont quand même pas identiques…

Cette fois, avec la guerre en Ukraine, toutes ces attaques se font dans des proportions bien plus colossales. Olaf Scholz en Allemagne, Liz Truss en Grande-Bretagne, tous les gouvernements européens font la même chose et mettent l’Europe sur la voie d’une économie de guerre.

Macron a fait un discours fin août à Bormes-les-Mimosas. En substance, il nous promet du sang et des larmes. La formule peut paraître exagérée ; en tout cas, il annonce textuellement que les Français vont devoir accepter des sacrifices douloureux. Les sacrifices sont déjà là : l’inflation est à 6 %. Carburant, gaz et électricité, produits de première nécessité, tous les prix explosent. C’était déjà vrai avant la guerre. Les loyers explosent.

Des millions de foyers sont pris à la gorge, se disent avec angoisse qu’ils vont devoir choisir entre se chauffer cet hiver et se nourrir…

Non seulement le gouvernement nous présente cette situation comme une fatalité qu’il faudrait accepter puisque, comme le dit Macron, « nous sommes en guerre »,  mais il promet pire encore. Il vient d’ailleurs de confirmer son intention d’avancer rapidement sur sa réforme contre les retraites.

Donc, oui, je constate qu’on nous installe dans la guerre.

D’accord, mais tout de même, les soldats français ne combattent pas…

C’est vrai, pas pour l’instant. Même si je rappelle qu’il y a des soldats français, sous commandement de l’Otan, en Roumanie, à la frontière ukrainienne. D’accord, ils ne sont pas engagés dans les combats. Mais, quand on voit les quantités d’armes qui sont livrées, quand je vois l’escalade en cours, qui sait sur quoi tout cela peut déboucher ? A tout moment, la situation peut déraper, déboucher sur un scénario totalement incontrôlable.

J’entends parler de blocs qui se constituent. La Russie, sous le coup des sanctions économiques qui lui sont imposées, se tourne vers la Chine.

Je vois que Xi Jinping apporte son soutien à la Russie, que le président indien fait des déclarations allant dans le même sens. Où tout cela peut-il conduire ?

Et puis, je ne peux pas rester indifférent quand je vois des jeunes qui ont l’âge qu’avaient mes élèves quand j’étais enseignant, envoyés se faire tuer. Je parle de ces jeunes des deux côtés, ukrainiens et russes.

C’est le sort de ces jeunes, c’est le sort du peuple ukrainien, du peuple russe qui m’intéresse. C’est d’eux que je me sens proche. Certainement pas de Poutine, ça va de soi. Certainement pas non plus de Zelensky, Biden ou Macron.

Et puis tout de même, cette guerre : pour qui ? pour quoi ?

D’accord, mais on pourrait te faire cette objection : il y a quand même un agresseur et un agressé.

Factuellement, c’est Poutine qui a ordonné à son armée, à ses tanks de franchir la frontière ukrainienne. C’est un fait. Et évidemment, c’est inacceptable.

Mais je connais par cœur ce refrain qu’on nous assène du matin au soir dans tous les médias. Il y a un agresseur, il y a un agressé : fin de la discussion, interdiction de fait d’aller au fond des choses.

Dès qu’on s’interroge, dès qu’on met en cause, par exemple le rôle pourtant majeur de l’Otan, dès qu’on met en cause les livraisons d’armes en quantités toujours plus importantes au régime de Zelensky, immédiatement la sanction tombe : on est accusé d’être pro-Poutine. Fin du débat…

Note qu’on nous a fait le coup un grand nombre de fois : quand on était contre la guerre du Golfe, on était pour Saddam Hussein. Quand on était contre l’intervention de l’Otan en Serbie c’est qu’on roulait pour Milosevic. Quand on dénonçait l’intervention franco-britannique en Libye, on était suspecté de complaisance pour le régime de Kadhafi. Je ne suis pas d’accord, pas d’accord du tout.

Mais il y a bien des victimes, non ?

Je pose une question : qui est agressé ? Qui est victime ? Qui meurt sous les bombes ? Les peuples, et des deux côtés. Les Ukrainiens meurent, vivent la barbarie de la guerre. Et aussi ces milliers de jeunes soldats russes envoyés à la boucherie et qui, pour beaucoup, se sont enrôlés dans l’armée tout simplement parce qu’à cause de la terrible situation sociale en Russie, ils ne voyaient pas d’autre issue.

Ce sont toujours les peuples, ce sont toujours les travailleurs qui sont victimes, qui se font massacrer pour les intérêts de ceux qui les exploitent et qui les oppriment.

Si je te comprends bien, Poutine, Zelensky, même combat ?

Poutine est à la tête d’un régime qui défend, de manière exclusive, les intérêts d’une oligarchie mafieuse, prédatrice dont le moteur et la raison sociale sont le pillage, la liquidation de tous les droits, de toutes les conquêtes sociales. Zelensky en Ukraine fait la même chose.

Alors pourquoi se font-ils la guerre ?

Il y a des intérêts économiques absolument gigantesques qui sont en jeu. Qui peut croire que Biden, l’impérialisme américain, que Macron et Cie agissent, envoient des armes et les troupes de l’Otan de manière désintéressée ?

Rappelons-nous l’intervention américaine en Irak en 2003. A l’époque, pour la justifier, une propagande démentielle martelait en permanence l’idée suivante : Saddam Hussein détient des armes de destruction massive. D’abord, on a vite appris qu’il n’en était rien et, au bout d’un certain temps, les plus hauts dirigeants américains se sont lâchés. Je me souviens en particulier de ce responsable américain qui avait déclaré : « Si l’Irak produisait des carottes, nous n’y serions jamais allés »…

Comment peut-on croire sérieusement que Biden, Macron, Truss, Scholz livrent toujours plus d’armes à Zelensky parce qu’ils se soucieraient un seul instant du sort du peuple ukrainien ? Moi, je n’en crois rien.

Mais alors, on laisse faire ? On arrête les livraisons d’armes ?

Cesser les livraisons d’armes ? Oui, immédiatement !

Je le redis : on est en train de nous refaire le coup du Covid, de nous expliquer qu’il n’est pas possible de faire autrement que d’exiger de la population toujours plus de sacrifices, d’aligner l’économie sur l’effort de guerre, soi-disant pour défendre la paix.

Et d’abord, à qui livre-t-on des armes ?

Je comprends totalement la rage, la hargne des Ukrainiens face à l’invasion de leur pays. L’Ukraine est une nation. Mais vous pensez sérieusement que Zelensky défend le peuple ukrainien ? Soyons sérieux ! Il est le représentant d’un système qui amasse des fortunes colossales sur la base du pillage et de la destruction de tous les droits.

On nous dit pourtant que Biden, Macron, Scholz, que l’Otan défendent la paix…

Quelle hypocrisie ! A l’inverse, j’ai vu dans Informations ouvrières  cette semaine ce que dit Luigi de Magistris, l’ancien maire de Naples et dirigeant du mouvement Unione Popolare que Mélenchon a rencontré. De Magistris dit : « Tu ne peux pas, d’un côté, dire que tu es contre la guerre et, de l’autre côté, voter pour l’envoi des armes et l’augmentation des dépenses militaires. »

J’ai vu aussi, toujours dans Informations ouvrières, l’intervention fracassante de Sahra Wagenknecht, de Die Linke, au Bundestag. Elle dit : « L’idée que nous puissions punir Poutine en plongeant des millions de familles allemandes dans la pauvreté et en détruisant notre industrie, alors que Gazprom réalise des bénéfices records, n’est-ce pas le summum de la bêtise ? Il faut en finir avec ces désastreuses sanctions économiques. »

Je suis complètement d’accord avec ça.

Si on veut défendre la paix, alors aucun soutien aux régimes, aux gouvernements fauteurs de guerre.

Mais qui arrêtera Poutine ?

En ce moment même, en Russie, des ouvriers, des jeunes, malgré la répression brutale de Poutine, refusent la guerre. J’ai pour eux une admiration sans bornes. Je les soutiens totalement. C’est d’eux dont dépend l’issue, pour en finir avec Poutine, avec son régime de pillards et avec son appareil policier.

Et comment qualifierais-tu le régime de Zelensky ?

Chaque année, l’Organisation internationale du travail (OIT) fait un classement des différents pays en ce qui concerne le respect des droits des travailleurs. L’Ukraine est classée dans la dernière catégorie de ce classement, au dernier rang. En Ukraine, la privatisation au compte d’oligarques qui pillent tout ce qui peut l’être, et donc la déréglementation la plus sauvage, la répression, les atteintes aux libertés, notamment syndicales, sont la règle. Zelenski, en plein conflit, a tiré profit de la guerre pour aller plus loin dans cette voie et pour faire passer une réforme contre ce qui subsiste en Ukraine du Code du travail. Les récents communiqués de la CGT et de FO sur cette question sont sans appel. Voilà ce qu’est Zelensky.

Et on voudrait que je me range derrière ça ?

Non, ce qu’il faut c’est une rupture avec ce système capitaliste qui mène au chaos, à la barbarie, qui vit et prospère des destructions terribles qu’il provoque.

La prochaine session parlementaire va s’ouvrir dans quelques jours. Comment vois-tu les choses ?

La bagarre va être rude… Le programme de Macron et du gouvernement est d’une violence incroyable. Dès le début de la session parlementaire est discuté le projet contre l’assurance-chômage. Et l’information selon laquelle Macron voudrait faire passer sa réforme des retraites dès cet automne se précise de plus en plus. Il s’apprêterait à intégrer un amendement dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale qui va être examiné dans quelques semaines. Il envisagerait même de passer par le
49.3… Le fera-t-il ? Ce qui est certain, c’est qu’il maintient son cap destructeur. A l’Assemblée, nous allons combattre pied à pied chacun de ces projets, sans faire la moindre concession. Mais je n’oublie pas ce qui s’est passé cet été. Avec l’ensemble des députés de la Nupes, qui ont fait bloc, nous nous sommes battus « comme des chiens » contre la loi sur le pouvoir d’achat qui n’est rien d’autre qu’une loi de baisse des salaires et des retraites. Et nous allons continuer.

Mais, il faut bien le constater : toutes les mesures du gouvernement sont passées…

Tu as raison. Le ministre du Budget n’a pas manqué de le souligner quand il a dit : « Les extrêmes aboient mais les réformes passent. »  Le ton est provocateur et cynique, mais c’est un fait : les projets du gouvernement ont été adoptés. Ils l’ont été parce que les députés Les Républicains (LR) et Rassemblement national (RN) ont fait bloc avec les macronistes ; ils ont marché ensemble main dans la main contre l’augmentation du Smic et des salaires, contre le blocage des prix. Et, même s’il y a des contradictions, c’est bien parti pour continuer. Alors on ne va pas se contenter de la bataille parlementaire…

Justement, une marche contre la vie chère à Paris est décidée pour le 16 octobre. Penses-tu qu’on va gagner sur les revendications ?

Je ne sais pas. Mais je sais que ce n’est pas une de ces rituelles journées d’action qui se sont multipliées ces dernières années et dont chacun sait qu’elles n’ont pas permis de gagner sur les revendications.

Je sais aussi que 8 millions d’électeurs ont voté pour Mélenchon, pour son orientation de rupture, que sur cette même orientation, 150 députés Nupes ont été élus à l’Assemblée. 5 000 personnes ont participé aux AmFIs d’été.

Il y a dans tout le pays une attente sociale, une aspiration à la rupture énormes.

La marche du 16 octobre c’est une initiative politique pour rassembler cette force dans la continuité des 22 % à la présidentielle pour Mélenchon, pour regrouper des milliers et des milliers à Paris, là où se trouve le pouvoir. Le simple fait, aujourd’hui, au moment où Macron explique que « nous sommes en guerre »  et qu’il va falloir accepter de lourds sacrifices, convoquer cette marche sur les exigences d’augmentation des salaires, du Smic, de blocage des prix, de gel des loyers, de refus de la réforme des retraites, c’est un élément de rupture.

Sur la question des revendications, et de comment les arracher, on peut tirer quelques enseignements de l’expérience récente. Je me rappelle très bien la bataille contre la loi travail de la ministre de Hollande, Myriam El Khomri. Chaque semaine, pendant près de deux mois, nous avons manifesté toutes les semaines, et parfois jusqu’à deux fois par semaine. Et la réforme est passée. Je suis persuadé que si on avait tout bloqué ne serait-ce que quatre ou cinq jours, le résultat aurait été tout autre… Un autre exemple : en 2019, les agents de la RATP et de la SNCF, avec leurs syndicats, se sont mis en grève à partir du 5 décembre. Ils ont tout bloqué, et Macron n’a pas réussi à faire passer sa réforme pendant son premier quinquennat.

Propos recueillis le 20 septembre 2022