Le génocide à Gaza documenté par un professeur d’université israélien
Le journal israélien "Haaretz" dans son édition du 6 décembre a largement rendu compte des travaux de l’historien israélien Lee Mordechai sur les massacres commis à Gaza par l’armée israélienne.
- Actualité internationale, Palestine
Lee Mordechai, professeur associé à l’université hébraïque de Jérusalem, a publié un rapport de 124 pages, intitulé Bearing Witness to the Israel-Gaza War (Témoignage de la guerre Israël-Gaza) dans lequel il affirme, preuves à l’appui, que son pays commet un génocide à Gaza.
L’article de Haaretz commence par la citation d’une des 1 400 notes de bas de page du document : « La note de bas de page n° 379 du document (…) contient un lien vers un clip vidéo. On y voit un gros chien ronger quelque chose au milieu des buissons. « Wai, wai, il a pris le terroriste, le terroriste est parti – parti dans les deux sens du terme », dit le soldat qui a filmé le chien en train de manger un cadavre. Au bout de quelques secondes, le soldat lève la caméra et ajoute : « Mais quelle vue magnifique, un coucher de soleil magnifique. Un soleil rouge se couche sur la bande de Gaza ». »
« Des centaines d’exemples de la bestialité affichée par la société israélienne et les institutions de l’État »
L’article décrit des soldats de Tsahal qui ont été vus « tirant sur des civils agitant des drapeaux blancs, maltraitant des individus, des captifs et des cadavres, endommageant ou détruisant des maisons avec délectation, des structures et des institutions diverses, des sites religieux et pillant des biens personnels, aussi bien qu’ils tirent au hasard, abattent des animaux, détruisent des propriétés privées, brûlent des livres dans des bibliothèques, défigurent des symboles palestiniens et islamiques (y compris brûlent des corans et transforment des mosquées en salles à manger). »
Il précise que l’on y voit « un soldat forcer des prisonniers ligotés et les yeux bandés à envoyer leurs salutations à sa famille et à dire qu’ils veulent être ses esclaves. Des soldats sont photographiés tenant des liasses d’argent qu’ils ont pillées dans des maisons de Gaza. On voit un bulldozer de Tsahal détruire un gros tas de colis alimentaires provenant d’une agence d’aide humanitaire. Un soldat chante la chanson des enfants L’année prochaine, nous brûlerons l’école – tandis qu’une école est en flammes en arrière-plan. Et il y a de nombreux clips de soldats posant avec des sous-vêtements féminins. La note de bas de page n° 379 apparaît dans une sous-section intitulée Déshumanisation dans Tsahal, qui est incluse dans le chapitre intitulé Discours israélien et déshumanisation des Palestiniens. Elle contient des centaines d’exemples de la bestialité affichée par la société israélienne et les institutions de l’État vis-à-vis des habitants souffrants de Gaza (…). »
Les liens présentés dans le rapport « mènent également à des images graphiques de corps éparpillés, dans tous les états possibles ; de personnes écrasées sous les décombres ; de flaques de sang ; les cris des gens qui ont perdu leur famille entière en un instant ».Il y a des documents qui attestent de l’assassinat de personnes handicapées, d’humiliations et d’agressions sexuelles, d’incendies de maisons, de famines forcées, de tirs au hasard, de pillages, de sévices infligés aux cadavres et bien d’autres choses encore.
Haaretz insiste sur le caractère précis, rigoureux de l’étude. Il indique que « Mordechai cite des preuves des situations horribles que la guerre a imposées aux Gazaouis. Un médecin qui ampute la jambe de sa nièce sur une table de cuisine, sans anesthésie, à l’aide d’un couteau de cuisine. Des gens mangent de la viande de cheval et de l’herbe, ou boivent de l’eau de mer pour soulager leur faim. Des femmes obligées d’accoucher dans une salle de classe bondée. Les médecins regardent impuissants les blessés mourir parce qu’il n’y a aucun moyen de les aider. »
Mordechai explique le sens de sa démarche : « J’ai écrit ce document pour qu’il soit publié. Pour que dans six mois ou un an ou cinq ans, 10 ou 100 personnes puissent revenir en arrière et voir que c’est ce qui était connu, c’est ce qu’il était possible de savoir, dès janvier ou mars dernier, et que ceux d’entre nous qui ne le savaient pas, ont choisi de ne pas le savoir. »
Haaretz note que « la disparité entre ce que Mordechai a découvert et les informations diffusées dans les médias israéliens et étrangers n’a fait que croître. L’histoire la plus marquante au début de la guerre était celle des 40 nourrissons israéliens décapités le 7 octobre. Cette histoire a généré beaucoup de gros titres dans les médias internationaux, mais quand on la compare à la liste officielle de la National Insurance, des personnes tuées, on se rend très vite compte que cela n’a pas eu lieu (…). »
L’auteur s’interroge : « Pourquoi et comment l’opinion publique israélienne continue de douter de ces chiffres après plus d’un an d’hostilités et contrairement à toutes les preuves. » Il cite les chiffres du ministère palestinien qui dénombrent les morts : « 273 employés de l’Onu et d’organisations humanitaires, 100 professeurs, 243 athlètes, 489 professionnels de la santé (dont 55 médecins spécialistes), 710 enfants de moins d’un an et quatre prématurés qui sont morts après que l’armée israélienne a forcé l’infirmier qui s’occupait d’eux à quitter l’hôpital. L’infirmier s’occupait de cinq prématurés et a décidé de sauver celui qui semblait avoir le plus de chances de survivre. Les corps en décomposition des quatre autres ont été retrouvés dans des couveuses deux semaines plus tard. La note de bas de page du texte de Mordechai concernant ces nourrissons ne fait pas référence à un tweet d’un Gazaoui ou à un blog pro-palestinien, mais à une enquête du Washington Post. »
Le rapport en effet s’appuie « sur des dizaines d’enquêtes menées par presque tous les médias occidentaux respectables. (…) Le New York Times, ABC, CNN, la BBC, des organisations internationales et l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, ont publié les résultats de leurs propres enquêtes sur des cas de torture, de mauvais traitements, de viols et d’autres atrocités perpétrées contre des détenus palestiniens dans le camp de Sde Teiman de l’armée israélienne dans le Néguev et dans d’autres installations. Amnesty International a examiné quatre incidents au cours desquels il n’y avait aucune cible militaire ni justification à l’attaque, au cours desquels les forces de l’armée israélienne ont tué un total de 95 civils.
« Zones de mort »
Une enquête menée fin mars par Yaniv Kubovich dans Haaretz a montré que l’armée israélienne avait créé des “zones de mort” dans lesquelles de nombreux civils ont été abattus après avoir franchi une ligne imaginaire délimitée par un commandant de terrain ; les victimes ont été classées comme terroristes après leur mort. (…) Le New Yorker et le Telegraph ont publié les résultats d’enquêtes approfondies sur des cas d’enfants dont les membres ont dû être amputés, et il y en a bien d’autres.
(…) Un rapport publié cette semaine par le ministère palestinien de la Santé à Gaza, n’est pas inclus dans le document de Mordechai. Il affirme que depuis le 7 octobre, 1 140 familles ont été totalement rayées du registre de la population locale – très probablement victimes de bombardements aériens. (…) Une vidéo montre un groupe de réfugiés avec une femme au premier plan, tenant son fils dans une main et un drapeau blanc dans l’autre ; on la voit se faire tirer dessus, probablement par un sniper, et s’effondrer tandis que l’enfant lâche sa main et s’enfuit pour sauver sa vie.
(…) Lorsqu’on lui demande laquelle des milliers d’images, vidéos ou photos, de morts, blessés ou souffrants, a eu le plus d’impact sur lui, Mordechai réfléchit et mentionne une photo du corps d’un homme qui a été identifié plus tard comme étant Jamal Hamdi Hassan Ashour. Ashour, 62 ans, aurait été écrasé par un char en mars, son corps mutilé au point d’être méconnaissable. Un serre-câble sur l’une de ses mains atteste du fait qu’il avait été arrêté auparavant, selon des sources palestiniennes. (…) ‘’Je n’ai jamais rien vu de tel de ma vie’’, a déclaré Mordechai à Haaretz. “Mais pire encore, l’image a été partagée par des soldats sur une chaîne israélienne Telegram”. »
« Le raid contre l’hôpital al-Shifa, un des sommets de la brutalité militaire israélienne »
Dans son interview, Mordechai cite ces « dizaines de médecins américains qui ont fait du bénévolat à Gaza [et qui] ont déclaré qu’ils voyaient presque tous les jours des enfants qui avaient reçu une balle dans la tête. Comment expliquer cela ? L’un des sommets de la brutalité militaire israélienne à Gaza a été évident lors du deuxième raid majeur contre l’hôpital al-Shifa à la mi-mars, ajoute l’historien (…). Apparemment, 240 patients et membres du personnel médical ont été enfermés dans l’un des bâtiments pendant une semaine sans accès à la nourriture. Les médecins présents sur les lieux ont rapporté qu’au moins 22 patients sont morts. Un certain nombre de témoins oculaires, dont des membres du personnel, ont décrit des exécutions. Une vidéo tournée par un soldat montre des détenus ligotés et les yeux bandés assis dans un couloir, face à un mur. Selon les sources, après l’attaque, 240 personnes ont été tuées. L’armée israélienne s’est retirée de l’hôpital et des dizaines de corps ont été découverts dans la cour. De nombreuses vidéos montrent la collecte des corps, certains mutilés, d’autres enterrés sous les décombres ou gisant dans de grandes mares de sang coagulé. Une corde a été nouée autour du bras de l’un des morts, ce qui montre peut-être qu’il a été ligoté avant d’être tué. »
« D’immenses fosses communes »
« Le rapport de Mordechai cite des dizaines de récits bien documentés de campagnes de bombardements – des familles ramassant les corps de leurs proches parmi les décombres, des funérailles dans d’immenses fosses communes, des blessés couverts de poussière, des adultes et des enfants en état de choc, des gens qui crient avec des morceaux de corps éparpillés autour d’eux, etc. (…) Dans une vidéo du 20 octobre, on voit deux enfants être extirpés des décombres. Le premier a l’air abasourdi, les yeux exorbités, et est entièrement couvert de sang et de poussière. A côté de lui, on retire le corps sans vie, apparemment celui d’une fille. (…) Le rapport montre, par exemple, que davantage d’enfants ont été tués à Gaza que dans toutes les guerres menées dans le monde au cours des trois années qui ont précédé la guerre du 7 octobre. Déjà au cours du premier mois de la guerre, le nombre d’enfants morts était dix fois plus élevé que le nombre de ceux tués pendant la guerre en Ukraine au cours d’une année. Plus de journalistes ont été tués à Gaza que pendant toute la Seconde Guerre mondiale (…).
Une enquête publiée par le Wall Street Journal a rapporté que les pertes en vies humaines dans les trois premiers mois de la guerre étaient supérieures à celles que les États-Unis ont enregistrées en Irak en six ans. Quarante-huit prisonniers sont morts dans les centres de détention israéliens l’année dernière, contre neuf à Guantanamo en vingt ans d’existence. Ces chiffres sont également révélateurs des données sur les morts dans les guerres d’autres pays : la guerre en Afghanistan. Selon les estimations les plus clémentes, quelque 30 000 civils ont été tués dans la bande de Gaza depuis le début de la guerre, le 7 octobre 2023. »
« Le rapport de Mordechai reflète non seulement les horreurs qui se produisent à Gaza, mais aussi l’indifférence d’Israël à leur égard. Mordechai explique qu’au début, on a tenté de justifier l’invasion de l’hôpital al-Shifa. Aujourd’hui, il n’y a même plus ce prétexte – on attaque des hôpitaux et il n’y a pas de débat public. »
« Dans les versions les plus récentes du rapport, Mordechai a ajouté une annexe qui explique pourquoi, à son avis, les actions d’Israël à Gaza constituent un génocide, un sujet qu’il développe dans notre conversation. ‘’Nous devons déconnecter la façon dont nous pensons le génocide comme Israéliens – les chambres à gaz, les camps de la mort, la Seconde Guerre mondiale – du modèle qui est ancré dans la Convention [de 1948] pour la prévention et la répression du crime de génocide’’ (…) Ce que tous ces actes ont en commun, c’est la destruction délibérée d’un groupe ».
« La version en langue anglaise du rapport fait référence à des articles de six éminentes autorités israéliennes, qui ont déjà déclaré qu’à leur avis, Israël commet un génocide : l’expert de l’Holocauste et du génocide, Omer Bartov ; le chercheur sur l’Holocauste, Daniel Blatman ; l’historien Amos Goldberg ; l’universitaire Raz Segal ; l’expert sur le droit international Itamar Mann, et l’historien Adam Raz. »
« En fin de compte, nous devons nous demander comment nous pouvons arrêter cela et comment nous allons répondre à nos enfants lorsqu’ils nous demanderont ce que nous avons fait pendant la guerre. »
L’article se conclut sur une citation du bureau du porte-parole de Tsahal, qui affirme que son armée n’a que des cibles militaires.