Instabilité et « esprit de responsabilité… » Suite !

Participer aujourd’hui au « conclave » de Bayrou sur les retraites, c’est s’engager maintenant dans la voie pour se saborder demain, c’est confondre le paritarisme et la libre négociation avec le corporatisme et la subsidiarité.

Réunion du conclave autour de Bayrou, le vendredi 17 janvier (photo DR).
Par Hubert Raguin
Publié le 20 janvier 2025
Temps de lecture : 5 minutes

Le jeudi 16 janvier, à l’Assemblée nationale, François Bayrou, le nouveau Premier ministre d’Emmanuel Macron, prend la parole pour répondre à Manuel Bompard, coordinateur de LFI, qui vient de présenter et défendre la motion de censure déposée par son groupe.

Le député Bompard vient de tailler en pièces la déclaration de politique générale du Premier ministre : aucun changement de politique budgétaire, pas d’abrogation de la réforme des retraites, refus de toutes les revendications.

Concernant la mise en place d’un « conclave », enfermant patronat et syndicats (les cardinaux ?) pour trouver une « alternative » à la réforme Borne qui respecte sa trajectoire financière, ne dégrade pas son équilibre financier (les coupes sombres dans les droits des salariés et retraités), Bompard dénonce la discussion pipée et le droit de veto au Medef et au gouvernement puisqu’en cas d’échec des pseudo-négociations, la réforme Borne continuera de s’appliquer.

La seule marge de manœuvre accordée aux cardinaux du conclave, donc aux confédérations syndicales, est de renoncer à leur mandat d’abrogation pure et simple : « Face je gagne, pile, tu perds » ! Le député conclut qu’en ne votant pas la motion de censure, les députés PS, au nom de la stabilité et de l’esprit de responsabilité réclamés par Bayrou et par eux-mêmes, se positionnent en « béquille de la continuité de la politique de Macron et de tous ses gouvernements », la voilà la stabilité !

Bayrou salue « un document sans précédent »

Que répond Bayrou ce 16 janvier ? Il lit un « document sans précédent », la lettre ouverte du 17 décembre aux élus et responsables politiques signée de toutes les organisations patronales et de toutes les confédérations syndicales à l’exception de la CGT. « Ce texte est la première réponse qui mérite d’être apportée à votre présentation de la motion de censure », dit Bayrou.

Dans cette lettre aux responsables politiques, « les organisations de la démocratie sociale constatent que l’instabilité politique fait peser sur nous la menace d’une crise économique aux conséquences sociales dramatiques. Ils alertent sur les risques qu’une telle instabilité génère, ils sont déterminés à participer aux solutions, ils appellent à trouver le chemin de la stabilité, de la lisibilité, de la visibilité, c’est la voie du paritarisme. »

Quelques jours plus tôt, Bayrou avait fait reproche à la presse de ne pas avoir suffisamment présenté et souligné l’importance de ce document. Il a donc de la suite dans les idées. Il poursuit sa réponse en demandant aux députés d’abandonner l’affrontement et la conflictualisation portés par les propos de Manuel Bompard et leur oppose la pratique du dialogue, de la négociation, tenter de chercher un chemin de dialogue, de compromis, plutôt que l’affrontement perpétuel.

On ne saura pas si Bayrou en instituant son conclave fait seulement référence aux institutions de la sainte Église apostolique et romaine ou s’il pense aussi à un récent film tout à fait instructif sur les mœurs et pratiques démocratiques au sein d’un conclave. Peu importe.

Transformer les syndicats en « institution officielle »

Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’il est le représentant d’un courant politique, la démocratie chrétienne, dont un des principes fondateurs est le principe de subsidiarité et son corollaire, le corporatisme : désarmer les syndicats en les intégrant au fonctionnement de l’État.

Citons son discours de politique générale dans lequel il a salué Marc Sangnier promoteur de la démocratie chrétienne et du christianisme démocratique et social : « Faire un seul peuple, c’est reconnaître que le pluralisme est légitime. Ce dernier doit être organisé. Je suis un défenseur des partis politiques et des syndicats et souhaite qu’ils puissent être un jour reconnus comme des mouvements d’utilité publique. (…) C’est pourquoi je souhaite la création d’une banque de la démocratie. L’objectif est que le financement des partis politiques (…) puisse éventuellement, et en recours, être le fait d’organismes publics, placés sous le contrôle du Parlement. »

Avec un tel défenseur des partis politiques et des syndicats, un tel « organisateur du pluralisme », le contenu du conclave s’éclaire.

Rapprochons cette citation d’une autre et, cette fois, le chemin sur lequel Bayrou propose aux directions des confédérations syndicales de faire un premier pas sera tout à fait éclairé : « L’essence de la réforme sociale accomplie par le fascisme consiste, au point de vue politique et juridique, dans la transformation de l’association syndicale, qui avait un caractère critique et polémique, en une institution officielle, élément d’une nouvelle hiérarchisation des pouvoirs, organe de collaboration entre les catégories professionnelles et les classes, en vue des intérêts unitaires de la nation, aujourd’hui concrétés, et personnifiés dans l’État. » L’auteur en est Giuseppe Bottai, ministre de Mussolini, dans L’expérience corporative (Nouvelles Éditions Latines, 1932).

Le « conclave » de François Bayrou organise le pluralisme, c’est une structure corporatiste visant à domestiquer les syndicats, les attacher au fonctionnement de l’État, leur faire accepter la mise en œuvre des contre-réformes décidées par le gouvernement contre les intérêts ouvriers.

Y participer aujourd’hui, c’est s’engager maintenant dans la voie pour se saborder demain, c’est confondre le paritarisme et la libre négociation avec le corporatisme et la subsidiarité.

Âpres débats dans les instances syndicales

Le jeudi 16 janvier, se réunit aussi la commission exécutive confédérale de Force Ouvrière, instance de direction de l’organisation. Au terme d’âpres débats la direction de la confédération fait adopter à cette instance, avec des oppositions argumentées, une déclaration qui confirme les revendications et les mandats de l’organisation à commencer par l’abrogation pure et simple de la réforme des retraites, pointe les dangers du conclave qui « pourrait viser à nous associer à la réforme actuelle » et… décide néanmoins d’y « participer à la condition de rester libre de la quitter à tout moment. » Un tour de passe-passe qui ne trompe personne et ne masque pas le fait que, malgré une forte opposition, des absents, des votes contre et des abstentions, la direction de la confédération FO, à une courte majorité, en contradiction totale avec ses fondamentaux, apporte sa caution à l’opération.

Le vendredi 17 janvier se réunit le CCN de la CGT, le comité confédéral national. Sophie Binet réclamait, avec le Parti socialiste notamment, depuis des semaines, la réunion d’une conférence de financement des retraites. Elle avait donc salué les annonces de Bayrou comme une première avancée en regrettant que le contour soit « flou ». Elle se félicite de la transformation du « conclave » en concertation et confirme le refus du système à points et de la capitalisation.

Elle propose à son CCN d’ « ouvrir un chemin vers l’abrogation » et donc… de participer : « Grâce à notre rapport de force, nous avons réussi à imposer la réouverture d’une négociation globale. » La direction de la confédération, contrainte à un vote, a fait adopter la participation, par un vote à une faible majorité, avec des oppositions argumentées. Pour Sophie Binet, « il faut sortir le pays de la crise sociale, économique, environnementale et démocratique dans laquelle il s’enfonce dangereusement et permettre une stabilité ».

À toutes les raisons de censurer Bayrou et de dégager Macron s’en ajoute une, la défense des organisations syndicales auxquelles les travailleurs ne demandent pas de participer à des conclaves pour mettre en œuvre la réforme des retraites.

Aux antipodes de la volonté de la majorité, exprimée dans les votes et dans la rue

La poursuite, contre la démocratie, du gouvernement Macron-Bayrou, avec l’appui du RN et du PS qui ne votent pas la censure, se heurte à la volonté de la majorité. Les déclarations des dirigeants syndicaux sur la nécessaire stabilité et l’esprit de responsabilité, leur participation au conclave de Bayrou, malgré les oppositions à l’intérieur des organisations, est aux antipodes de la volonté de la majorité, exprimée dans les votes et dans la rue.

L’alternative est claire : soutenir les revendications et cette volonté de millions qui n’en peuvent plus et veulent dégager Macron ou continuer à le protéger pour que les patrons et le capital financier continuent. À ce jour, sans que rien ne soit définitivement scellé vu les réactions en cours, le choix est fait de sauver l’équipe Macron-Bayrou en perdition, aux côtés notamment du PS et du RN.