Dans toute l’Europe, des campagnes ignobles contre les immigrés

Lu dans la Lettre hebdomadaire du comité central du Posi (section dans l’Etat espagnol de la IVe Internationale)

Frontière séparant le Maroc de l'enclave nord-africaine espagnole de Melilla, où plus de vingt immigrés ont trouvé la mort le 24 juin 2022. (AFP)
Par Extraits de la « Lettre hebdomadaire » du Posi
Publié le 30 septembre 2024
Temps de lecture : 6 minutes

La campagne de la droite et de l’extrême droite contre les immigrés – et la réaction de nombreux gouvernements européens assumant leurs thèses – fait écho à une question qui n’est pas nouvelle : une division de la population entre « natifs » et « étrangers ».

Dès 1870, Karl Marx écrivait : « La bourgeoisie anglaise, en plus d’exploiter la misère irlandaise pour aggraver la condition de la classe ouvrière en Angleterre par la migration forcée des Irlandais pauvres, a divisé le prolétariat en deux camps ennemis (…) dans tous les grands centres industriels de l’Angleterre, il y a un profond antagonisme entre le prolétaire anglais et le prolétaire irlandais. L’ouvrier anglais moyen déteste l’Irlandais, qu’il considère comme un rival qui fait baisser les salaires et le niveau de vie. Il le voit presque comme les Blancs pauvres des Etats du sud de l’Amérique voyaient les esclaves noirs. La bourgeoisie fomente et entretient artificiellement cet antagonisme parmi les prolétaires à l’intérieur même de l’Angleterre. Il sait que dans cette scission du prolétariat réside le véritable secret du maintien de son pouvoir.  »

Au XXIe siècle, c’est également la destruction de la santé, de l’éducation publique et de la protection sociale qui alimente les campagnes contre les immigrés.

Ces derniers mois, nous avons assisté dans notre pays à des campagnes d’extrême droite, puis de l’aile droite du Parti populaire contre les immigrés. Des campagnes qui se nourrissent de calomnies et de fake news, comme dans le cas de Mocejón (Tolède), où la mort d’un garçon de 11 ans poignardé a donné lieu à une campagne virulente, dans laquelle on a cherché à provoquer des incidents similaires à ceux qui ont éclaté au Royaume-Uni, en attribuant, à tort, le crime à un immigrant. Mais on a vu aussi le spectacle inhumain du refus des communautés autonomes (régions) d’accueillir les cinq mille mineurs entassés dans les « centres d’accueil » déjà surpeuplés des îles Canaries. Cela n’efface pas la responsabilité du gouvernement, qui maintient la loi sur l’immigration et est responsable de la situation dans les enclaves coloniales de Ceuta et Melilla, où avait eu lieu en juin 2022, un véritable massacre au cours duquel entre vingt-sept et quarante personnes (selon les sources) ont trouvé la mort.

Mais ceux qui pointent du doigt l’extrême droite ne peuvent néanmoins cacher le fait que l’Union européenne comme les différents gouvernements en assument les thèses. On peut lire dans la presse française, à propos de l’immigration en Allemagne : « Olaf Scholz met en œuvre une réforme prônée par… Bardella » (Le Point) ; ou encore : « Le gouvernement allemand (le chancelier social-démocrate, Olaf Scholz, est à la tête d’une coalition avec les Verts et les Libéraux) a décidé le 10 septembre de rétablir le contrôle à ses frontières dans le cadre du renforcement de la lutte contre l’immigration clandestine. Les réfugiés qui sont entrés illégalement peuvent être renvoyés, a-t-il déclaré », a rapporté le journal Le Monde. « Avec des contrôles sur toutes les frontières de l’Allemagne, le chancelier allemand s’empare de facto de la “double frontière” défendue par Bardella lors des élections européennes », explicite Le Point. Apprenant la nouvelle, le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, exulte : « L’Allemagne a décidé d’imposer des contrôles stricts aux frontières pour mettre fin à l’immigration clandestine. Scholz ! Bienvenue au club.  »

Et pourtant…

Or malgré les rumeurs, les calomnies et les fake news, le fait est qu’aujourd’hui, la présence de la population immigrée est essentielle au fonctionnement de l’économie et à l’avenir du pays. En 2019, le rapport du Défenseur des droits indiquait : « La contribution de l’immigration à l’économie espagnole montre comment les migrations permettent non seulement de soutenir la croissance démographique, mais aussi d’éviter le vieillissement de la population (…), la population nouvellement arrivée est plus jeune que la population espagnole (…). D’autre part, le ralentissement du vieillissement est le résultat de l’impact de l’immigration sur le taux de fécondité.  » Il explique également que « la croissance de la population active nécessite actuellement l’apport de la main-d’œuvre étrangère et son occupation est essentielle pour maintenir le niveau de l’emploi », et que « l’immigration a contribué à soutenir l’augmentation progressive du taux d’activité féminine des femmes espagnoles, en permettant aux femmes espagnoles de déléguer la tâche de s’occuper des enfants et des personnes âgées à du personnel qui est majoritairement féminin et étranger ». Au contraire, comme nous le signalions dans une publication en 2018 : « Ce ne sont pas les immigrés qui sont responsables de la destruction de bons emplois dans l’industrie sidérurgique, la construction navale et la banque, ou du remplacement de bons emplois dans l’électricité, les télécommunications, etc., par des agences de travail intérimaire et des sous-traitants ultra-précaires. C’est le capital financier, avec les gouvernements à son service, et avec l’Union européenne comme principal soutien.

En outre, une grande partie de la production agricole, en particulier à Almeria et Huelva (sud de l’Espagne – NDT) , est récoltée par des immigrants en situation irrégulière, à très faible coût, qui vivent dans des campements de fortune. Un système pervers qui permet à des entrepreneurs agricoles sans scrupule d’obtenir d’énormes profits en payant des salaires bien en dessous des conventions collectives. Il est dans l’intérêt de ces exploiteurs qu’il y ait une main-d’œuvre sans droits, qui ne peut pas dénoncer sa situation de peur d’être expulsée du pays. Et il faut dire que ce ne sont ni la Garde civile ni l’Inspection du travail qui font beaucoup d’efforts pour poursuivre ces entrepreneurs criminels.  »

Ils sont expulsés de leurs pays par la politique de l’impérialisme

Des milliers d’hommes et de femmes désespérés se jettent à la mer, dans des embarcations précaires, au péril de leur vie, pour rejoindre l’Europe. Pendant des années, cela s’est principalement déroulé en Méditerranée. Suite aux accords de l’UE avec la Libye et la Tunisie visant à organiser une persécution brutale contre ceux qui veulent atteindre l’Europe à partir de ces pays, les routes se sont modifiées. L’attention s’est donc tournée vers les îles Canaries. Et aucun des accords signés avec les différents pays d’origine n’a changé les choses parce que les causes, elles, persistent poussant des milliers d’Africains désespérés à chercher refuge hors de leurs pays. Les causes sont toujours les mêmes. Ce ne sont que les routes empruntées qui bougent.

La plupart des migrants qui empruntent cette route sont originaires des pays du Sahel dans lesquels sévissent la sécheresse – aujourd’hui aggravée par le changement climatique – et le terrorisme djihadiste, alimenté par des tonnes d’armes distribuées dans la zone après l’intervention militaire contre la Libye en 2011.

Sécheresse, terrorisme et pillage des ressources naturelles (or, uranium, pétrole, lithium, etc.) Au Niger, premier producteur mondial d’uranium, il n’y a que 13 % des bénéfices de l’extraction du minerai par la société française Areva qui revient au pays. Pour garantir la continuité de ces pillages, les puissances impérialistes promeuvent des régimes corrompus au travers de l’échange d’une part – minime – du butin, et fomentent des guerres, des rébellions territoriales et, maintenant, des insurrections terroristes. C’est le vol de la richesse nationale, la poursuite des guerres et les « insurrections » terroristes qui produisent la misère et la destruction, provoquant la fuite de millions de personnes.

La position du mouvement ouvrier

La combinaison de l’arrivée de millions de migrants en Europe avec la destruction de la Santé publique, des services sociaux et des services d’accueil eux-mêmes (facteurs limitant la capacité d’accueil) ; la spéculation effrénée sur le logement, ainsi qu’une politique médiatique complice et raciste, sont une véritable bombe à retardement contre la coexistence entre travailleurs. La planification de la production et des services pour tous, les conquêtes sociales pour tous, sont essentiels. En Europe, il y aurait facilement les moyens d’accueillir des millions de réfugiés, qui ne représentent dans l’UE que 1,5 % de la population (dont un tiers correspond à des réfugiés de la guerre en Ukraine). Cela nécessiterait un plan central dans chaque pays pour la construction d’infrastructures, de logements, d’écoles, d’hôpitaux, afin de pallier les pénuries subies par la population locale et aussi de prendre en charge les réfugiés. En 1945, après la guerre, l’Allemagne avait accueilli 13 millions de réfugiés qui participèrent à la reconstruction du pays. Un tel plan, indispensable, rompt aujourd’hui avec toutes les exigences du régime de la propriété privée des moyens de production.

La lutte pour les droits de tous doit inclure la lutte des « natifs » et des « immigrés » pour l’abrogation des réformes du travail (et des lois sur les étrangers), en donnant aux syndicats les moyens de défendre tous les travailleurs : droit de grève sans restriction, libre négociation collective d’accords qui ont force de loi, valables pour tous. C’est-à-dire qu’au lieu d’as sumer le discours raciste de l’extrême droite et de la droite, les partis qui prétendent représenter les travailleurs doivent prendre leur place en abrogeant les lois antisyndicales, les réformes du travail, en annulant les coupes dans les retraites et les services publics. Ce n’est pas une coïncidence si le coup d’Etat de Macron contre la volonté populaire a lieu contre le programme du Nouveau Front populaire, dont le programme comprend le retrait des lois anti-immigrés et des mesures d’urgence pour récupérer les services publics.

En fin de compte, il faut mettre fin à l’anarchie générée par le capital. Et mettre fin à cette anarchie, c’est ce qui peut permettre la libre union des travailleurs et des peuples d’Europe, qui tendront la main aux peuples d’Afrique et du Moyen-Orient, pillés par les multinationales, le capital financier et les gouvernements à leur service.