Des artistes et écrivains français pour la Palestine

De nombreuses personnalités, en France, ont lancé un appel sous la bannière de "Artistes Pour la Palestine – France (APP-F), que nous reproduisons. L'un des signataires, l'auteur et producteur de films Frank Barat, a bien voulu répondre à nos questions

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Publié le 21 décembre 2024
Temps de lecture : 7 minutes

« Artistes Pour la Palestine – France (APP-F) est un réseau d’artistes et de travailleur.eu.e.s culturel.le.s en France, uni.e.s pour soutenir le peuple palestinien, son droit à la souveraineté et à la liberté. Nous nous rassemblons pour demander, de toute urgence, une solution juste pour toutes et tous en Palestine, y compris pour les réfugié.e.s palestinien.ne.s qui l’attendent depuis plus de 75 ans.

En tant qu’artistes et travailleur.euse.s culturel.le.s, nous savons que l’art aide à donner du sens, ainsi qu’à transmettre des récits et des émotions. A l’appel de la société palestinienne, artistes, cinéastes, musicien.ne.s, écrivain.e.s et organisations artistiques, nous nous mobilisons pour que l’horreur cesse et que les discours changent.

Nous dénonçons l’invisibilisation des Palestinien.ne.s et de leur culture dans les médias, ainsi que la propagation sur les plateaux TV et dans les journaux, d’une propagande raciste anti-palestinienne.

Nous déplorons l’impunité que le gouvernement français, mais aussi les entreprises et les institutions françaises, accordent à Israël, et de fait, leur complicité dans l’oppression du peuple palestinien, l’instauration d’un régime d’apartheid, la mise à feu et à sang de toute la région, dont le Liban et, aujourd’hui, le génocide à Gaza.

Nous voulons exprimer notre solidarité enracinée dans le droit international, mais aussi dans une opposition ferme à toutes les formes de violence, de racisme et de discrimination, y compris la négrophobie, l’islamophobie, l’antisémitisme, le validisme, le sexisme, et l’homophobie. Nous alertons sur l’instrumentalisation qui est faite de ces luttes par des politiques, organismes et figures médiatisées, pour mieux justifier le génocide à Gaza.

Enfin, répondant à l’appel des acteurs culturels de la société civile palestinienne, nous refusons de collaborer avec toute institution complice de l’apartheid israélien, et en particulier avec ses institutions étatiques et les événements culturels qu’elles organisent ou qu’elles parrainent, tant que l’État israélien ne respecte pas le droit international, les droits humains, et les droits imprescriptibles du peuple palestinien.

Nous refusons de blanchir par l’art les crimes de l’État israélien et les violations des droits humains. Nos mots, notre travail, ne seront jamais au service d’un crime contre l’Humanité.

Comme l’a écrit le prix Pulitzer Anne Boyer en novembre 2023, après avoir démissionné de son poste de rédactrice en cheffe du service poésie du New York Times, pour protester contre le traitement médiatique de la situation à Gaza : « Parce que le statu quo est une forme d’expression en soi, parfois la seule chose qu’il reste aux artistes est le refus. » Nous aussi, aux côtés d’artistes et intellectuel.le.s dans le monde entier, nous refusons.

En mai 2024 la Cour internationale de justice a rappelé l’obligation pour la communauté internationale de mettre en œuvre des mesures pour prévenir le génocide, et le 21 novembre 2024 la Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêts contre Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant pour crimes de guerres et crimes contre l’humanité. Cela ne fait que renforcer par des voies légales notre démarche humaine et solidaire.

Nous exigeons la justice, la dignité et le droit à l’autodétermination pour les Palestiniennes et les Palestiniens, comme pour toutes celles et tous ceux qui luttent contre la dépossession et la violence coloniale à travers la planète. Ce sont des questions sociales, écologiques, féministes cruciales qui devraient tous et toutes nous concerner.

Nous, artistes et écrivain.e.s, nous devons nous tenir du côté des opprimé.es. Nous demandons à ce que leur parole, leur vérité, leur humanité, mais aussi les faits, soient replacé.e.s au cœur du discours politique, intellectuel, artistique et médiatique.

Nous invitons toutes celles et tous ceux qui partagent cette vision à nous rejoindre. »

Premiers signataires

Adam Laloum, Adèle Exarchopoulos, Adèle Haenel, Adila Bendimerad, Aga, Aimeric Mbonyo-Kiefer, Aïssa Maïga, Akim Omiri, Aleef Sheen, Alex Tamécylia, Alexandra Dols, Alma Jodorowsky, Alpha Kilo, Amélie Bonnin , Amira Chebli, Anaïs Gournay, Anissa Baroudi, Anna Mouglalis, Anne Cissé, Anne-Claire Andersen, Anne-Marie Lallement, Annie Ernaux, Antoine Chevrollier, Ariane Labed, Arnaud Valois, Arthur Harari, Aude Pepin, Audrey M-G, Audrey Vernon, Awa Ly, Bachar Mar-Khalife, Badis Baroudi, Bastien Bouillon, Béatrice Dalle, Benjamine Weill, Blanche Gardin, Bonnie Banane, Boulomsouk Svadphaiphane, Camille Etienne, Camille Paule, Caroline Gay, Caroline Lozé, Caroline Pascal, Cécile Cée, Cécile Morel, Cecilia Bengolea, Céline Sallette, Cha Toublanc, Christine Séchant Marot, Claire Le Denic, Claire Rengade, Claire Touzard, Clotilde Hesme, Corine, Cyril Dion, Dali Benssalah, Damien Ounouri, David Bobée, Despee, DJ Kefran La Meute, Dj Missy Ness, Djamila Zeghbab, Djazia Satour, Djebril Zonga, Dominique Grange, Dorothée Munyaneza, Emel Mathlouthi, Emilia Petrakis, Emilie Dequenne, Emmanuel Dror, Emmanuel Meirieu, Eric Cantona, Eva Doumbia, Eyal Sivan, Faiza Guene, Fanny Herrero, Fatima Daas, Félix Maritaud, Fianso, Fiona Schmidt, Flavien Berger, Florence Loiret Caille, Frank Barat, Franssou Prenant, Fred Sochard, Gauvain Sers, Gisèle Vienne, Graziano Mazza, Grej, Guillaume Diop, Guillaume Meurice, Habibitch, Hajer Ben Boubaker, Hajiba Fahmy, Hakim Amokrane de Zebda, Haroun (Scred Connexion), Hassane Mezine, HK, Houda Benyamina, Iliona, Imany, Imhotep, Inès Geoffroy, Jadd Hilal, Jamal Ouazzani, Jean-Luc Coudray, Jean-Pierre Bastid, Jenna Thiam, Jeremy Nadeau, Joëlle Marelli, Johann Weber, Joseph Andras, Judith Bernard, Judith Chemla, Julia Maura, Julio Laks, Kaoutar Harchi, Karimouche, Keny Arkana, Kevin Bantsimba, Kevin Mischel, Konspi, La Louuve, Laïla Marrakchi, Lalla Rami, Lauren Bastide, Léane Alestra, Leïla Bahsaïn, Léo Lefèvre, Léonie Pernet, Léonore Baulac, Lily Gana, Lola Levent, Lola Malique, Louis Dorsène, Louise Chevillotte, Louise Groult, Ludivine Sagnier, Manda Touré, Manon Azem, Marie Heck Mosser, Marie Lemarchand, Marielle Chabal, Marisa Commandeur, Martin Drouot, Martin Tronquart, Matthieu Khalaf, Matthieu Longatte, Maud Wyler, Médine, Mehdi Maïzi, Mehdi si no mad, Mélaka, Melha Bedia, Mélissa Laveaux, Mohamed Najem, Mona Chollet, Mourad Musset de La Rue Ketanou, Moussa Maaskri, Mustapha Amokrane de Zebda, Mymytchell, Nabila Halim, Nadège Aïcha , Nadège Erika, Nael Khleifi, Nahuel Perez Biscayart, Najoua Ferréol, Nasser Djemaï, Nathalie Sejean, Nawel Ben Kraiem, Nawell Madani, Nicolas Matos Itxaso, Niels Schneider, Nina Meurisse, Nine d’Urso, Noée Abita, Nora Bouazzouni, Olivier Rabourdin, Ossem, Ouidad Elma, Oulaya Amamra, Pascalides, Paul Pascot, Philippe Coudray, Pomme, Pumpkin, Rachida Brakni, Radouan Leflahi, RÆVE, Rahim Redcar, Rakidd, Raphaëlle Bruyas, Rémo Gary, Renaud, Rim Battal, Rocé, Rod Paradot, Sabrina Lorre, Sabrina Ouazani, Sainte Amaranthe, Sako (Chiens de Paille), Salim Kechiouche, Sami Bouajila, Samir Benyoucef, Sandra Lucbert, Sara Mychkine, Sarah El Hamed, Shaka Ponk, Shanti Mouget, Sidi Wacho, Sigrid Bouaziz, Simone Bitton, Skia, Slimane Dazi, Sofian Benzina, Solène Rigot, Soraya Garlenq, Stéphanie Vovor, Swann Arlaud, Taipan, Tardi, Theo Carrere, Tif, Titi Robin, Tomas December, Victoire Du Bois, Xavier Mathieu, Yerim Sar, Yoa, Yousra Mohsen, Zita Hanrot.

 

« La Palestine est au centre »

Extrait de l’interview de Frank Barat, signataire du Manifeste Artistes Pour la Palestine – France accordée à Informations ouvrières, le 16 décembre.

Tu animes une chaîne You tube sur la Palestine qui a beaucoup de succès avec des personnalités comme Angela Davis, Francesca Albanese, Gabor Maté, Blanche Gardin, Rima Hassan… d’où vient ton attachement à la Palestine ?

Frank Barat : On m’a posé la question plusieurs fois. Il n’y a pas que moi qui m’implique évidemment, j’y suis allé pour la première fois en 2007, on va dire que j’étais actif depuis un an, à peu près, sur le sujet, et quand je dis actif, j’habitais à Londres à l’époque, et je faisais partie de communautés de solidarité, genre FPS, à la sortie des métros, on distribuait des flyers pour dire qu’il y avait une manifestation. (…)

Tu as travaillé pour le tribunal Russel sur la Palestine, aussi.

Ça, c’est après. Il y a eu une série d’enchaînements qui a fait que je m’impliquais de loin, de loin, depuis un an, à faire partie de petits comités, distribuer des flyers, aller à des réunions, mettre en place des assemblées sur le sujet, parce que j’avais compris par les livres, je pense en particulier à Noam Chomsky « Comprendre le pouvoir », où la Palestine revenait beaucoup, c’est vrai qu’il y a eu un avant et un après 2007.

En décembre 2007, je suis allé en Palestine pour soutenir Israeli Committee Against House Demolition, des Israéliens qui se battaient pour que les maisons des Palestiniens ne soient pas détruites, j’ai fait un documentaire là-dessus, modestement, que j’avais appelé Life Under Occupation, Testimonies from an Occupied Land. Arundhati Roy dit : Once you’ve seen it, you can’t unsee it. Du coup, tu as une décision à prendre.Une fois que tu sais la réalité, soit tu gardes tes œillères et tu fais comme si tu n’avais rien vu, soit, en fait, tu prends acte de cette réalité et tu t’impliques.

Et donc, mon travail commence quand je repars, en France, en Belgique, à Londres, etc. La Palestine a pris petit à petit 60 % de ma vie, 70 %, 80 %, jusqu’à prendre, maintenant, 90 % de ce que je fais.

Tu as même produit un film palestinien.

Oui. Un court-métrage palestinien qui s’appelle The Key, de Rakan Mayassi. Et on a co-produit aussi, To a Land Unknown, le film de Mahdi Fleifel, qui a du succès qui vient de remporter un prix au Red Sea Film Festival.

Après le 7 octobre, tu as continué à t’impliquer et tu as, avec d’autres artistes, lancé Voices for Gaza qui a eu beaucoup d’écho.

Je crois que vers fin octobre, donc 2023, on avait écrit une tribune en français qu’on a fait signer. À partir de cette tribune, des artistes nous ont contactés, ceux qui avaient signé, ceux qui n’avaient pas signé. Ça entraînait des discussions, des réunions. Et à partir de là il y a eu l’idée avec d’autres en Angleterre, aux États-Unis : on demande à des célébrités de se filmer sur leur portable et après, on monte ces petites vidéos. Mais là, on s’est dit pour une fois, il fallait se donner les moyens de faire, quelque chose de « pro ».

On ne leur demandait pas vraiment de se positionner politiquement, en tout cas au début. on leur demandait juste de se faire les porte-voix de Palestiniens. Ça a été beaucoup vu. La page Instagram, là aujourd’hui, il y a plus de 110 000 followers. Il y a des vidéos qui ont été vues jusqu’à 4 millions de fois.

On a encore une liste de gens qui voudraient participer à Voices for Gaza qui s’allongent de jour en jour.

Vous avez agi dans des festivals comme Cannes, aux Cesars ?

Des artistes ont pris la parole, on a vu des artistes avec des drapeaux palestiniens. Swann  Arlaud est quand même allé aux Oscars pour Anatomie d’une chute, avec un pins, un drapeau palestinien. Il fallait oser, la première fois qu’il y allait ! il y a eu pas mal d’actions comme ça et encore une fois je n’étais pas seul !

Vous avez lancé un nouvel appel avec plus de 400 artistes (voir ci-dessus) dont Adèle Haenel, Adèle Exarchopoulos, Anna Mouglalis, Rachida Brakni, Blanche Gardin, Arthur Arrari, Béatrice Dalle, Maud Wyler, Eric Cantona Ludivine Sagnier, Mona Chollet, Niels Schneider, Tardi, Sofian Benzina, Sabrina Ouazani… ? Aux USA des artistes comme Suzan Sarandon sont « blacklistés » mais il y a aussi Mark Ruffalo qui agit très ouvertement quel regard as-tu là-dessus ?

Il ne faut pas oublier que la lutte sera longue, nous on l’a vu avec certains artistes où après deux trois coups de fil, une réunion, boum c’était parti. On renverse le rapport de force.

J’ai participé à une réunion avec toi où il y avait un artiste palestinien qui a dit quelque chose qui nous a tous frappés « la question palestinienne est au centre de la question de la révolution mondiale  »…

Moi je pense depuis toujours qu’elle est centrale parce que c’est un microcosme de tout ce qui va mal dans le monde : les entreprises d’armement, les complicités internationales, la colonisation et ça fait des années et des années que les Palestiniens disent qu’il faut que la Palestine soit au centre, fasse partie de toutes les causes pour la justice sociale, contre les réchauffements climatiques, contre les violences faites aux femmes… Greta Thunberg, elle, parle de la Palestine, de génocide, de culturicide, d’écocide.

Notre journal a rendu compte d’une réunion européenne de syndicalistes et militants politiques contre la guerre en Ukraine, en Palestine, contre les budgets alloués aux armements.

Oui tu m’as parlé des dockers à Gênes qui ont bloqué les armements pour Israël c’est la voie ! Je regrette que les syndicats français n’appellent pas à la grève générale, que le pays soit à l’arrêt, contre Macron, pour la Palestine, contre l’armement d’Israël, son déni de démocratie c’est grave.