Entretien avec Didier Gadéa, secrétaire général du Modef (syndicat paysan)
Alors que les prix flambent, les paysans sont contraints de vendre à perte. Plan eau du gouvernement, hégémonie de la FNSEA… Didier Gadéa brosse un tableau de la situation actuelle du monde paysan.
- Tribune libre et opinions

Comment vont les paysans aujourd’hui ?
Didier Gadéa : Les paysans sont toujours confrontés aux augmentations des intrants (engrais, énergie, emballage…). Les prix n’arrivent pas à compenser les charges. Les paysans n’arrivent toujours pas à vivre de leur travail. Difficulté supplémentaire : le manque d’eau.
On entend pourtant parler en ce moment des plans irrigation. Quel est ton avis ?
Dans l’Hérault par exemple, 300 millions d’euros vont être débloqués pour un plan irrigation. Il y a un projet de sept bassines. Mais attention ! pas comme à Sainte-Soline. Donc il va y avoir des bassines pour faire des stockages d’eau mais, si la pluie ne vient pas, ça sert à quoi ?
Il y a beaucoup d’argent qui est mis sur la table, la FNSEA (syndicat agricole proche de l’exécutif, qui fait et défait les ministres de l’Agriculture) a négocié auprès du gouvernement que l’agriculture obtienne un quota d’irrigation. Comment cette eau va-t-elle être repartie et à quel prix ? Personne ne le sait ! 300 millions d’euros pour l’Hérault ! Miroir aux alouettes ou vrais bénéfices pour les agriculteurs ?
Qui décide pour ce plan irrigation ?
Ce sont l’Etat, la région, les conseils départementaux et les chambres d’agriculture constituées à 99 % de la FNSEA. Leur logiciel, c’est une orientation libérale : irrigation pour exportation.
Le président du conseil départemental de l’Hérault, Kléber Mesquida, et certains des conseillers départementaux écoutent plus volontiers le premier syndicat agricole de France qui défend la spéculation et les marchés, plutôt qu’un syndicat comme le Modef qui défend les petites exploitations agricoles familiales.
Tu nous parles de l’hégémonie de la FNSEA dans les chambres d’agriculture. En 2025, il va y avoir l’élection des représentants de ces chambres. Peux-tu nous en dire un peu plus ?
Les élections des chambres sont en 2025, soit deux ans avant la présidentielle. A mon avis, il faut voir les choses politiquement. Il y aura, dans ses élections, une indication. D’abord directement en lien avec l’écho des syndicats agricoles : les chambres d’agriculture permettent aux syndicats, selon leurs résultats, d’avoir une dotation, c’est comme pour les partis politiques. C’est un enjeu financier, et cela impacte le devenir du monde agricole.
A l’heure actuelle, il y a cinq organisations syndicales agricoles : la FNSEA, la Confédération paysanne, les Jeunes agriculteurs, la Coordination rurale et le Modef. Ça va être une bataille terrible, car la Coordination rurale, qui est très à droite, talonne la FNSEA et a déjà dépassé la Confédération paysanne. Ses prétentions : vouloir gagner le maximum de chambres d’agriculture.
Partout où la Coordination rurale progressera, nous aurons affaire à des bastions réactionnaires. C’est la réaction qui avance. La FNSEA défend le libéralisme et le marché mondial. La Confédération paysanne est pour la décroissance. La Coordination rurale défend le souverainisme, le libéralisme, elle est contre les fonctionnaires, contre la Sécurité sociale, contre toutes les conquêtes ouvrières. Ces élections risquent d’être marquées par la poussée de la Coordination rurale.
Pour contrer cette progression, la Confédération paysanne ne suffira pas. Le Modef défend autre chose.
Si les paysans doivent choisir entre la mondialisation (FNSEA) ou l’écologie (Confédération paysanne), ils risquent de s’abstenir ou de voter Coordination rurale (vote de contestation), d’où l’importance d’avoir des listes Modef dans un maximum de départements pour proposer une perspective aux paysans.
Quelles sont les revendications du Modef ?
Nous avons une revendication transitoire : des prix plancher garantis par l’Etat.
Tous les syndicats revendiquent que les paysans puissent vivre de leur travail mais la grande différence avec cette revendication dont nous sommes les seuls porteurs est claire : les prix plancher rémunérateurs pour les paysans doivent être garantis par l’Etat et pas par les marchés, et nous avons aussi la revendication du retour aux coefficients multiplicateurs.
C’est un dispositif créé en 1945 après la guerre. Ses avantages : des marges très cadrées. Le paysan gagne sa vie car il a des prix plancher, l’intermédiaire gagne sa vie et le consommateur, lui, achète un produit avec un prix non impacté par la spéculation. Tout cela a été supprimé en 1987 avec un ministre de l’Agriculture issu de la FNSEA, François Guillaume, et c’est pourquoi, aujourd’hui, nous nous trouvons dans cette crise spéculative que le gouvernement ne veut pas stopper, pas plus qu’il ne veut baisser la TVA sur les produits de première nécessité. Il a aggravé les choses avec la loi Egalim (lire encadré ci-après) qui permet à la grande distribution de faire encore plus de marge avec les fameux 10 % de marge minimale obligatoire.
Mais alors, les paysans seraient-ils tous réactionnaires ?
Ils sont capables, pour peu que le mouvement ouvrier leur propose des choses, une alliance (…). En 1936, lorsque le Front populaire à crée l’Office du grain, pour instaurer un prix plancher garanti par l’Etat, les paysans ont vu leur revenu multiplier par trois et, du jour au lendemain, ils ont tourné le dos à tous les partis conservateurs. Ce n’est pas pour autant qu’ils vont devenir communistes ou socialistes.
Il faut comprendre cela quand on brigue un mandat politique. Il faut que ce soit une véritable alliance, cela ne peut se faire en subordonnant les paysans ! Il faut leur donner des moyens de travailler et de vivre de leur travail. Les paysans savent être solidaires. Il y a un mois, les cheminots CGT de Versailles en grève reconductible contre la réforme des retraites à 64 ans ont appelé la Confédération paysanne et le Modef pour les soutenir dans leur action.
On est montés à Versailles avec deux tonnes de nourriture que nous avons distribuée aux grévistes. Les cheminots étaient émus car ils ont vu qu’ils n’étaient pas seuls, les paysans avaient quitté leurs exploitations, passé une nuit à conduire les camions pour leur amener les deux tonnes.
« Les prix flambent, alors que les paysans sont contraints de vendre à perte »Quelques mots sur la loi Egalim ? Didier Gadéa : Egalim a été pensée et voulue par le gouvernement Macron. Dès la première réunion, nous avons vu que les dés étaient pipés.
Ce qui pose un problème de démocratie car un peuple qui est soumis à la concurrence libre et non faussée,est-il un peuple libre ? Le gouvernement français va plus loin dans l’accompagnement de cette politique au service de la spéculation. Il refuse de faire comme le gouvernement espagnol par exemple qui a baissé la TVA sur les produits de première nécessité. A vrai dire, Macron n’en a rien à faire des paysans qui sont contraints de vendre en dessous de leurs coûts de production, rien à faire de la population qui pour une partie d’entre elle ne fait plus qu’un repas par jour à cause des prix qui flambent. Un exemple concret : quand vous commandez un verre de vin au restaurant à 5, 6, voire 7 euros, la part qui revient au viticulteur c’est 7 centimes ! Et on peut décliner cela sur une multitude de produits : la baguette de pain, etc. Certains s’en mettent plein les poches. On entend parler ici et là d’une sécurité sociale de l’alimentation. Peux-tu nous donner des précisions ? C’est un projet qui a vu le jour en 2020, c’est sorti d’une association d’ingénieurs agronomes qui met en avant le bien manger pour être moins malade. Ils proposent de créer une 6e branche de la Sécurité sociale, conventionner les agriculteurs, donner tous les mois 150 euros par habitant sans condition de ressources pour pouvoir acheter de l’alimentation auprès des agriculteurs conventionnés. Ils parlent de démocratie alimentaire dans une Ve République alors que c’est le coup d’Etat permanent. Ils ne parlent jamais de la politique anti Sécurité sociale du gouvernement alors qu’elle est attaquée de partout (les exonération des cotisations ne sont pas compensées par l’Etat). D’autre part, ils sont contre l’augmentation des salaires et des retraites parce qu’ils estiment que ces augmentations pousseraient les travailleurs à consommer et donc à nourrir le système capitaliste. C’est un projet réactionnaire. Y a-t-il des syndicats paysans qui soutiennent ce projet ? Oui, la Confédération paysanne est à fond dans ce projet. Quant au Modef, une large majorité serait contre et nationalement, à l’heure actuelle, aucune position n’a été prise. |