Elections en Allemagne : un rejet immense

C'est un avertissement pour toute l’Europe : la coalition gouvernementale sortante a été laminée. En France, le RN, les dirigeants du PS passé sous la coupe de Hollande , en soutenant le gouvernement Macron/Bayrou, entonnent avec lui le refrain de "l'effort de guerre".

Par Stéphane Marati
Publié le 26 février 2025
Temps de lecture : 4 minutes

Les élections en Allemagne sont un avertissement pour toute l’Europe. La politique de soutien à la guerre du gouvernement de coalition SPD (socialistes), Verts et FDP (libéraux) a conduit le pays au désastre et à une désindustrialisation massive ; il y a, par exemple, plus de 1 000 licenciements par semaine dans le land du Brandebourg autour de Berlin.

La politique de liquidation des services publics et des conquêtes ouvrières, menée au nom du financement de l’effort de guerre pour répondre aux injonctions du gouvernement américain – et non pour s’opposer à lui au nom d’une prétendue « Otan européenne », a été sévèrement sanctionné dans les urnes : le SPD réalise son plus mauvais score depuis la réunification allemande en 1990 et perd 3,8 millions de voix, alors que la participation progresse de 6 points. Les Verts en perdent un million. Le FDP disparaît du Parlement. La situation n’est guère meilleure pour la droite CDU/CSU qui progresse par rapport au marasme électoral de 2021, mais qui réalise son deuxième pire score de l’histoire avec 28,5 %.

Une « polarisation sociale » (patronat)

Le rejet est immense. Preuve qu’à force de compromissions et de renoncements, la recherche éperdue de stabilité du pouvoir, au compte de la politique de rapine et de terre brûlée du capital, ruine ceux qui s’y enfoncent et renforce toujours davantage la pire réaction : le parti d’extrême droite AfD, ouvertement soutenu par l’américain Elon Musk, gagne 5,5 millions de voix.

L’Alliance Sarah Wagenknecht se présentait pour la première fois à ces élections sous la bannière BSW. Elle rassemble 2,5 millions de suffrages et 4,97 % des voix, manquant de peu le seuil de 5 % requis pour entrer au Parlement. Selon l’agence ARD : « Pour Wagenknecht, l’une des causes de l’échec au seuil des 5 % est également la coopération avec d’autres partis au niveau des Länder. L’entrée dans des coalitions (en Thuringe et dans le Brandebourg) dans lesquelles il n’y avait pas de marge de manœuvre a coûté des voix ». Son vote de la résolution présentée par la CDU au Bundestag début février, et votée par l’AfD, visant à restreindre l’immigration, a joué un rôle déterminant.

Comme nous l’indiquions dans ce journal, le 6 février, citant une déclaration de syndicalistes allemands : « On ne peut pas lutter contre la guerre et voter en même temps pour la loi Merz soutenue par l’AfD. La décision du groupe parlementaire BSW au Bundestag a suscité beaucoup d’incompréhension et de protestations au sein de BSW et dans les cercles de soutien ». Ce vote historique du Parlement a contribué à normaliser l’extrême droite et suscité de vives mobilisations en Allemagne, rassemblant plus de 800 000 manifestants. Dénoncer l’immigration en lieu et place de la politique du capital – qui a besoin de main-d’œuvre étrangère et l’instrumentalise pour diviser la classe ouvrière – est non seulement une erreur, mais mène à l’impasse.

Bénéficiant, notamment dans la jeunesse, de ce rejet légitime de l’AfD, des partis établis et du vide politique, le parti Die Linke (La gauche), qui plafonnait à 3 % dans les sondages il y a quelques semaines et qui a participé aux gigantesques manifestations de Berlin et Munich, finit à 8,7 %. Il gagne 2 millions de voix.

Et maintenant ?

Le journal Der Spiegel annonce que le dirigeant de la CDU F. Merz, qui a immédiatement reçu les félicitations de B. Netanyahou, cherche à négocier avec les partis au pouvoir une nouvelle coalition, en particulier avec le SPD. Les milieux économiques ont affiché leur impatience dès dimanche : « L’économie allemande a besoin urgemment d’un gouvernement stable et fonctionnel, doté d’une majorité claire au centre démocratique », a réclamé Peter Leibinger, président de la fédération industrielle BDI.

Même son de cloche, plus surprenant, du côté de la présidente du puissant syndicat IG Metall, Christiane Benner : « Nous n’avons plus le temps. L’industrie et les travailleurs ne peuvent pas attendre des mois pour des perspectives claires ».

Plus étonnant encore, la députée et coprésidente du groupe parlementaire Die Linke Heidi Reichinnek a déclaré : « Nous sommes prêts à coopérer avec tous les partis démocratiques au Bundestag afin de garantir la stabilité politique en Allemagne »1L’ex-ministre-président de Thuringe et nouveau député Die Linke Bodo Ramelow envisage même une collaboration avec un gouvernement dirigé par Friedrich Merz (CDU), estimant que le groupe Die Linke au Bundestag est « tout aussi capable de faire des compromis que l’est mon groupe au Landtag de Thuringe », selon le Spiegel.. Un refrain déjà entendu en France et ailleurs.

« Les revendications ne sont pas en phase avec notre époque » (gouvernement)

Un militant allemand que nous avons interrogé explique : « Un gouvernement CDU/SPD sera extrêmement fragile. Il poursuivra et aggravera la politique du gouvernement actuel, ce qui conduira aux mêmes conséquences et préparera une coalition CDU/AfD s’il n’y a pas d’alternative de rupture. Il existe déjà un gouvernement de coalition CDU/SPD dans le land de Brandebourg à Berlin contre lequel 10 000 manifestants se sont regroupés samedi 22 février, veille de l’élection, pour protester contre les coupes budgétaires et les mesures d’austérité qui frappent les services sociaux, les bibliothèques, la culture, … Bien que les dirigeants syndicaux aient interdit toute banderole faisant un lien entre les dépenses d’armement et les coupes budgétaires dans les services publics, les travailleurs avaient amené quantité de banderoles pour faire ce lien. Face aux grèves et au conflit salarial dans le secteur public, le gouvernement répond que « les revendications ne sont pas en phase avec notre époque«  ».

En clair : il faut se sacrifier pour l’effort de guerre, pour résister à Trump ou se soumettre à lui selon les sensibilités, mais pour aboutir au même résultat. Une petite musique qui s’entend aujourd’hui à travers toute l’Europe, et que les gouvernements entendent bien utiliser pour tenter de vaincre, ou au moins neutraliser, les refus et les résistances des peuples qui se cherchent et ne cessent de s’exprimer, sous mille et une formes.

De ce côté du Rhin, Macron joue la même chanson. Selon France Inter, « jeudi 20 février, devant les forces politiques, il a cité l’exemple du Danemark, prêt à repousser l’âge de la retraite à 70 ans pour financer son effort de guerre ».

Trouvera-t-il les appuis pour y parvenir ? Constatons que le RN, les dirigeants du PS passé sous la coupe de Hollande et de leur ami Glucksmann, en soutenant ouvertement le gouvernement Macron/Bayrou et sa politique totalement anti-ouvrière et anti-immigrés, ont déjà répondu présents. Les ambiguïtés du PCF et des Verts laissent planer le doute.

Quant aux dirigeants syndicaux de plus en plus embourbés dans leur conclave, dont le but est maintenant connu et public de remettre en cause la volonté populaire, plus que jamais affirmée, de l’abrogation de la réforme des retraites, ils feraient mieux, eux aussi, de tirer les enseignements de ces élections allemandes. La peur, les compromissions, les renoncements, mèneront aux désastres. Pour eux et pour toute la société. Les travailleurs ne s’y résoudront pas.