Brésil : « Pour une Assemblée constituante souveraine »
« Tôt ou tard, il sera nécessaire que la rue s’empare de la lutte pour une Assemblée constituante souveraine » : Markus Sokol, dirigeant de Dialogue et action pétiste et membre du comité exécutif du Parti des travailleurs du Brésil, répond aux questions de nos camarades grecs pour leur journal Prin. Nous en publions des extraits.
- Brésil, International
Quelles sont les mesures que tu considères comme les plus urgentes pour satisfaire les besoins du peuple brésilien, en particulier après les réformes réactionnaires du gouvernement Bolsonaro ?
Markus Sokol : Justement, abroger ces contre-réformes, comme celle de la Sécurité sociale ou celle du Travail, qui ont réduit brutalement les droits. Cela aiderait à récupérer les salaires et les emplois en stimulant l’économie.
Il serait même nécessaire d’envisager rapidement le financement d’une politique de ré-industrialisation du pays avec la récupération des entreprises publiques et l’annulation des privatisations, ce qui dépend de l’investissement de l’Etat.
Un financement permanent devrait s’en prendre à l’imposition des bénéfices et des dividendes des banques et des grandes entreprises supprimée il y a des années – il y a là le culte de la réduction du « coût Brésil » pour attirer le capital spéculatif étranger, s’en prendre à l’imposition extrêmement faible des milliardaires au Brésil et au service de la dette interne qui absorbe 30 % du budget. Outre la centralisation du change et le contrôle des capitaux pour prévenir les attaques spéculatives, car la libéralisation des années 1990 a fait du Brésil un paradis fiscal, presque sans règles ni limites.
Nous sommes réalistes, pas même la moitié de tout cela n’est possible sans un affrontement social avec la majorité réactionnaire du Congrès élu.
Quelles sont les attentes à l’égard du gouvernement Lula-Alckmin, dans la mesure où sa base au Congrès est très faible ?
Je pars du premier jour de gouvernement : l’investiture. Le peuple s’est posé là en protagoniste lorsqu’au milieu du discours de Lula dans ce parloir à ciel ouvert, après qu’il ait dénoncé les méfaits du gouvernement sortant, les masses ont senti la nécessité – et cela a été spontané – de faire irruption et d’interrompre le discours, en criant « Pas d’amnistie ! Pas d’amnistie ! ». C’est-à-dire, non pas contre Lula, mais dans un état d’esprit différent de celui d’« oublier les divergences et de regarder vers l’avant » comme l’avait dit Lula peu auparavant. Il est vrai que Lula avait déjà parlé de punir les crimes selon la loi. Mais il est clair que cette irruption au moment culminant du discours du président élu est un message, et une maturation politique dans la relation avec le nouveau gouvernement.
Je dois ajouter que ce jour-là encore il a signé différents décrets positifs, comme le licenciement de plus de mille hauts fonctionnaires bolsonaristes, la suspension de quelques privatisations importantes (mais pas d’autres toutefois) et un délai d’un mois pour abroger les décrets de secret pour cent ans des actions des autorités de l’administration antérieure, qui vont dans le bon sens. Mais ce sont des mesures qui, en soi, ne dépendent pas d’un vote parlementaire.
Et, de fait, la coalition de centre-gauche qui a soutenu Lula dès le 1er tour ne disposera que de 130 députés à la Chambre des députés sur les 513 qui entreront en fonction le 1er février. Avec les accords passés au 2nd tour puis ensuite avec la droite, les chiffres, qui sont fluctuants, n’atteignent pas les 50 % nécessaires pour l’approbation des projets de loi, ni les 60 % pour les amendements constitutionnels de reconstruction – de type Sécurité sociale ou du Travail – ou pour l’imposition des millionnaires. Par conséquent, il devra négocier pratiquement tout ce qui est important.
Pour toutes ces raisons, nous pensons que tôt ou tard – et les luttes et le débat politique en donneront le tempo – il sera nécessaire que la rue s’empare de la lutte pour une Assemblée constituante souveraine.
Il reviendrait au gouvernement de prendre la tête de ce débat, formellement inscrit dans le dernier programme de congrès du PT, bien qu’il ne figure pas dans le plan de gouvernement de la coalition.
Alors, je crois que la vie va s’imposer par la voix de la rue, celle-là même qui a accueilli le gouvernement aux cris de « Pas d’amnistie ! Pas d’amnistie ! ».
Quelle est la situation du mouvement ouvrier au Brésil aujourd’hui ? Est-il possible que les syndicats contribuent à la mobilisation des forces populaires dans la prochaine période ?
Les syndicats ont, bien sûr, le plus grand intérêt à récupérer les droits mis en pièces au cours de la dernière période, par exemple, la précarisation des contrats, le travail intermittent, la réduction des garanties pour les femmes enceintes, etc. Un forum gouvernemental de discussion tripartite sur une nouvelle législation du Travail a été annoncé (à notre avis, elle devrait avoir pour base l’abrogation de la législation actuelle).
Le fait est que les syndicats de la CUT, et en général, ont une importance historique dans la formation du PT et du nouveau gouvernement. Cependant, ils ont souffert de la désertion de leurs structures à cause d’une certaine complaisance et d’un manque de mobilisation dans la période précédente, qui a permis de mettre certains d’entre eux sur la défensive, en particulier dans la période du « restez à la maison » au cours de la pandémie.
Une équation reste ouverte : celle de savoir comment les syndicats vont aider à la lutte – contenue dans la dernière période qui viendra d’en bas, alors que la défaite de Bolsonaro a ouvert les meilleures conditions pour la lutte.
Bien qu’un positionnement plus à gauche de l’Alliance Lula ait manqué, les partis et organisations de gauche, contrairement au passé, ont soutenu Lula dès le premier tour. Comment peux-tu expliquer cette attitude ?
Il est certain que le PSOL1Parti socialisme et liberté, parti issu d’une scission du PT., pour cette fois, a eu l’intelligence de soutenir le candidat du PT dès le 1er tour, bien qu’il y ait eu d’autres partis d’extrême gauche, y compris avec leurs propres candidats, qui ne l’ont fait qu’au 2nd tour. Heureusement, cela n’a pas eu d’incidence sur le résultat général, bien que dans les importants scrutins simultanés pour l’élection des gouverneurs – le Brésil est une fédération – le candidat du PCB2Parti communiste brésilien., au Rio Grande do Sul a pu se voir attribuer les quelques milliers de voix qui manquaient pour que le PT puisse aller au 2nd tour pour battre le vétuste PSDB3Parti de la social-démocratie brésilienne qui a soutenu Bolsonaro à l’élection présidentielle de novembre 2022. de la droite traditionnelle, qui a ainsi pu gagner sa survie comme alternative à l’extrême-droite bolsonariste – ce qu’il n’est pas.
Si nous avons appelé à voter pour les candidats du PT, c’est parce qu’il est le seul parti national qui représente la classe travailleuse, malgré tous les écueils qui ne sont pas rares.
Les insuffisances programmatiques sont criantes et nous, nous combattons pour un programme anti-impérialiste de rupture. Mais dans cette situation, le PT était le seul capable de vaincre Bolsonaro, mais pas seulement, il est le seul qui peut – qui peut, je le répète –, amalgamer la force sociale pour des changements plus profonds en conformant un programme dans la vie.