La Ve République, régime de l’arbitraire
Dans ce dossier établi par Henry Halphen, il est rappelé, s’il en est besoin, comment les institutions de la Ve République sont par essence anti-démocratiques et pensées contre les assauts de la lutte des classes.
- Tribune libre des courants, Ve République

Chaque semaine qui passe, et confronté à la pression de la masse qui cherche, par la lutte des classes, à gagner le retrait de la « réforme » des retraites, l’exécutif sort de sa besace des articles de la Constitution de la Ve République (47-1, 44.3, 49.3…), tous aussi antidémocratiques les uns que les autres, pour garantir le « bon cheminement » parlementaire du projet de loi jusqu’à son adoption « légale ». Pour des millions qui, il y a encore un mois, ignoraient totalement l’existence de ces possibilités juridiques, cet arsenal réglementaire « légal » apparaît de plus en plus comme « illégitime ».
Le 30 janvier dernier, déjà, l’ancien garde des Sceaux de François Hollande, Jean-Jacques Urvoas, accordait une interview au journal du capital financier L’Opinion dans laquelle il expliquait :
« la Constitution de 1958 n’a peut-être pas encore révélé tous ses secrets. Cette capacité à fournir des possibilités juridiques à un pouvoir déterminé politiquement mais fragile numériquement au Parlement est d’ailleurs l’un des fondements à la solidité du régime. Il ne faut pas s’en étonner, la Ve République a été conçue pour que l’exécutif ne perde jamais la main. (…) » (J.-J. Urvoas)
Chambre d’enregistrement
Le troisième alinéa de l’article 49, par exemple, autorise le gouvernement à « considérer comme adopté » un texte qu’il présente si une motion de censure n’est pas déposée dans les vingt quatre heures de sa mise en œuvre.
L’article 47-1 organise un temps contraint dans l’organisation de la discussion d’un projet de loi au Parlement (20 jours à l’Assemblée nationale, 15 jours au Sénat).
L’article 44.3 permet au gouvernement d’imposer au Parlement « un seul vote sur tout ou partie du texte de loi, en ne retenant que les seuls amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement ».
Au grand jour, le caractère antidémocratique apparaît aux yeux de millions de travailleurs : il s’agit d’un ensemble de procédures qui organisent le vote forcé (49.3), le vote bloqué (44.3), le vote contraint (47-1).
Le point commun de cet ensemble de procédures prévues par les institutions de la Ve République : soumettre le Parlement au pouvoir exécutif (le gouvernement) et en faire une chambre d’enregistrement de la volonté du Président-Bonaparte.
La Constitution est armée pour faire face à toute situation que la lutte des classes provoquerait
Par exemple, il y a l’article 38 qui permet au gouvernement de légiférer par ordonnance. C’est ni plus ni moins que le passage en force d’un gouvernement (pouvoir exécutif) qui décide de faire la loi à la place du Parlement (pouvoir législatif). Il s’agit de se substituer à l’Assemblée pour légiférer par ordonnance directement. Rappelons que de Gaulle a utilisé les ordonnances pour porter un coup majeur à la Sécurité sociale en 1967, ainsi que Mitterrand de 1981 à 1986 sur toute une série de questions (plus de 60 ordonnances).
Il y a aussi le fameux article 16 (« mesures exigées par les circonstances ») qui permet au Président-Bonaparte qui seul apprécie les circonstances en question, de s’arroger tous les pouvoirs avec cet article (pouvoir de dictature puisque le Président-Bonaparte fusionne alors les trois pouvoirs : exécutif, législatif et judicaire). Rappelons que Montesquieu avait fait de la séparation de ces trois pouvoirs un critère fondamental de la démocratie. Il faut rappeler que l’article 16 avait été prévu pour être appliqué en cas de grève « insurrectionnelle » (par Michel Debré, en 1958), en cas d’élection d’une Assemblée nationale hostile au président après une dissolution (par de Gaulle en 1966, de façon ambiguë) et, selon les termes mêmes de sa rédaction, « pour l’exécution des engagements internationaux », c’est-à-dire par exemple, aujourd’hui, pour contraindre une administration ou une juridiction nationale qui s’opposerait à la mise en œuvre de tel ou tel aspect des traités de l’Union européenne ou qui s’opposerait, par exemple, à l’engagement de la France dans l’Otan.
Le « pouvoir suprême » selon De Gaulle, depuis 1958
La Constitution de la Ve République attribue à son président des pouvoirs considérables et exorbitants, et concentre sur sa seule personne la direction d’un exécutif omnipotent, tête et pilier de l’Etat. Les ministres, y compris le premier d’entre eux, sont conçus pour être ses exécutants.
« Guide de la France et chef de l’Etat, j’exercerai le pouvoir suprême dans toute l’étendue qu’il compte désormais et selon l’esprit nouveau qui me l’a fait attribuer », dit de Gaulle dès son élection fin 1958.
Cet « esprit nouveau », c’est désigner les membres du gouvernement et mettre fin à leurs fonctions, se faire donner leur démission, présider leur conseil ; c’est pouvoir dissoudre l’Assemblée nationale (pouvoir exiger d’elle aussi de nouvelles délibérations si certaines ne lui conviennent pas) ; c’est décider directement dans le domaine de la loi, en faisant appel au référendum ou en se substituant à l’Assemblée pour légiférer par ordonnances directes ; c’est pouvoir s’arroger les pouvoirs les plus arbitraires en fonction de l’article 16.
En finir avec ces institutions antidémocratiques
La capacité de décider sur des branches entières et essentielles de la vie publique est donc ainsi ôtée aux députés du pays. Le gouvernement fixe l’ordre du jour des Assemblées, donc en est maître de fait, dispose de l’initiative conjointe des lois, ce qui a abouti dans la pratique à ce que la quasi-totalité des lois adoptées le soient sur projet gouvernemental et non sur « proposition » parlementaire.
Il n’y a pas de tâches plus urgentes que d’en finir avec ces institutions réactionnaires et antidémocratiques de la Ve République.
