Soudan : guerre civile sur fond de convoitise des grandes puissances

Pour répondre à l’interrogation relative au conflit qui s'est déclenché le 15 avril 2023, plongeons dans l'histoire récente des années 2000 au Soudan, plus spécifiquement dans la région de Darfour à l'ouest.

Lors des affrontements du 15 avril à Khartoum (Photo AFP).
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Publié le 24 décembre 2023
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Nous publions la contribution d’un militant du Tchad

« Des tensions perduraient depuis longtemps à l’ouest entre les communautés résidant généralement dans cette zone, en raison principalement du manque d’eau, du pâturage, et surtout de l’expansion territoriale pour l’appropriation de terres fertiles. Ces conflits ont pris de l’ampleur avec les changements climatiques et l’accroissement démographique observé dans la région.

Le gouvernement de Khartoum n’a jamais pris l’initiative de trouver une résolution à ces conflits meurtriers, les laissant bien souvent entre les mains des autorités traditionnelles, aboutissant le plus souvent à des trêves de courte durée.

Cependant, suite à la découverte des ressources naturelles, en particulier pétrolières, dans la région, suscitant la convoitise des grandes puissances, ces conflits intercommunautaires ont pris une tournure différente.

Ils ont temporairement laissé place aux revendications d’une grande partie de la population de Darfour, se transformant rapidement en une opposition au gouvernement de Khartoum. Ce dernier, redoutant une adhésion massive au Front de libération du Darfour, le principal groupe rebelle de la région, et cherchant à entraver toute dynamique d’unité entre les communautés, a déployé les services de renseignements pour raviver d’anciennes blessures ethniques, soutenant ainsi certains groupes contre d’autres.

Cette manipulation a transformé cette force revendicatrice en une guerre civile effroyable, donnant naissance à des groupes armés tels que le Djandjaouïd et le Toroboro, qui ont commis d’atroces crimes dans l’ouest du Soudan.

Ces conflits persistent et gangrènent l’ensemble de la société, débouchant sur la révolution soudanaise du 15 avril 2019, mettant fin au règne d’Omar El-Béchir après vingt-neuf ans au pouvoir.

Cette révolution soudanaise a engendré trois figures principales, deux militaires et un civil

Tout d’abord, le général Abdel Fattah Al-Burhan, président du Conseil de souveraineté de transition et chef de l’armée soudanaise. Ensuite, le général Mohamed Hamdan Dogolo, surnommé Hemetti, vice-président de la transition et chef des Forces de soutien rapide (FSR), et enfin, le civil M. Abdallah Hamdok, Premier ministre de la transition.

Une fois que les tensions dans les rues se sont apaisées et que la population est retournée à ses activités quotidiennes, les deux généraux ont orchestré un coup d’État contre le Premier ministre civil. Bien que ce dernier ait été réintégré dans ses fonctions après quelques mois sous la pression de la communauté internationale contre les militaires, mais il a finalement démissionné officiellement le 2 janvier 2022, laissant ainsi l’ensemble du Soudan entre les mains des militaires.

Pendant cette période, deux mouvements politiques se sont affrontés idéologiquement dans la capitale soudanaise

D’une part, la Coalition des Forces de la liberté et du changement, qui était à l’avant-garde de la révolution et composée des syndicats des travailleurs soudanais, des associations de la société et des partis politiques. Cette coalition exigeait le retour à l’ordre constitutionnel et une véritable démocratie prenant en compte toutes les propositions de la révolution, favorable à l’ouverture de nouveaux droits.

D’autre part, le Congrès national, le parti politique de l’ancien président Omar El-Béchir, fondé en 1998 par d’anciens membres du Front islamique national proches de la confrérie des Frères Musulmans.

La démission du Premier ministre a conduit chacun de ces deux mouvements politiques antagonistes à se rapprocher des militaires pour devenir la force politique dominante du pays. Ainsi, le Congrès national s’est rapproché du général Al-Burhan, qui faisait partie de ses rangs avant la révolution, tandis que la Coalition des forces de la liberté et du changement s’est tournée vers le général Hemetti, non politisé par l’ancien système et plus enclin à accepter les nouvelles perspectives de la coalition.

Cependant, une divergence s’est progressivement creusée entre les deux généraux, à la fois sur le plan national et international

Le Soudan n’a pas échappé à l’influence des pays du Moyen-Orient et de l’Occident, comme c’est le cas pour les pays de la Corne de l’Afrique. En effet, la Turquie et le Qatar, par idéologie et par nécessité militaire, sont devenus des soutiens du général Al-Burhan, tandis que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, connaissant bien le général Hemetti pour son rôle dans la guerre au Yémen et pour l’opportunité stratégique que représente le Soudan dans le commerce maritime, sont devenus les alliés du vice-président de la transition.

Tous les éléments étaient presque réunis pour qu’un conflit éclate entre les deux généraux. Ainsi, le président de la transition a décidé de placer les Forces de soutien rapide du général Hemetti sous le commandement de l’armée soudanaise.

Hemetti, de son côté, a demandé un délai de cinq ans pour que son armée soit placée sous la tutelle de l’armée soudanaise, tandis que les Forces de la liberté et du changement ont exigé que cette initiative se réalise sous un gouvernement civil élu démocratiquement, craignant le maintien du général Al-Burhan au pouvoir. Ce dernier a rejeté la demande d’Hemetti et celle de la coalition, souhaitant conclure cette initiative d’ici fin 2023.

Confrontée à cette conjoncture, la méfiance entre les deux généraux s’accroît, chaque protagoniste nourrissant des soupçons quant à un renversement imminent.

Ainsi, le samedi 15 avril 2023, un conflit armé éclate entre les forces armées soudanaises, loyales au général Al-Burhan, et la Force de soutien rapide, fidèle au général Hemetti.

Il convient également de noter la conclusion d’un accord entre l’ancien président El-Béchir et le président russe Vladimir Poutine. Cet accord stipule que Moscou se verrait accorder un bail de 25 ans pour ériger une base navale, ayant la capacité d’accueillir 300 hommes et quatre navires de guerre, à Port-Soudan, l’une des côtes les plus stratégiques de la mer Rouge. De manière indirecte, cet accord a contribué à accroître les tensions au Soudan et continue de susciter l’intérêt des puissances militaires occidentales, qui rejettent toute proximité militaire de la Russie dans les pays de la Corne de l’Afrique. »