États-Unis : La campagne « le mouvement ouvrier pour un embargo sur les armes »

La parole à Abdullah et Griffin, militants de DSA (de Los Angeles et de Washington), membres de la campagne Labor for an Arms Embargo (le mouvement ouvrier pour un embargo sur les armes). Abdullah a été élu par la convention au comité politique national de DSA.

(Photo Omar Al-Qattaa/AFP).
Par la rédaction d’IO
Publié le 23 août 2025
Temps de lecture : 6 minutes

De nombreux militants ouvriers étaient présents au congrès de Democratic Socialists of America (DSA) du 6 au 8 août à Chicago, comme délégués de leur comité DSA, ou comme invités. Nous reproduisons l’interview réalisée à cette occasion de deux militants de la campagne pour l’embargo sur les armes.

Peux-tu nous expliquer ce qu’est Labor for an Arms Embargo et comment cela fonctionne ?

Abdullah : Nous essayons d’organiser un mouvement à l’intérieur du mouvement syndical, en tirant parti du pouvoir des travailleurs organisés pour exiger un embargo sur les armes. On a vu que, ces deux dernières années, le génocide à Gaza s’est poursuivi – et ce malgré le soutien populaire, aux États-Unis, en faveur d’un embargo sur les armes.

Mais aujourd’hui, nous n’avons pas encore le pouvoir de transformer ce sentiment populaire contre le génocide et en faveur de l’embargo en un véritable embargo sur les armes. Et donc, nous savons que le pouvoir pour gagner cela réside dans le pouvoir des travailleurs organisés.

Les travailleurs organisés peuvent exercer leur pouvoir de nombreuses façons. Et notre campagne cherche à utiliser ce pouvoir de manière spécifique pour bloquer le transit d’armes par les aéroports et les ports maritimes.

Nous menons des campagnes coordonnées à l’échelle nationale, ciblant localement des aéroports et ports spécifiques dont nous savons qu’ils servent au transport d’armes. Nous faisons cela en collaboration avec le Mouvement de la jeunesse palestinienne dans le cadre de sa campagne Mask Off Maersk1Démasquer Maersk, l’un des principaux armateurs mondiaux., et avec l’Internationale progressiste dans le cadre de sa campagne No Harbor for Genocide2Pas de port pour le génocide..

Avez-vous réussi à rallier des syndicats à votre campagne ?

A. : Oui, on travaille à en mobiliser de plus en plus. Actuellement, beaucoup de syndicats d’enseignants et de l’enseignement supérieur commencent à nous rejoindre. Nous vivons en ce moment une période de solidarité syndicale sans précédent.

À l’été 2024, sept grands syndicats ont adopté ensemble une résolution en faveur d’un embargo sur les armes – au niveau des fédérations internationales. C’était inédit.

Il y a donc beaucoup de dirigeants syndicaux qui nous soutiennent. Et l’un des objectifs de notre campagne, c’est de traduire ce soutien de la direction vers la base, vers les adhérents. Parce qu’on sait que ce n’est pas suffisant de voter une résolution.

Il faut organiser des super-majorités parmi les membres de ces syndicats pour qu’ils puissent vraiment se battre pour un embargo sur les armes.

Tu parlais de cibler les aéroports et ports utilisés pour envoyer des armes. Comment les identifiez-vous ?

A. : Grâce à d’excellentes recherches menées avec le Mouvement de la jeunesse palestinienne et l’Internationale progressiste, nous avons
pu cartographier la manière dont certaines entreprises d’armement ou de transport maritime déplacent des armes, notamment tout au long de la côte Est et du Golfe par voie maritime.

Par avion, on a identifié plusieurs aéroports à travers le pays utilisés régulièrement. En ce moment, il y a par exemple une campagne menée par DSA New York qui s’appelle Break the Chain, et qui cible l’aéroport JFK.

C’est un aéroport civil, mais des armes y transitent très régulièrement, y compris un envoi que nous avons suivi, contenant 13 tonnes de nitrocellulose, une matière hautement explosive.

Donc, on a réussi à cartographier comment ces ports et aéroports sont utilisés, et on essaie de parler aux travailleurs et aux habitants des environs, pour leur dire : « Vous ne savez probablement même pas que votre port ou votre aéroport est utilisé pour faciliter un génocide. Et non seulement cela facilite des crimes de guerre, mais c’est aussi dangereux pour vous, pour votre santé. Donc si vous ne l’acceptez pas, organisez-vous et rejoignez notre campagne. »

On a vu qu’en Europe, ce type d’action exige beaucoup de coordination. Parce que quand les travailleurs d’un port refusent de charger les armes, les patrons se tournent vers un autre. Comment gérez-vous cette situation ?

A. : Très bonne question. Une partie essentielle de notre travail, c’est de construire cette campagne à l’échelle nationale, pour que cela ne repose pas uniquement sur les travailleurs d’un port ou d’un aéroport. Et un autre aspect important de notre campagne, c’est de ne pas se reposer uniquement sur l’action industrielle.

On sait qu’aux États-Unis, en raison notamment du droit du travail, il est très difficile pour les syndicats de mener des grèves sauvages ou de refuser de charger des armes. C’est légalement risqué pour eux.

Donc notre campagne ne vise pas seulement les travailleurs des ports ou des aéroports, mais aussi les enseignants, les infirmiers, tous les travailleurs qui vivent dans ou autour des villes portuaires.

Et on leur dit : « Vous pouvez aussi utiliser votre pouvoir de travailleur : votre capacité à dépenser votre argent, à parler à vos élus, à soutenir des candidats… »

On veut mobiliser tout le pouvoir lié au fait d’être un travailleur organisé pour lutter pour cet embargo sur les armes. Et donc, pour répondre à la question : notre stratégie, c’est de coordonner plusieurs villes portuaires, pour rendre difficile, coûteux et inefficace le fait pour les entreprises de transport de simplement changer de port.

Concernant la campagne Labor for an Arms Embargo, envoyer des armes à Israël constitue un crime mondial, avec de nombreux bateaux impliqués à travers le monde. Comment voyez-vous et gérez-vous cette situation à l’échelle internationale ?

Griffin : Je pense que beaucoup d’organisateurs impliqués dans la solidarité avec la Palestine, depuis maintenant deux ans – depuis que le génocide a commencé – ont beaucoup réfléchi à quelles tactiques adopter pour changer la politique de notre gouvernement. Ce n’est pas évident.

L’une des réflexions à la base de la campagne Labor for an Arms Embargo, c’est que le génocide est rendu possible parce que les États-Unis fournissent des armes à Israël : du matériel militaire, des pièces pour les véhicules, des bombes, des fusils, des balles…

Les responsables israéliens le disent eux-mêmes : « Nous ne pourrions pas continuer notre guerre contre le peuple palestinien à Gaza et en Cisjordanie sans le soutien des États-Unis. »

Et les politiciens américains disent des choses similaires. Et nous devrions les prendre au mot : cela reflète bien la nature fondamentale de la relation entre les États-Unis et Israël aujourd’hui. Ce n’est pas seulement le soutien diplomatique des États-Unis sur la scène internationale qui permet à Israël de continuer son génocide.

Le facteur fondamental, sur lequel nous pensons pouvoir agir par l’organisation politique, c’est le flux d’armes lui-même.

C’est pour cela que nous avons lancé la campagne Labor for an Arms Embargo, pour organiser les gens le long de la chaîne logistique militaire, afin de pouvoir imposer une politique étrangère pacifique, comme le souhaite la majorité de la population du pays.

Quelle sera votre prochaine action dans la campagne ?

G. : Jusqu’ici, nous avons surtout axé notre campagne sur la formation : comment parler avec ses collègues de questions politiques, car ces deux dernières années, on a vu des manifestations de masse, des millions de personnes dans la rue, des occupations, des campements universitaires, des actes de sabotage ou de vandalisme, des groupes d’activistes bloquant des ports, des sit-in dans les bureaux d’élus… mais aucune de ces actions n’a changé la politique de notre gouvernement. La question clé, c’est : combien de bombes envoie-t-on à Israël ? C’est ça qui leur permet de poursuivre le génocide.

Donc notre stratégie, c’est d’apprendre aux gens à parler à leurs collègues : « On peut faire quelque chose, mais seulement si on bâtit un mouvement collectif, et qu’on ne s’appuie pas uniquement sur des tactiques individuelles. »

On essaie donc de montrer comment aborder la personne assise à côté de vous au travail. Je pense que beaucoup de gens – qu’ils aient été militants ou non auparavant – ressentent une forme de solitude morale. Ils voient tous les jours sur leur téléphone ou à la télévision des enfants affamés et tués, des mères abattues, des hommes raflés à Gaza…

Et cela peut faire croire qu’on est seul à s’en soucier. Mais ce n’est pas vrai. Nous savons que la majorité des Américains soutiennent un embargo sur les armes. Et donc, notre campagne est un outil pour atteindre ces personnes, partout dans le pays, et leur apprendre à parler avec leurs collègues.

C’est la première étape pour construire une coalition de syndicats, dans une ville donnée, qui pourra ensuite réfléchir à quel est le bon objectif à viser, quelle action collective mener pour obtenir un embargo.

Et cela avec l’implication non seulement des militants, mais aussi des voisins, amis, familles, collègues – toutes les personnes qui partagent notre ressenti.

 

« Appel ouvert aux travailleurs de Paris pour se coordonner avec nous, ici aux États-Unis »

« Les avions de FedEx transportent ces pièces détachées de F-35 depuis Memphis, dans le Tennessee, jusqu’en Israël. Et souvent, ils font escale à Paris avant de poursuivre leur route vers Israël. »

Les explications d’Abdullah sur cette initiative : « L’un des moyens les plus horribles par lesquels les États-Unis soutiennent la  capacité d’Israël à mener le génocide, c’est en envoyant un approvisionnement constant en pièces détachées pour sa flotte de F-35.

C’est cette flotte qui largue des bombes de 500, 1 000 et 2 000 livres sur Gaza. Et le taux de disponibilité opérationnelle de la flotte israélienne est de 91 %. Elle peut maintenir ce taux grâce à l’approvisionnement régulier en pièces détachées fourni par les États-Unis.

L’une des entreprises qui facilite cela, c’est FedEx. Les avions de FedEx transportent ces pièces détachées de F-35 depuis Memphis, dans le Tennessee, jusqu’en Israël. Et souvent, ils font escale à Paris avant de poursuivre leur route vers Israël.

C’est donc un appel ouvert aux travailleurs de Paris pour se coordonner avec nous, ici aux États-Unis, car nous voulons construire une campagne transfrontalière, une campagne qui s’organise de Memphis à Paris pour perturber l’acheminement de ces pièces de F-35.

Même une légère perturbation dans l’approvisionnement en pièces détachées suffirait à ralentir fortement la capacité d’Israël à poursuivre ses bombardements.

Merci. Solidarité. »

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