Bastien Lachaud (LFI) : pour la réhabilitation des « fusillés pour l’exemple », il faut un vote conforme du Sénat

Ce 2 février, le Sénat examine en séance la proposition de loi pour la réhabilitation des « fusillés pour l’exemple » de la Première guerre mondiale, adoptée l'an dernier en première lecture par l’Assemblée. Bastien Lachaud, député LFI-Nupes de Seine-Saint Denis, y consacre un argumentaire détaillé dans une note de blog, que nous reproduisons.

Le député LFI Bastein Lachaud, à l'Assemblée, le 22 novembre 2022 (photo Thomas Samson / AFP)
Par > Verbatim
Publié le 2 février 2023
Temps de lecture : 13 minutes

Demain, le Sénat examinera la proposition de loi pour la réhabilitation des « fusillés pour l’exemple » de la Première guerre mondiale, qui a été adoptée par l’Assemblée nationale le 13 janvier 2022.

C’est une occasion historique de refermer cette blessure toujours douloureuse dans notre mémoire collective, en prononçant la réhabilitation de ces soldats.

Je remercie le groupe Ecologiste – Solidarité et Territoires, d’avoir mis ce texte à l’ordre du jour, et tout particulièrement son président Guillaume Gontard, qui en est le rapporteur au Sénat.

J’ai lu avec attention les débats qui ont eu lieu en commission au Sénat, et en tant qu’auteur de cette proposition de loi, et rapporteur à l’Assemblée nationale, je voudrais revenir sur quelques faits.

Des faux arguments contre la réhabilitation en commission au Sénat

Non, tout ceux qui auraient mérité d’être réhabilité ne l’ont pas été

Contrairement à ce qui a pu être laissé entendre pendant l’examen en commission du Sénat, les réhabilitations de l’entre-deux-guerre n’ont pas pu achever le cycle des réhabilitations qui auraient été légitimes.

Parmi ces fusillés, seule une quarantaine a pu être réhabilitée dans l’entre-deux-guerres.

Les fusillés étaient des poilus ordinaires, souvent d’origine modeste, leurs familles avaient rarement les ressources pour engager en procès en révision, déjà accablés par la situation et l’absence de pension pour les veuves des fusillés.

De nombreux cas n’ont pu être saisis, faute de moyens pour payer un avocat, faute de connaissance des procédures, faute de pouvoir trouver un élément juridique nouveau permettant de rouvrir les procès.

Plus d’un siècle après les faits, cette mémoire reste vive dans la communauté nationale, car de nombreux descendants de fusillés portent encore le combat de la réhabilitation de leur aïeul. De nombreux fils et filles de fusillés se souviennent d’une enfance marquée par l’opprobre et le déshonneur qui s’est soudainement abattu sur leur famille, en plus de la douleur et du deuil.

La plupart des familles n’ont pu, à l’époque, engager de procédure de réhabilitation. Pour certaines, elles ne savaient tout bonnement pas ce qui était arrivé à leur proche, la seule information qui leur avait été transmise a pu être que leur proche fusillé aurait été « un lâche » sans autre précision. Ainsi, un père écrit en 1938 au ministre de la guerre pour demander la réhabilitation de son fils, et ignore encore totalement pourquoi son fils a été fusillé :

« Monsieur le ministre, j’ai l’honneur de solliciter de votre haute bienveillance la réhabilitation de mon fils, G… Auguste né à Paris le 29 mars 1896. Engagé pour la durée de la guerre le 25 août 1914 ; recrutement de la Seine n° matricule 274.

Mon fils a été fusillé le 7 avril 1916 à Brebotte (territoire de Belfort).

Il appartenait à cette date au 11ème régiment de Hussards.

Je n’ai jamais connu le motif de sa condamnation, j’ignore s’il y a eu un jugement.

C’est dans ces conditions que j’implore de votre bienveillance la réhabilitation de celui qui volontairement avait offert ses services à la patrie. »

Il reste 639 personnes, dont la liste a été établie par les Services historiques de la Défense, qui ont été « fusillés pour l’exemple », et qui n’ont pas encore pu être réhabilités.Cette liste exclut les personnes qui ont été condamnées pour des faits d’espionnage ou condamnés pour des faits de droit commun (meurtre, pillage par exemple), et ne sont pas concernés par cette proposition de loi.

Non, la proposition de réhabilitation ne réécrit par l’histoire, elle en prend acte

Il a été exposé que le Parlement n’a pas à réécrire l’histoire, et que celle-ci est écrite par les historiens. Cela est vrai, mais ce n’est pas ce que fait la proposition de loi. Au contraire, elle s’appuie sur les travaux des historiens, qui ont établi une liste, qui n’est pas contestée, de personnes qui ont été fusillées « pour l’exemple ». Elle ne réécrit rien, elle prend acte de l’histoire, et reconnaît le travail des historiens.

Non, la plupart des « fusillés pour l’exemple » n’était pas des déserteurs

J’ai lu aussi que certains sénateurs penseraient que la plupart des condamnés seraient des déserteurs. Cela est faux. Les fusillés ont été condamnés principalement pour trois motifs : abandon de poste, refus d’obéissance, et mutilation volontaire en présence de l’ennemi. Cette notion de « présence de l’ennemi » est essentielle dans ce qui a déterminé les condamnations à mort devant les conseils de guerre. Les risques encourus à la désertion pure et simple étaient bien moindres, que pour ces motifs. Les fusillés n’ont pas été accusés de « désertion », il est donc faux de prétendre qu’ils seraient des déserteurs.

Plus encore, de nombreuses personnes ont été fusillées alors que la « présence de l’ennemi » était discutable, comme le soldat Hofft, qui refuse de continuer si on ne lui change pas ses souliers, car les siens prennent l’eau. Il n’était pas engagé en première ligne, il a été condamné pour refus d’obéissance en présence de l’ennemi, et n’a jamais été réhabilité. Aucune volonté de déserter, mais selon ses mots : « Je veux qu’on me donne des souliers, les miens prennent l’eau ; depuis 5 mois que je suis en campagne, j’ai bien le droit à une paire de souliers. »

Fusillé, donc, pour de simples souliers, son histoire ressemble à celle du soldat qui, ayant refusé de porter le pantalon d’un mort, a été fusillé. Lui a pu être réhabilité.

Non, la proposition de réhabilitation ne remet pas en cause l’état-major de l’époque, ni les « autorités politiques »

J’ai lu que des sénateurs craignaient de remettre en cause l’état-major de l’époque, ou les autorités politiques. Mais ce n’est pas ce que fait la proposition de loi.

D’abord, « l’état-major » n’était pas unanime sur les fusillés, pas plus que les généraux. Dans certaines compagnies, les officiers supérieurs ont refusé les condamnations pour l’exemple, alors que pour les mêmes faits, certains ont été fusillés. Ce état de fait renforce l’arbitraire des condamnations, et montre qu’il ne s’agit pas là de justice équitable, mais de pure volonté de faire des exemples.

L’exemple des quatre soldats de Roucy, qui ont été fusillés, le montre bien : ils n’étaient pas plus coupables que leurs camarades, et le général Grossetti, qui était absent au moment des faits, a trouvé ces condamnations injustes et a limogé les officiers qui avaient ordonné les exécutions. Ils n’ont jamais été réhabilités.

Les « autorités politiques » ne sont pas davantage unanimes. Une loi est votée en 1916, pendant la guerre, pour mettre fin aux « crimes des conseils de guerre ».

Non, les « fusillés pour l’exemple » n’ont pas eu le droit à un procès digne de ce nom

La défense n’a pas pu être assurée, du fait de la création des conseils de guerre spéciaux décidée en 1914. L’examen des dossiers montre qu’il n’y a pas, ou très peu, d’éléments à décharge, l’instruction était menée uniquement à charge.

Les soldats traduits en conseil de guerre spécial n’ont pas eu le droit, la plupart du temps, à une défense par un avocat professionnel. Ils étaient eux-mêmes souvent d’issue sociale modeste, et ne connaissaient pas le droit.

Comme le note l’historien M. Éric Viot, « ces hommes pouvaient être défendus par un autre soldat, un sous-officier ou un officier, inutile de préciser que les avocats parmi ces hommes ne représentaient pas une majorité. Des traces d’études de droit pouvaient être suffisantes pour se retrouver avec cette charge énorme qu’était la défense d’un camarade devant un conseil de guerre. Cette défense pouvait aussi être assurée par des hommes n’ayant aucune connaissance du droit. »

Les défenseurs n’ont parfois pas même pas eu accès aux pièces du dossier : « Parfois, les dossiers ne furent pas communiqués au défenseur qui se contentait de prendre place devant le conseil de guerre et d’assister simplement aux interrogatoires des accusés. »

Un soldat pouvait être désigné pour défendre un camarade le lendemain matin à 8 heures… mais il devait rester toute la nuit à son poste et ne descendre qu’au moment d’entrer au conseil, et n’avait aucun temps pour préparer le procès.

Un commis greffier témoigne ainsi en 1924 de la pratique des conseils de guerre spéciaux : « Bien entendu, aucun interrogatoire des accusés, aucune espèce d’instruction n’avaient eu lieu préalablement à l’audience (je me trompe peut-être, l’interrogatoire en tout cas, s’il avait eu lieu avait été fort sommaire). »

De nombreux soldats ont été condamnés pour « présomption » de mutilation volontaire, mais il a été établi qu’il était impossible d’assurer avec certitude qu’une blessure serait bien volontaire. Le docteur Charles Paul a remis en cause en 1925 le lien établi dans de nombreux rapports médicaux durant la Guerre entre la présence de poudres incrustée dans l’épiderme, d’une part, et la présomption de mutilations volontaires, d’autre part. Or, c’est bien souvent sur la base de la seule présence de ces traces de poudres que nombre de soldats ont été condamnés et fusillés pour mutilations volontaires.

La qualification de mutilation volontaire est ainsi particulièrement épineuse, comme l’illustre l’histoire de François-Marie Laurent. Ce soldat du 247régiment d’infanterie, ne parlant que breton, n’avait pas pu expliquer la blessure qu’il avait reçue à la main gauche. Accusé de mutilation volontaire, il fut condamné et exécuté le 19 octobre 1914. La contre-expertise menée en 1933 conclut à l’absence de preuve du caractère volontaire des mutilations. Le soldat Laurent fut réhabilité en 1933. Mais l’ensemble des soldats qui a été condamné sur la seule présomption de mutilation volontaire n’a pas été réhabilité. Pourtant, les traces de poudre sur la peau pouvaient provenir de nombreuses autres causes qu’une mutilation volontaire, y compris une blessure infligée par l’ennemi.

Dans ce cas, comme pour de nombreux autres, le doute n’a pas profité à l’accusé, mais a conduit à sa condamnation, au mépris des règles élémentaires de la justice d’un état de droit.

Non, la proposition de loi de réhabilitation n’est pas un anachronisme

Il m’a été reproché lors des débats à l’Assemblée nationale, et de même au Sénat, de proposer une loi anachronique, qui reviendrait sur des faits datant de plus d’un siècle avec le prisme de notre époque.

Cela est faux. Les contemporains eux-mêmes étaient choqués par le fait de fusiller des soldats pour l’exemple. Preuve en est, la loi votée en 1916, qui va rétablir nombre des droits de la défense, et faire baisser considérablement le nombre des fusillés.

Il faut lire les cahiers de poilus pour voir ce qu’ils pensaient de leurs camarades qui ont été fusillés. De nombreux soldats, qui ont été contraints à faire partie du peloton d’exécution, ont été marqué toute leur vie par ce qu’ils ont fait, comme l’a justement relevé le sénateur Olivier Cadic.

Les poilus ne considéraient pas les fusillés comme des lâches. Ils portaient ce jugement sur les « embusqués », ceux qui ne sont pas partis à la guerre et n’ont pas partagé leur sort. Les poilus savent que les défaillances ont été précédées d’actes d’héroïsme, et savent qu’eux-mêmes auraient pu défaillir si la relève n’était pas arrivée à tel moment.

Le brancardier-musicien Leleu, du 102e régiment d’infanterie semble résumer assez bien l’opinion des anciens combattants de l’époque, lorsqu’il écrit : « Je me suis laissé dire qu’après la guerre, des fusillés avaient été considérés comme “Morts pour la France”, ce qui serait une sorte de réhabilitation. Je ne sais si cela est exact, mais, quant à moi, je crois sincèrement que beaucoup de ces malheureux sont effectivement morts pour le pays, car c’est la France qui les a appelés, et c’est pour elle qu’ils se sont battus, qu’ils ont souffert là où les menait leur tragique destinée et ce n’est pas un moment de défaillance physique ou morale qui peut effacer leur sacrifice. J’ose m’incliner devant leur mémoire. Jugera qui voudra, à condition qu’il soit passé par là ».

Pour la réhabilitation des fusillés pour l’exemple, il faut un vote « conforme » au texte de l’Assemblée nationale

Un vote conforme permettrait la réhabilitation des « fusillés pour l’exemple »

Si le Sénat vote le même texte que l’Assemblée nationale, ce qu’en jargon parlementaire on appelle un « vote conforme », alors le texte est adopté par le Parlement, et la navette parlementaire s’arrête, puisque les deux chambres sont d’accord.

Si un amendement est adopté par le Sénat, alors le texte doit revenir à l’Assemblée nationale pour une nouvelle lecture. Si le texte est cette fois-ci adopté conforme, alors le texte est adopté, mais si l’Assemblée adopte un amendement, alors cela nécessite une nouvelle lecture au Sénat.

Aussi, si le texte n’était pas adopté conforme, cela repousserait encore l’hypothèse d’une réhabilitation à plus tard.

L’amendement Gattolin-Patriat vide le texte d’une bonne partie de son sens

Un seul amendement a été déposé au texte qui sera examiné le 2 février, par MM. Gattolin et Patriat (membre et président du groupe RDPI, auparavant appelé LREM). Il supprime de nombreuses dispositions de la proposition de loi, et je n’y suis pas favorable, ni sur le fond, ni sur le fait que son adoption imposerait une nouvelle lecture à l’Assemblée nationale.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a d’ailleurs donné un avis défavorable à cet amendement.

L’argumentation proposée pour le défendre dans l’exposé des motifs laisse pantois.

Oui, les lois d’amnistie peuvent concerner un groupe de personnes, et ne nécessitent pas la révision de chaque procédure individuelle

L’amendement décrète, sans argumenter, que la réhabilitation devrait nécessairement être une décision individuelle. Or cela est rigoureusement impossible s’agissant des fusillés pour l’exemple ! Pour 25% des cas, les dossiers ont été perdus lors de la 2e guerre mondiale. Les sénateurs macronistes envisagent-ils de rouvrir des procès, plus de 100 ans après les faits ? Comment ? avec quels témoins ? ils sont tous décédés ! – avec quels éléments matériels ? – tout a disparu, tout a changé ! – Ce qui était possible dans l’entre-deux-guerre, ne l’est plus aujourd’hui.

La réhabilitation doit nécessairement passer par la loi, et par une réhabilitation collective. Et s’ils le refusent, c’est qu’ils veulent, en fait, ne pas dire clairement qu’ils souhaitent que les « fusillés pour l’exemple » ne soient jamais réhabilités, mais n’osent pas l’assumer.

Pourtant, des réhabilitations collectives ont déjà été prononcées. Cette proposition de loi pourrait être regardée comme une loi d’amnistie à titre posthume, au même titre que de nombreuses autres lois d’amnistie qui ont déjà été votées par le passé. Cette amnistie ne lèse, bien entendu, aucun tiers, et est une mesure qui relève du symbole. Et il ne peut en être autrement, pour des personnes qui sont décédées depuis plus d’un siècle. Le texte précise d’ailleurs bien qu’il s’agit d’une réhabilitation morale et civique.

L’amendement affirme sans aucun argument que la réhabilitation globale serait « politiquement inadaptée et juridiquement dangereuse ». Le groupe macroniste craint-il que la réhabilitation de fusillés pour l’exemple ne fasse un précédent ? La peine de mort a été, fort heureusement, abolie dans notre pays. Nous espérons bien ne pas avoir à craindre de revivre à nouveau dans notre pays des condamnations à mort pour l’exemple suite à des procès expéditifs où l’ensemble des droits de la défense seraient suspendus.

Oui, les condamnations à mort des « fusillés pour l’exemple » sont injustes et contraire à l’état de droit

L’amendement fait mine de concéder que les condamnations « nous paraissent aujourd’hui injustes ». Mais le propos introduit une modalisation du caractère injuste des condamnations, qui n’est pas acceptable. Ces condamnations sont injustes, ce n’est pas qu’une apparence, et ce n’est pas une apparence propre à un observateur du XXIe siècle. C’est un état de fait indiscutable du point de vue d’un état de droit comme la France, aujourd’hui comme alors.

Les conseils de guerre spéciaux ne peuvent en aucun cas être qualifiés de « justes » vu que l’ensemble des garanties de l’état de droit ont été refusées aux accusés. Le doute ne leur a pas bénéficié, mais a, au contraire, précipité les exécutions. L’ensemble des « fusillés pour l’exemple », indépendamment des différences de contexte et de faits qui leur ont été reproché, a été victime d’un véritable déni de justice.

Parler d’un « allégement des procédures défavorables au droit de la défense » pour décrire ce qui s’est passé dans les conseils de guerre relève d’un euphémisme douteux. Il ne s’agit pas d’un allègement des procédures, mais d’une suspension de toute possibilité de défense.

Une telle formulation relève d’une injure à l’idée que n’importe quel républicain se fait d’un procès équitable ! Comment peut-on même parler de droit de la défense, quand il n’y a pas de défendeur professionnel, pas d’éléments à décharge, pas de contradictoire, pas de présomption d’innocence, pas de droit de recours ?

La « justice » rendu par les conseils de guerre ne peut être qualifiée davantage de « trop sévère dictée par les impératifs militaires ». Les impératifs militaires n’ont pas à dicter quelque justice que ce soit. Ces « impératifs » supposés par les sénateurs macronistes l’étaient si peu, que de nombreux généraux ont refusé les condamnations à morts. Si le nombre de « fusillés pour l’exemple » a fortement diminué au fur et à mesure de l’avancée de la guerre, c’est qu’il a bien été constaté que ces exemples, loin de motiver les hommes, étaient particulièrement nuisibles au moral des hommes. Si certains généraux ont été limogés, c’est en raison de leur incompétence, et des échecs stratégiques, y compris parmi ceux qui ont ordonné les exécutions. Il n’y a aucun impératif militaire à fusiller ses propres hommes « pour l’exemple ». Qui plus est, le nombre de fusillés a diminué après 1916, et jusqu’à la victoire, sans que cela n’ait entravé les impératifs militaires véritables.

Oui, les conseils de guerre ayant conduit aux condamnations à morts des « fusillés pour l’exemple » relèvent d’une justice expéditive dans le cadre d’une politique répressive

Certains hommes ont été fusillés le lendemain des faits qui leur ont été reprochés, après un procès sommaire, sans instruction et sans recours. Que faut-il aux macroniste pour considérer qu’une procédure est expéditive ? 24h seraient suffisantes, selon eux, pour juger de la vie ou de la mort d’un soldat ?

Quant à refuser le terme de politique répressive, c’est ignorer complètement les buts mêmes de la politique qui était menée, et les raisons qui ont poussé le pouvoir exécutif à suspendre les droits de la défense, ainsi que certains généraux à le mettre en application. Car c’est de leur aveu même que la politique devait être répressive.

Ainsi, en novembre 1914, le général de Villaret, commandant le 7e corps d’armée, réclame que la procédure relative à 24 soldats inculpés d’abandon de poste devant l’ennemi soit expéditive : « Il importe que la procédure soit expéditive, pour qu’une répression immédiate donne, par des exemples salutaires, l’efficacité à attendre d’une juridiction d’exception ».

Non seulement ce général exprime clairement sa volonté que la procédure soit « expéditive », mais en plus il souligne l’importance de ce caractère expéditif pour parvenir au but recherché. Et ce but est formulé par lui comme une « répression immédiate ». Que faudrait-il donc pour pouvoir parler de politique répressive, sinon une politique qui a pour but la répression ? Le but de cette politique est bien, toujours selon ses mots, d’être efficace, par le fait de donner des exemples.

L’argumentation proposée par l’exposé des motifs de l’amendement, prétendant que parler de « justice expéditive, instrument d’une politique répressive » ne tiendrait pas compte de la réalité juridique et historique, est donc fallacieuse, fausse historiquement, voire mensongère.

Le pouvoir politique endosse une telle négation de l’idéal de justice, en reconnaissant que cette « justice » d’exception n’a pas tant vocation à punir des coupables qu’à faire des exemples. M. Adolphe Messimy, ministre de la Guerre, écrit ainsi le 20 août 1914 : « Il vous appartient de prendre des mesures et de faire des exemples ».

Prétendre que la politique menée ne serait ni expéditive, ni répressive, c’est pour le coup un véritable anachronisme, et un aveuglement historique, voire une véritable réécriture de l’histoire, qui méconnaît les objectifs réels de la politique menée alors.

Ne même pas reconnaître la simple vérité, à savoir que les soldats ont été fusillés pour faire des exemples, dans le cadre d’une politique qui avait pour but de fusiller vite et de réprimer, c’est tuer ces pauvres hommes une deuxième fois par la négation de comment et pourquoi ils ont été exécutés.

La formulation que j’ai proposée, et qui a été adoptée par l’Assemblée nationale, tient compte, contrairement à celle proposée par les sénateurs macronistes, de la réalité des conseils de guerre, et de la réalité historique.

La situation d’urgence marquée par l’invasion du territoire ne saurait en aucun cas justifier, et encore moins a posteriori un siècle plus tard, que des hommes aient été tirés au sort pour être fusillés. D’ailleurs dans d’autres circonstances d’urgence où le territoire national a été envahi, il n’a pas été jugé utile de fusiller de soldats français « pour l’exemple », preuve que ce n’est pas le sujet et que cela ne l’a jamais été.

Oui, les noms des « fusillés pour l’exemple » figurent déjà sur certains monuments aux morts

Concernant l’inscription sur les monuments aux morts, c’est encore une fois méconnaître la réalité des faits. Puisqu’environ un tiers des « fusillés pour l’exemple » ont déjà leur nom inscrit sur les monuments aux morts de leur commune, à l’initiative de conseils municipaux.

Dans de nombreuses communes situées sur la ligne de front, tout un pan des monuments aux morts est dédié aux civils qui ont été tués durant la guerre.

 L’inscription sur les monuments n’est donc, de fait, pas réservée exclusivement aux militaires, ni aux militaires titulaires de la mention morts pour la France. L’argument proposé par l’amendement macroniste est donc faux lorsqu’il prétend que l’inscription sur les monuments aux morts est réservée aux soldats morts pour la France.

C’est plutôt l’inverse qui est vrai : la mention de « mort pour la France » implique, effectivement, l’inscription sur les monuments aux morts.

Cette exclusion que souhaite consacrer l’amendement relève encore d’une inexactitude.

Le rejet de cet amendement par la commission saisie permet donc d’espérer un vote conforme du Sénat.