Etat espagnol : de Podemos à Sumar…

Sumar, nom du mouvement initié par la ministre du travail Yolanda Diaz, se présente comme une construction à gauche… Ni la guerre, ni les institutions issues de la période franquiste et de la monarchie aujourd’ui ne sont évoquée. Ni même la discussion sur la politique du gouvernement actuel. Nous publions quelques éléments de réflexion d’un de nos correspondants.

Yolanda Diaz, ministre du travail du gouvernement Sanchez (photo AFP).
Par Hector Lagar
Publié le 22 avril 2023
Temps de lecture : 3 minutes

En 2011, le mouvement dit du 15M (qui déboucha sur « Les Indignés », Ndt) est apparu comme l’expression du rejet par des milliers de personnes, en particulier des jeunes, du régime monarchique et des partis qui le soutiennent et agissent au sein de ses institutions. Avec des slogans tels que « Ils ne nous représentent pas », « Ils appellent ça la démocratie et ça ne l’est pas » et « Il n’y a pas de démocratie si les marchés gouvernent »,  des milliers de militants se sont rassemblés et mobilisés.

En 2014, un nouveau mouvement politique, Podemos, a vu le jour. Son manifeste initial, « Mover ficha (faire bouger les pions, Ndt) : convertir l’indignation en changement politique », proposait de construire une « véritable menace contre le régime bipartite du PP et du PSOE et pour ceux qui ont détourné notre démocratie ».  Le mouvement, présidé par Pablo Iglesias, un jeune professeur d’université anciennement lié à Izquierda Unida (IU), s’était alors rapidement développé. Lors des élections municipales de 2015, les « candidatures d’unité populaire » et les « mareas » promues par Podemos l’ont remporté dans de nombreuses grandes villes et Podemos devient le premier parti en termes de vote. Il remporte 69 sièges (y compris avec les listes Mareas et Convergents), tandis qu’Izquierda Unida s’effondre.

Rompre avec le régime ?…

C’est à partir de ce moment que s’entame le déclin de Podemos.

Aux élections suivantes, beaucoup de voix sont perdues et il devient même un témoignage dans certaines régions. Il s’allie à Izquierda Unida, mais ensemble, ils ne font pas plus que séparément. Les crises se succèdent et de nombreux fondateurs de Podemos quittent l’organisation.

L’espace manque ici pour analyser les causes de ce déclin, qui combinent leurs propres erreurs et la persécution de la justice et des médias franquistes. Mais le mythe de la rupture avec le régime ne peut être entretenu après l’entrée dans le gouvernement de coalition, où il soutient les réformes des retraites d’Escrivá, l’augmentation des dépenses militaires, la participation à la guerre, etc.

Actuellement, le déclin de Podemos ne permettrait pas de renouveler la coalition gouvernementale après les prochaines élections. Pour que cela soit possible, un changement est nécessaire.

Podemos a décidé de se refonder dans le Frente Amplio. Mais la ministre du Travail, Yolanda Diaz, que Pablo Iglesias avait désignée, après son retrait de la vie politique active, comme sa successeure, a avancé d’autres plans et annoncé la création d’un nouveau mouvement qu’elle a baptisé « Sumar » (additionner en espagnol, Ndt). Elle est la ministre la plus appréciée. Elle revendique son mandat et s’est forgée au fer des batailles hebdomadaires aux Cortes (Parlement) contre les porte-parole du PP.

…Non ! Plutôt une « mise à jour de la Constitution »

Yolanda Diaz a alors ouvert un « processus d’écoute », avec des initiatives prévues dans tout le pays qui ont abouti, le 2 avril dernier, à l’organisation d’un événement central à Madrid, au cours duquel elle s’est présentée comme candidate à la présidence du gouvernement. Lors de cet événement, elle était accompagnée d’une bonne partie de ceux qui avaient fui Podemos, Izquierda Unida et les « confluencias » ainsi que près de la moitié des députés actuels. La direction de Podemos reste à l’écart mais revendique un rôle dans le nouveau mouvement.

Sur quelle politique Yolanda Díaz veut-elle s’appuyer ? Au-delà de la revendication du bilan de la coalition gouvernementale, c’est un mystère. Sur son site internet, on ne trouve pas une seule proposition politique, si ce n’est la nomination de 39 « experts » chargés d’élaborer des propositions, sans qu’aucune d’entre elles n’ait été pour l’instant rendue publique.

« Sumar » est un projet qui se construit d’en haut, avec un leader autoproclamé, et où la participation semble se réduire à un processus d’approbation de ce qui a été fait et à une primaire sur mesure.

Yolanda Diaz « a ignoré la guerre et l’Otan »

Les médias saluent l’initiative de Yolanda Diaz. Selon un éditorial du quotidien El Pais, ce projet ressemble au « premier Podemos, mais en changeant sa vieille épopée du peuple contre la caste pour l’attrait plus immédiat et matériel de la “politique utile” ». Un commentateur du même média estime « qu’il actualise le programme d’une gauche institutionnelle et abandonne l’impulsion populiste des origines de Podemos »,  et ajoute que « la dénonciation du régime de 78 est abandonnée, remplacée par une demande de mise à jour de l’application de la Constitution » et que « la dénonciation de l’UE est abandonnée, remplacée par un appel pro-européen à des réformes des traités et des droits européens ».

A. Carvajal, dans El Mundo, souligne que Yolanda Díaz « n’abuse pas – contrairement à Iglesias ou Sanchez – d’adresses à “l’ultra-droite” et ne s’attaque ni aux juges, ni aux journalistes ni aux “cloaques”.  Elle a ignoré la guerre et l’Otan (…) et n’a pas fait allusion à la monarchie. »

Comme pour IU et Podemos, la question est de savoir si l’on peut construire un mouvement qui satisfasse les revendications sans rompre avec la monarchie, l’Union européenne et l’Otan. Pour beaucoup de militants, il est lassant de buter sans cesse sur la même pierre.