Inondations à Valence (Etat espagnol) : « Le peuple exige que les institutions du régime rendent des comptes »
Après les inondations dévastatrices dans la région de Valence, le roi et le Premier ministre ont été accueillis par les habitants, ce 3 novembre, criant « Assassins ! » et leur jetant de la boue. Lire la déclaration de la section espagnole de la IVe Internationale.
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Les mots manquent pour décrire l’ampleur de la dévastation, du chaos, du désespoir, de l’indignation et de la destruction causés par l’impact d’un phénomène météorologique : la Dana1Dana : dépression d’altitude non-tropicale, phénomène météorologique lié aux « gouttes froides »., qui a dévasté les zones les plus riches et les plus peuplées du Pays valencien ce mardi 29 octobre.
Nous exprimons notre solidarité avec les familles des défunts et des victimes, et notre soutien aux milliers de bénévoles qui tentent d’aider à pallier aux conséquences de la catastrophe ; il est de notre devoir de souligner qu’il ne s’agit pas d’une simple catastrophe naturelle. Il y a des autorités qui sont politiquement responsables, à la fois pour ne pas avoir pris de mesures pour prévenir cette catastrophe et pour ne pas avoir agi comme elles auraient dû le faire une fois que le désastre a commencé. Leur responsabilité n’est pas seulement politique, elle est aussi criminelle. Car un crime a été commis contre la classe travailleuse, à laquelle appartiennent la plupart des victimes. À l’heure où nous écrivons ces lignes, on dénombre près de 2 000 morts et disparus.
La catastrophe était parfaitement prévisible. Depuis 2004, il existe des plans de l’Etat et de la Confédération hydrographique du fleuve Jucar pour la prévenir. Le samedi 3 juillet 2004, le journal Las Provincias, publiait : « La Confédération du Júcar prévoit des actions dans les ravins de Pozalet, La Saleta et El Poyo. Près d’une vingtaine de communes ne regarderont plus le ciel avec crainte lorsque les orages arrivent. Le gouvernement a annoncé hier le plan de lutte contre les inondations pour seize municipalités, qui comprend la création d’un barrage à Cheste.
La région de la Horta Sud est historiquement l’une des plus touchées par les grandes inondations lors des épisodes de goutte froide. Chaque année, des agglomérations entières ont vu les eaux du ravin du Poyo déborder, inonder les rez-de-chaussée, les maisons et causer de graves dommages aux véhicules et aux bâtiments.
Alaquàs, Aldaia, Catarroja, Cheste, Xirivella, Godelleta, Massanassa, Paiporta, Picanya, Ribarroja, Torrent, Quart de Poblet, Loriguilla, Mislata et Valence sont les zones les plus exposées au risque d’inondation où le plan anti crues sera appliqué. »
Plus de vingt ans ont passé, mais quelques petits travaux seulement ont été réalisés en 2009 ; l’ensemble des travaux d’adaptation environnementale et de drainage du bassin du Poyo aurait coûté 221 millions d’euros à l’époque.
Cependant, si rien n’a alors été fait, depuis, l’indolence, l’indifférence, la vie institutionnelle du gouvernement valencien totalement insensible aux préoccupations et aux intérêts de la population, ont amplifié la tragédie.
Qui alors est responsable ? L’Etat monarchique, négligent, corrompu et parasitaire comme nul autre, l’Etat des régions autonomes au service des spéculateurs et de la guerre. Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui la presse publie les profits multimillionnaires des banques et des multinationales de l’énergie, et si, au cours des trois dernières années, le gouvernement de coalition a augmenté les dépenses militaires de 48 %.
Les responsabilités
Le responsable direct de l’action face à la Dana est le président du gouvernement de Valence, Carlos Mazón, et, en dernière instance, tout le réseau bureaucratique et parasitaire de la Generalitat. Revenons sur la chronologie des événements : cinq jours plus tôt déjà, l’Aemet (Agence d’Etat de la météo) avait signalé le risque de Dana au-dessus des régions de Valence.
Mardi 29, à 7 heures 36, l’alerte rouge était lancée. À 8 heures, elle était augmentée et à 8 heures 04, elle était étendue à la côte sud de Valence. L’alerte prévoyait des « pluies torrentielles » et parlait de cumuls pouvant provoquer « crues et inondations ». « Le danger est extrême ! », disait-elle.
A 9 heures 20, l’Aemet alertait : « Pluies torrentielles dans certaines parties de la Communauté valencienne. Le danger est important, voire extrême, dans certaines localités. Eloignez-vous des cours d’eau, des ravines et des zones basses inondables ». Le tweet incluait une vidéo partagée par le compte de l’Aemet dans la Communauté montrant les rues de Catadau inondées.
A 13 heures, Mazón postait un tweet, qu’il a ensuite supprimé, dans lequel il indiquait que l’épisode devait se terminer à 18 heures. « Il n’est pas fait état de dommages personnels, mais de véhicules pris au piège ».
A 16 h 57, Utiel est déjà inondé et le courant emporte les voitures.
A 19 h 05, Paiporta est inondée.
A 20 h 03, la population reçoit le premier avertissement de la Protection civile dépendant de la Generalitat. Il y est demandé d’éviter de se déplacer dans la province de Valence. Plus de douze heures pour avertir la population occultant la catastrophe en cours ! Alors que la dévastation avait déjà en grande partie eu lieu !
Mazón doit payer pour sa gestion et pour sa politique, cela est clair pour tout le monde.
Mais revenons au gouvernement de Pedro Sánchez. Comme le rapportait El País, « des sources gouvernementales reconnaissent que le cabinet de crise réuni mardi soir à La Moncloa a envisagé la possibilité de décréter l’“urgence au plan national”, ce qui aurait impliqué de prendre en charge la gestion de tout le dispositif [contre la Dana], mais il a été considéré que “ce n’était pas nécessaire”, parce que la Generalitat Valenciana (le gouvernement régional – Ndlr) “agissait correctement”, n’avait pas demandé à déclarer le niveau 3 et le faire unilatéralement revenait à “appliquer un [article] 155” de la Constitution, privant la communauté autonome de ses compétences ».
D’autre part, l’article 116 de la Constitution là aussi dispose que « le gouvernement, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 116-2 de la Constitution, peut déclarer l’état d’alerte, sur tout ou partie du territoire national, au cas où se produiraient de graves altérations de la normalité – catastrophes, calamités ou désastres publics, tels que tremblements de terre, inondations, incendies urbains et forestiers ou accidents de grande ampleur ». Mais il ne l’a pas fait. C’est là la monarchie des régions autonomes, aux responsabilités et compétences partagées, ce qui se traduit dans la pratique par une irresponsabilité générale.
Un peu d’histoire
En 1957, une inondation avait touché la ville de Valence, causant la mort de 92 personnes. Le régime, qui montrait ses premiers signes de crise, avait détourné le lit du Turia par des travaux importants qui, de l’avis de tous les experts, ont empêché la tragédie de s’étendre aujourd’hui à la ville de Valence. Cela montre qu’il existe des infrastructures permettant d’éviter les catastrophes.
Après la rupture du barrage de Tous en 1982 qui avait provoqué une énorme inondation, l’orographie (l’étude des reliefs-ndlr) de la région avait été étudiée et il était apparu que les autoroutes avaient formé une barrière empêchant l’eau de suivre son cours naturel jusqu’à la mer. La construction de ponts et de drains sur les routes et les voies ferrées ayant un effet de barrière, la canalisation et le drainage des rivières et des ravins avaient été planifiés.
L’université polytechnique de Valence avait élaboré le Patricova (Plan d’action territoriale de prévention des risques d’inondation dans la Communauté valencienne), qui avait été approuvé par le Consell (gouvernement valencien) dans son décret 201/2015 du 29 octobre.
Oui, les solutions existaient, mais ni le gouvernement central, ni le gouvernement régional n’ont fait le moindre effort pour effectuer les actions qui auraient permis d’éviter la catastrophe d’aujourd’hui.
Pire encore : la situation a été aggravée par la construction au service des spéculateurs ne respectant ni les gués, ni les ravins, et par la présence d’infrastructures comme la V-31 (une autoroute urbaine – ndlr ), où sont regroupées les zones industrielles de l’endroit le plus touché.
Nous sommes donc confrontés à un problème essentiellement politique, nous avons les moyens nécessaires pour prévoir, éviter, pallier et résoudre ces problèmes naturels, sans doute accrus par le changement climatique.
La monarchie et les gouvernements qui s’y soumettent sont un véritable fardeau pour la population.
Les médias qui, malgré les discours officiels, sont obligés de rendre compte de l’indignation de la population et de la négligence dans laquelle la tiennent les autorités, s’évertuent à souligner la bonté des institutions lors de nombreuses conférences de presse. La réalité est tout autre.
La réponse institutionnelle : unité au sommet pour occulter les responsabilités et stopper la riposte populaire
Les institutions de la monarchie cherchent à fuir toute responsabilité, et surtout, face à la catastrophe, elles répondent avec peur à la mobilisation des masses ; à commencer par le chef de l’Etat, le roi : « Je veux encore une fois exprimer nos condoléances les plus sincères aux familles des défunts et notre profonde solidarité et proximité pour cette Dana terrible et catastrophique qui a dévasté tant de localités et d’endroits de notre pays. Nous nous associons à leur douleur, comme nous devons tous le faire, administrations, institutions et société civile de toute l’Espagne ».
Une unité affichée par les présidents Pedro Sánchez et Mazón. Lors de sa visite à Valence, Sánchez a déclaré que « l’engagement du gouvernement espagnol envers la Communauté valencienne est total, la collaboration se poursuivra, nous ne vous laisserons pas seuls ». Mazón lui a rendu la pareille : « Je remercie le président du gouvernement pour sa présence et pour le contact que nous avons maintenu dès le premier instant, la coordination et la collaboration sont très importantes et nous allons les maintenir ».
Le patronat appelle également à l’unité : dans un communiqué publié le 1er novembre, il demande aux responsables politiques de toutes les administrations d’agir « dans l’unité d’action » et de se concentrer pour apporter une solution aux besoins des citoyens affectés par le passage de la Dana et sur la reconstruction des infrastructures : « La société civile fait preuve d’une immense solidarité et nous demandons à nos politiciens de faire de même et de travailler ensemble ». Et ils ajoutent : « Nous sommes en contact permanent avec les différentes administrations pour tenter d’apporter une solution aux besoins existants. »
Le contenu de cette unité, c’est l’éditorial du journal ABC du 30 octobre qui le donne : « L’Espagne vit une fois de plus l’occasion de réagir dans l’unité face à une tragédie nationale. De l’Aemet aux bassins hydrographiques qui dépendent du gouvernement central, jusqu’aux services régionaux de protection civile et d’urgence de l’administration valencienne, tous sont appelés à revoir le rôle qu’ils ont joué.
D’abord, réparer les dégâts et s’occuper des victimes. Ensuite, analyser le fonctionnement des services de prévention, avec la volonté de corriger les erreurs qui ont pu être commises dans le retard à donner l’alerte face aux doutes qui surgissent quant à l’efficacité de l’administration dans la détection de l’alarme et sa communication à la population. Cette réponse doit être auditée. L’Etat ne peut pas toujours arriver à temps. »
L’unité prônée par ce journal, porte-parole de la Maison royale, consiste à diluer les responsabilités et à faire en sorte qu’aucune institution ne soit remise en cause, afin de laisser à l’Etat le temps de réagir et de prendre le contrôle de la situation.
Une unité au sommet fissurée par la crise
Certains ministres, comme la ministre de la Défense, Margarita Robles, rejettent toute la responsabilité de la crise sur le Conseil de la Generalitat. Des secteurs du PP (parti de droite néofranquiste) prennent le gouvernement pour cible face à la tragédie, et Manos Limpias2Syndicat » de fonctionnaires d’extrême droite fondé en 1995 a déposé une plainte contre les responsables d’Aemet.
Et maintenant, alors que des milliers et des milliers de volontaires ont organisé le nettoyage et la mise en place de centres de distribution de médicaments et d’aliments – seule aide qu’ait reçue la majorité de la population abandonnée trois jours durant – après la réunion de la cellule de crise de la Generalitat le 31, le ministre de l’Intérieur et le président de la Generalitat ont demandé aux volontaires « de ne pas paralyser les accès », plus précisément, le président leur a demandé « de rentrer chez eux et de se coordonner par le biais des moyens officiels ». Mais dans la rue, les initiatives de solidarité de la population se multiplient.
Le 2 novembre, Mazón a renvoyé chez eux des milliers de volontaires (qui ne l’ont pas écouté) parmi ceux qui se sont présentés à la Cité des Sciences et des Arts, à l’appel de la Generalitat, prêts à organiser des brigades face à l’inefficacité et à l’incompétence des autorités, et les gouvernements central et régional ont décidé d’un commun accord d’envoyer 5 000 soldats supplémentaires et 5 000 autres policiers nationaux et gardes civils. Pour quoi faire ?
Selon Mazón, « une fois que nous avons sécurisé tous les points logistiques, garanti l’accès à toutes les routes et organisé la répartition des volontaires, il est maintenant possible de demander 5 000 soldats supplémentaires ». En revanche, le président a condamné « les pillages et les vols » et a demandé que « tout le poids de la loi » soit appliqué aux responsables. Pas les responsables qui obligent leurs employés à aller travailler en mettant leur vie en danger, pas ceux-là, non. Et lui ? Lui, non plus, il n’est responsable de rien.
Les maires, la population, n’ont pas de moyens efficaces pour manifester leur indignation, pour faire payer les responsables qui, comme nous l’avons signalé, ne sont pas seulement le gouvernement valencien. Il s’agit de l’inefficacité, de l’incapacité et du parasitisme de l’Etat monarchique au service de la spéculation et de l’Otan.
La manifestation du 9 novembre, l’unité dont nous avons besoin
Cette mobilisation a pour but d’exiger que rendent des comptes les responsables de la gestion déficiente de la dernière Dana qui a gravement touché plusieurs régions du Pays valencien.
Les organisateurs critiquent également la réponse des entreprises qui ont exigé de leurs travailleurs de maintenir leurs activités malgré les risques pour leur sécurité. Ils dénoncent le démantèlement de l’Unité d’urgence de Valence (Uve), ainsi que le refus d’admettre la paralysie du numéro d’urgence 112 pendant la Dana, puis par la suite du numéro de téléphone pour l’assistance aux familles de personnes disparues.
Aujourd’hui, alors que la recherche de nouvelles victimes se poursuit (sous la boue, dans les véhicules qui n’ont pas encore été enlevés, dans les garages et au rez-de-chaussée des maisons), une grande manifestation se prépare à Valence pour le 9 novembre.
De tout l’Etat, les signes de solidarité se multiplient, il est de la responsabilité du mouvement ouvrier de faire entendre sa voix pour exiger que les responsables directs soient châtiés et qu’un véritable plan de reconstruction soit mis en œuvre au service de la population. Le budget de l’Etat doit l’intégrer, car il y a de l’argent.
L’argent du budget militaire pour les infrastructures contre les inondations et pour reconstruire Valence !
Comité exécutif du POSI (section de l’Etat espagnol de la IVe Internationale), 2 novembre 2024