Éducation à la vie affective et sexuelle : protéger les jeunes ?

Depuis 2001, la loi prévoit trois séances annuelles d’éducation à la vie affective et sexuelle pour chaque élève du primaire ou du secondaire. Elle n'est pas appliquée.

Par Jeanne Chicau
Publié le 7 décembre 2024
Temps de lecture : 4 minutes

La loi de 2001 n’est pas appliquée, et face à ce manquement de l’État, les associations, le Planning familial, SOS homophobie et Sidaction ont saisi le tribunal administratif de Paris le jeudi 2 mars 2023.

Un rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese) sur la question a été publié 10 septembre dernier. Près d’un élève sur cinq n’a jamais eu accès à ce cours, et seuls 15 % d’entre eux ont eu les trois séances annuelles obligatoires.

Dans le même temps, les infections par des maladies sexuellement transmissibles ont augmenté de façon dramatique. Les cas d’infection de syphilis ont par exemple augmenté de 110 % entre 2020 et 2022.

Près de 160 000 enfants en France sont victimes de violences sexuelles, en majorité dans le cercle familial. Cela représente près de 3 enfants par classe. En n’appliquant pas la loi qui garantit des cours d’éducation à la vie affective et sexuelle, qui amène la question du respect et du consentement, l’Éducation nationale manque un aspect de la lutte contre la mise en danger des enfants.

Ce cours se situe au croisement de plusieurs droits : il s’agit de défendre les droits reproductifs des femmes et des enfants, l’accès à la santé et à l’information.

Un manque de volonté politique face aux attaques de l’extrême droite

Karine, sage-femme de PMI qui intervient régulièrement dans ce cadre explique : « Ce cours est très dense, et 1 heure par classe n’est pas suffisant. À savoir que beaucoup d’adolescentes aimeraient me rencontrer seule pour poser des questions, et se rassurer sur leurs règles, leur état de santé en tant que jeune fille… Mais comme les heures se suivent pour intervenir, je n’ai pas le temps, et les jeunes filles et moi-même sommes frustrées… Les jeunes hommes s’interrogent également, mais n’osent pas parler devant “les copains” . »

Le rapport du Cese souligne un « manque de volonté politique » face aux pressions et aux campagnes de désinformation qui s’y opposent et émanent de la droite catholique et l’extrême droite. En effet, ce cours est vivement contesté et depuis le début de l’année scolaire, de nombreux syndicats d’enseignants ont déploré des attaques d’associations d’extrême droite.

L’association Parents vigilants créée par Zemmour, ou encore le syndicat de la famille (ex-Manif pour tous, opposé à l’homosexualité) ont distribué des tracts mensongers devant les écoles. La pression de cette désinformation impacte les élèves eux-mêmes : « Les élèves sont inquiets de mon intervention en pensant que je vais aborder “l’acte sexuel en lui-même”. Dès le début de mon intervention, je les rassure en leur disant que nous abordons les relations affectives entre deux personnes ».

Cette pression trouve un large écho dans le gouvernement réactionnaire de M. Barnier : le 27 novembre dernier, le ministre Alexandre Portier, chargé de la Réussite scolaire et de l’Enseignement professionnel, s’est exprimé sur le sujet de l’éducation à la vie affective et sexuelle, au Sénat, déclarant que ces cours n’étaient « pas acceptables », et s’engageant pour que la « théorie du genre » ne trouve pas sa place à l’école.

La France insoumise a déclaré dans un communiqué qu’elle porterait une proposition de résolution visant à garantir une véritable application de la loi.

Des cours qui ne correspondent pas aux aspirations des associations

Les groupes d’extrême droite qui mènent des campagnes de désinformation, promeuvent le remplacement de ces cours par un enseignement des relations homme femme qui se concentrerait uniquement sur les risques.

Il s’agit de revenir à un enseignement moralisateur des relations sexuelles, les bannir le plus possible et effrayer les élèves. Les jeunes femmes, surtout, devraient bien se garder de tomber enceinte et se méfier des jeunes hommes. Quant aux minorités LGBT +, elles devraient ne pas exister. Le site du syndicat de la famille parle à ce sujet d’« instrumentalisation » et de « risque militant ».

Cela pose la question de qui peut dispenser ces cours. Des infirmières scolaires qui doivent déjà partager leur emploi du temps entre plusieurs établissements ? Elles ne sont pas assez nombreuses pour assurer ces cours.

Le planning familial, qui est habilité à intervenir gratuitement dans les écoles, déplore trop peu de sollicitations de la part des établissements, et estime : « Les jeunes mettent en avant que l’éducation à la sexualité qui est reçue ne correspond pas suffisamment à leurs besoins : trop axée sur les risques, elle véhicule encore souvent une image dangereuse de la sexualité ». On voit comment la lutte des organisations réactionnaires porte ses fruits.

Les enfants en difficulté, les plus exposés aux violences

Ce manquement de l’État pénalise les enfants les plus précaires. En effet, parmi les enfants les plus exposés, il y a les enfants bénéficiaires de l’Aide sociale à l’enfance (Ase). Ceux-ci sont beaucoup plus concernés par les violences, notamment sexuelles, et la prostitution forcée.

Le rapport du Cese évoque notamment le cas des mineurs non accompagnés : les enfants qui arrivent légalement ou illégalement, originaires de pays où les droits reproductifs des femmes sont bafoués, ne sont pour beaucoup pas même au courant du cadre qui permet de recourir à une IVG.

Droit d’autant plus important que dans leurs parcours de migration, les jeunes femmes sont exposées à des situations encore plus dangereuses et sont nombreuses à subir des violences et à arriver en France enceintes. L’éducation à la vie affective et sexuelle, bien que largement insuffisante, peut au moins orienter ces personnes vers des professionnels et des associations comme le planning familial ou les services sociaux.

Rappelons qu’à la rentrée 2024, le gouvernement a supprimé près de 500 postes dans la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Ces jeunes sont donc encore plus jetés dans la précarité et sans aucun soutien de la part des pouvoirs publics, sans accès à leurs droits. Dans la casse méthodique des services publics, les enfants les plus précaires sont parmi les plus mis en difficulté.