« De moins en moins considèrent la perspective des deux Etats comme réaliste »
Entretien avec Lana Sadeq, présidente du Forum Palestine citoyenneté.
- Actualité internationale, Guerre, Palestine

Lana, tu prends souvent la parole dans les manifestations en solidarité avec la Palestine, et à plusieurs occasions tu as pu défendre la perspective politique d’un seul État démocratique sur tout le territoire de la Palestine. Peux-tu nous présenter ton association ?
Le Forum Palestine citoyenneté a été créé en 2012 au moment des processus révolutionnaires dans plusieurs pays arabes, notamment en Tunisie et en Égypte, ensuite en Syrie, au Maroc et pour la deuxième vague au Soudan et au Liban.
On s’est dit que les Palestiniens et les Palestiniennes auraient intérêt à y prendre part et montrer une voie palestinienne indépendante, surtout dans un rapport où la gauche palestinienne a largement tourné le dos à ces mouvements souvent jugés comme des complots de l’impérialisme. Dans l’association, nous sommes en grande partie des femmes et nous avons saisi cette période comme le moyen de porter nos revendications pour l’égalité.
Nous sommes nombreux à défendre la perspective de l’État démocratique unique et séculier pour tous, fondé sur les droits égaux, mais dans l’association et surtout depuis le début de la guerre génocidaire actuelle, des Palestiniens choqués par les évènements ne voient pas comme il serait possible de vivre ensemble avec les Israéliens. C’est compréhensible et on discute entre nous.
Notre groupe pour un État de Palestine unique, démocratique et séculier, a été fondé notamment par Salameh Kileh, penseur marxiste arabe d’origine palestinienne, qui défendait la perspective d’un seul État démocratique et séculier. On a préféré utiliser le terme anglo-saxon séculier plutôt que laïc, pour être mieux compris au Moyen-Orient. Une charte fondatrice a été écrite par Salameh et ses camarades, intitulée Vers le mouvement populaire pour un État laïque et démocratique de Palestine.
Quel regard portes-tu sur l’évolution de la société israélienne ?
Les Israéliens doivent être fatigués de cette guerre, mais ce n’est en rien comparable avec le génocide à Gaza. Leur économie s’effondre, ils ont beaucoup de blessés ; des milliers qui sont plus aisés et qui ont une double nationalité ont quitté Israël depuis longtemps. Ils vivent la guerre la plus meurtrière de leur histoire, mais les sondages, qu’il faut toujours prendre avec du recul montrent qu’une large majorité veut continuer la guerre.
La question est de savoir jusqu’à quand ils vont rester aveugles sur le génocide. Mais il y en a qui refusent, des historiens israéliens qui dénoncent le génocide. Il y a beaucoup d’initiatives. Mardi 28, dans plusieurs capitales d’Europe, des juifs israéliens appellent à se rassembler partout pour la suspension de l’accord d’association entre l’Union Européenne et Israël, pour arrêter l’armement d’Israël.
Ce qui est certain, c’est qu’il y a un avant et un après 7 octobre. C’est un bouleversement mondial, et la question palestinienne est revenue sur le devant de la scène.
Les Palestiniens n’ont jamais été à ce point menacés dans leur existence même en Palestine…
Je ne veux pas parler de désespoir, car il faut toujours se battre, mais c’est une période très dangereuse, dramatique, c’est la poursuite, aggravée de la Nakba. Si Netanyahou arrive à ses fins et parvient à expulser les habitants de Gaza, ce sera un coup terrible. Mais en même temps, Gaza est devenue invivable.
Israël cherche à faire partir les Palestiniens de Gaza sans les expulser, qu’ils partent d’eux-mêmes parce que la vie y est devenue impossible. Il est là, l’objectif de Netanyahou : aller jusqu’au bout. Ils ne peuvent pas supporter le fait qu’il y a autant de Juifs que d’Arabes sur le territoire historique de la Palestine.
En Cisjordanie, ils se disent qu’avec les checkpoints, les routes d’apartheid réservées aux colons, les colonies, ils arriveront à contrôler plus facilement les Palestiniens parqués dans des enclaves. La Cisjordanie est constituée de plusieurs ghettos encerclés et ce qui se passe depuis 4 mois dans le nord de la Cisjordanie, dans les camps, c’est un élément de l’ensemble qu’ils préparent partout.
À l’intérieur, la violence n’est pas la même mais il y a un contrôle des Palestiniens qui s’est renforcé, et qui rappelle la période où ils étaient directement placés sous contrôle militaire. Mais les Palestiniens ne sont pas seulement menacés en Palestine. Les réfugiés palestiniens, qui se concentrent maintenant essentiellement au Liban et en Jordanie sont également menacés.
La Jordanie est fragile et un afflux de réfugiés palestiniens expulsés de Gaza ou de Cisjordanie risquerait d’ébranler le régime, ce que les Américains ne veulent pas. Au Liban, il y a une campagne pour le désarmement des camps palestiniens, mais il faut savoir qu’il y a dans ces camps une augmentation constante de la criminalité. Ces camps sont ouverts et servent de refuge pour les criminels recherchés par l’État libanais, qui laisse pourrir ce phénomène.
C’est pourquoi les factions palestiniennes revendiquent de régler elles-mêmes ces problèmes et aujourd’hui exiger le désarmement sans s’attaquer à la criminalité revient à laisser les Palestiniens des camps sans protection.
Le Forum a signé l’appel pour la Conférence de Doha pour un « congrès national palestinien ». Vous y avez vu une perspective ?
C’est une signature à titre personnel, pas de notre association, mais sans une totale conviction. On ne voulait pas une initiative de plus pour réorganiser, car nous sommes convaincus qu’il faut refonder tout le système politique palestinien, que l’OLP est terminée et même qu’elle a été détruite avec les Accords d’Oslo en 1993, qui ont créé l’Autorité palestinienne. Il faudrait reprendre le programme politique.
Certains se réclament encore de la Charte de l’OLP. Elle reste une référence importante mais ce qui est certain, c’est qu’il faut créer une structure commune à tous les Palestiniens, des territoires de 1967, de 1948, des camps, de la Diaspora, mais la jeunesse palestinienne a été très peu représentée à Doha et c’est pourtant eux qui doivent être mis en avant.
Ils militent mais différemment. Ils sont intéressés par leur histoire, mais veulent trouver leur place. Aux États-Unis dans les mobilisations, et dans le monde entier, les jeunes sont très présents y compris des jeunes Juifs qui agissent avec des jeunes palestiniens.
La grande modification dans les manifestations, dans le mouvement de soutien au peuple palestinien, contre le génocide, c’est de manière explicite le rejet du sionisme et le refus d’être qualifié d’antisémite lorsque l’on critique la politique israélienne. Il y avait sur ce terrain-là une véritable chape de plomb. De plus la question palestinienne est revenue sur le terrain international et au premier plan.
Hier à l’institut du Monde arabe, plusieurs représentants d’associations palestiniennes ont pris la parole, comme Al Haq, qui a rappelé que lorsque l’on parle des Palestiniens, c’est de la mer au Jourdain, sans distinction.
L’association Badil a eu des paroles très fortes, en revenant sur l’enjeu du démantèlement du régime colonial, du régime d’apartheid, et qu’à partir de là il y aura un mécanisme de réconciliation fondé sur l’égalité des droits. La question de la solution politique n’a pas été au centre des débats, mais il est clair que dans cette assistance, de moins en moins de gens considèrent la perspective des deux États comme réaliste, toute solution doit être compatible avec le droit de notre peuple à l’autodétermination.
Il y a un vrai écart entre l’évolution de la compréhension des enjeux par les militants et leurs directions qui restent figés sur les deux États et refusent de caractériser le sionisme pour ce qu’il est, un mouvement colonial. On sent quand même une réelle évolution.
Il y a quelques années, quand on était 1000, on était content. Là, on a eu des manifestations bien plus nombreuses et surtout ce que l’on constate c’est un afflux de jeunes dans les manifestations, qui sont indignés et bien entendu, qui ne sont pas antisémites.
Ils viennent spontanément avec des pancartes, sans des mots d’ordre, sans être organisés, et pour exprimer leur solidarité et comprennent que les Palestiniens subissent une oppression non pas depuis 1967, mais depuis plus de soixante-dix ans. C’est une prise de conscience. Et surtout, il ne s’agit pas que des jeunes des « quartiers populaires », on voit des lycéens, des étudiants de tous les milieux.
On va continuer les manifestations et mobilisations jusqu’au bout. La détermination de notre peuple et notre résistance pour nos droits nationaux persistent plus fort que jamais.
