En Palestine, « la fin d’une phase, le commencement d’une autre… et la révision nécessaire »
Nous publions une contribution d’Awad AbdelFattah, coordinateur de la Campagne pour un seul État démocratique (ODSC), ancien secrétaire général du « Rassemblement national démocratique » à l’intérieur de l’État israélien, connu sous le nom du parti Balad.
- Actualité internationale, Gaza, Palestine

Nous publions cette importante contribution d’Awad AbdelFattah, coordinateur de la Campagne pour un seul État démocratique (ODSC), ancien secrétaire général du « Rassemblement national démocratique » à l’intérieur de l’État israélien, connu sous le nom du parti Balad. Le point de vue développé ici est partagé par une grande majorité des Palestiniens et fait l’objet de débats intenses dans le mouvement national palestinien. Depuis deux ans, Informations ouvrières rend compte chaque semaine et sans interruption de la situation en Palestine et à Gaza, à partir des analyses et informations provenant de Palestine. Loin de ces considérations, une toute petite minorité de gens d’origine palestinienne, notamment dans l’immigration en Europe, met en cause la résistance du peuple palestinien à Gaza et affirme que cette dernière « a subi une défaite écrasante, et qu’Israël a gagné cette guerre ». Pour ces gens, ce qui importe le plus, c’est de se rendre respectable devant les médias, et ainsi de gagner un « droit » à l’antenne. De tels propos, en définitive, ne font rien d’autre que le jeu des dirigeants israéliens, là où il conviendrait de mettre en cause la responsabilité totale d’Israël dans la continuité des évènements qui se déroulent depuis des décennies, comme l’ont fait courageusement un certain nombre d’Israéliens eux-mêmes. Awad AbdelFattah ne parle ni de défaite palestinienne ni de victoire israélienne. Il s’agit pour lui du début d’un nouveau processus. |
L’échec le plus retentissant de Netanyahou demeure d’avoir ressuscité la cause palestinienne et de l’avoir ramenée au centre de l’attention mondiale, après avoir usé sa vie politique à tenter de l’ensevelir. Car, quels que soient les instruments de puissance dont dispose Israël, il se trouve désormais impuissant face à la révolution morale et cognitive universelle… Nul ne saurait contester que nous ne vivons pas la fin du conflit en Palestine, mais bien le début d’une nouvelle étape de cette lutte coloniale sanglante, vieille de plus de cent vingt ans. Les conclusions du sommet de Charm el-Cheikh – ou plutôt sa mise en scène – ont démontré que ce qui s’est joué n’était ni arrêt de guerre ni limitation de l’expansion et de la domination, mais simple réorganisation de leurs outils et de leurs desseins. Israël a aussitôt repris ses raids et ses agressions ciblées sur des points précis du territoire, au nom d’une sécurité dont plus personne ne croit au sens.
Quant à l’empereur de l’extermination, Donald Trump, il n’a à aucun moment évoqué le droit du peuple palestinien à disposer de lui-même : façon de plonger à nouveau le monde arabe dans un cycle politique ou apolitique infini autour d’un « processus » sans fin. Ainsi, le peuple palestinien et ses élites se voient placés devant une nouvelle errance – mais peut-être aussi face à une occasion rare de retrouver le sens juste, l’équilibre et la voie droite.
L’accord de cessez-le-feu ne marque ni la fin de la stratégie d’effacement, ni une rupture dans la pensée sioniste.
Il referme un chapitre d’anéantissement d’une sauvagerie obscène, long de deux ans, pour en ouvrir un autre – celui d’un effacement plus lent, moins tonitruant. Le prochain effacement ne sera plus forcément collectif ni physique : l’empire américain et ses alliés ont compris que la bande de meurtriers gouvernant Israël est désormais un fardeau pour leur plan de reconstitution de l’influence extérieure.
La cible à présent devient politique : dirigeants et militants. Mais le système exterminateur se heurte à un défi plus redoutable encore – la marée mondiale anticoloniale et les tribunaux internationaux qui commencent à cerner Israël moralement et juridiquement.
La priorité, pour Gaza et pour le peuple tout entier, c’est de faire cesser la guerre d’extermination qui a dévoré enfants et vieillards, et de permettre aux survivants de respirer, de pleurer leurs morts, leurs demeures, leurs rêves.
Ce n’est pas seulement une halte humanitaire après l’enfer, mais une victoire stratégique : empêcher la mise en œuvre du plan de déplacement et d’arrachement qui constituait le but déclaré de l’alliance américano-israélienne de destruction. Et ce résultat, on le doit au maintien héroïque et à la résistance unique de Gaza.
Pourtant, cette séquence, la plus féroce de toute l’histoire de la confrontation palestino-sioniste, n’a pas inversé le rapport de force : elle a consolidé la supériorité du système américano-israélien sur la Palestine et sur la région, sans accomplir de véritable victoire politique. Israël a échoué dans ses grands objectifs, au premier rang desquels la destruction du mouvement Hamas, qui conserve autorité et maîtrise du terrain. Israël, dans ses deux visages, gouvernemental et d’opposition, demeure inquiet, nerveux, avide de nouveaux prétextes pour frapper Gaza, comme il le fait déjà au Liban et en Syrie.
Mais le plus grand échec de Netanyahou reste d’avoir ramené la question palestinienne au centre du monde.
Car, malgré la force brute, Israël s’effondre devant une révolution éthique et intellectuelle globale, qui a dévoilé la réalité du projet sioniste : une entreprise coloniale raciale, l’une des plus féroces de l’histoire.
Elle a mis à nu la faute morale profonde des régimes occidentaux et de leurs dirigeants ; le vernis moral qui protégeait Israël s’est effrité jusqu’à disparaître. Le discrédit qui frappe aujourd’hui Israël sur la scène internationale est irréversible – perte stratégique reconnue même parmi ses amis les plus fidèles. Et toute tentative pour lui rendre image et prestige est désormais vaine.
Devant ces vérités, l’intellectuel palestinien – aux côtés des élites politiques et culturelles – demeure perplexe. Comment transformer ce moment de sang et de feu en chance pour la résistance et la reconstruction ? La tâche est rude, incertaine, malgré les efforts sincères de quelques initiatives indépendantes. À la difficulté s’ajoute la division : non seulement entre l’Autorité d’Oslo et la Résistance, mais aussi entre intellectuels eux-mêmes – partagés sur le sens du triomphe et de la défaite, sur l’interprétation des résultats de cette guerre. Il faut distinguer ici la divergence critique légitime et nécessaire de la haine idéologique aveugle de certains penseurs contre la Résistance – ces mêmes voix qui, au cœur du massacre, fouettaient leur propre peuple tout en ménageant l’Autorité d’Oslo, pourtant alignée en pratique sur la position sioniste et émiratie.
Les initiatives nationales indépendantes, menées par des patriotes sincères, portent des visions réformatrices importantes ; mais elles n’ont pas encore accompli de changement décisif. Les obstacles sont nombreux : objectifs, issus d’un environnement répressif et d’une société fragmentée par la division ; ou bien subjectifs, liés à la faiblesse d’imagination et de performance politique. Peut-être le peuple aspire-t-il à de nouveaux modèles de direction – sages, créatifs, capables d’éveiller les masses et de parler au jeune âge marginalisé ou retiré de la vie nationale. Ce n’est pas un rêve irréalisable.
Quant à l’Autorité, il n’y a rien à en attendre. Trois décennies d’un pouvoir dédié à sa propre survie l’ont rendue sourde à la voix de son peuple. Elle s’est enfoncée dans la coordination sécuritaire jusque pendant la guerre d’extermination, dénonçant publiquement la résistance, attendant de « rentrer à Gaza ».
Sans comprendre que ceux sur qui elle misait, parmi les dirigeants israéliens, ont disparu pour de bon, qu’Israël s’est métamorphosé, gouverné désormais par une caste messianique noyée dans le fantasme exterminateur, qu’elle a ancré dans la conscience même de la majorité de la société sioniste. C’est pourquoi la libération – ou la délivrance – ne peut plus se mesurer dans le temps court : elle redevient une entreprise historique. C’est là une vérité essentielle, dont découle la nécessité de créer une voie de lutte durable fondée sur la résistance populaire civile, qui permette au Palestinien de supporter à la fois le poids du combat et celui de la reconstruction – édification d’écoles, d’institutions culturelles et économiques, de structures syndicales et professionnelles, toutes ancrées dans la démocratie.
Aucune remise en cause réelle de la politique d’extermination ne surviendra sans pression extérieure toujours plus forte – mais cette pression ne portera qu’à la condition d’une reconstruction intérieure palestinienne.
Le corps politique palestinien, dans toutes ses composantes, officielles et populaires, a besoin d’une révision audacieuse et lucide : Hamas, Fatah, les autres factions, ainsi que les élites indépendantes engagées dans les efforts de réforme, doivent repenser leurs moyens, renouveler leurs rangs, s’ouvrir à la jeunesse et à la culture. Oui, nous sommes tous sans exception – institutions, mouvements, individus – conviés à l’examen de conscience, à la révision intérieure.
Nous voici donc à l’aube d’une nouvelle phase. Aussi périlleuse que celle qui s’achève, mais porteuse, en son sein, d’une chance : celle de redonner souffle et légitimité au projet national palestinien de libération – à condition d’un courage moral, intellectuel et politique à la mesure de la douleur, pour soulager les souffrances de notre peuple, surtout de Gaza meurtrie, contribuer à sa guérison, et esquisser le chemin, plus sûr, plus sobre, vers l’avenir.
